Environnement Nicolas Jean, de l’OFB : « Il n’y a pas de mesure simple pour protéger les bovins du loup »
Biologiste de formation, Nicolas Jean est coordinateur de la brigade loup et directeur adjoint de la direction des grands prédateurs terrestres à l’Office français de la biodiversité (OFB). Il fait le point sur la question des constats d’attaques de loup, les moyens de protection et le rapport à l’homme de ce grand prédateur.
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Selon les chiffres officiels, le nombre de loups est passé de 430 à 1 140 entre 2018 et 2023 quand le nombre de victimes évoluait peu, de 11 080 à 12 500. Mais peut-on se fier à ces estimations, très critiquées ?
Nicolas Jean : La méthodologie est robuste, validée par d’autres pays. Ce qui est compliqué, c’est que le loup agrandit son aire de vie, oblige à démultiplier les moyens de suivi. En tout cas, la méthode de comptage n’a pas changé entre 2018 et 2023.
Beaucoup de constats sur bovins concluent à une « origine indéterminée » : pourquoi est-ce si dur de faire reconnaître la responsabilité du loup ?
N. J. : Franchement, quand un loup attaque un animal pour le manger, c’est violent et visible ! L’outil de constat a été développé avec des vétérinaires pendant des années. La dernière mise à jour, en 2022, a intégré les morsures à l’arrière-train pour les gros animaux, que le loup ne saisit pas forcément à la gorge. Dans certains secteurs, comme en Franche-Comté, il y a eu beaucoup d’attaques sur bovins où la responsabilité du loup a été reconnue sans problème. Mais parfois, lorsque des veaux mort-nés sont charognés, certains veulent y voir l’œuvre du loup.
Pourquoi ne pas réaliser des prélèvements génétiques systématiques, comme en Suisse ?
N. J. : Cela me semblerait effectivement utile pour certains territoires et certaines espèces – les bovins en particulier. Mais à 150 € l’analyse, sans compter les frais logistiques, c’est irréalisable à grande échelle. De plus, l’ADN prélevé après des heures en plein air est fragile. Enfin, il y a un risque de prélever le mauvais ADN : celui d’un charognard passé après le loup, ou à l’inverse celui du loup qui serait venu charogner une carcasse.
Comment peut-on protéger les bovins ?
N. J. : Il n’y a hélas pas de mesure simple et généralisable. Certains tests ont donné de bons résultats avec des chiens de protection ou des parcs de mise bas. Mais cela ne peut convenir qu’à des situations bien précises. Certains éleveurs ont aussi modifié le fonctionnement des alpages en mixant les classes d’âge des animaux.
Quelle est l’efficacité des tirs d’effarouchement et des tirs létaux ?
N. J. : Elle est très limitée dans le temps et l’espace. Pour faire du conditionnement aversif, soit pour dégoûter le loup de s’approcher des animaux, il faut le connaître et lui infliger une douleur très importante. Sinon, le loup va s’habituer aux tirs. Les tirs létaux ont un impact variable. Une thèse (1) a montré que dans certains territoires, les tirs létaux sont suivis d’une diminution des attaques, alors que dans d’autres, les dégâts de déprédation augmentent par la suite. Une hypothèse serait que ces tirs déstructurent les meutes. Au sein de cette espèce très sociale et territoriale, la suppression d’un animal dominant peut favoriser l’émergence d’autres individus potentiellement plus dangereux. Au lieu d’une meute avec une hiérarchie établie, on se retrouve avec deux meutes moins structurées dont les effets peuvent être pires.
Toutefois n’oublions pas l’aspect humain : les tirs létaux permettent de régler des situations de crise localement, donc ils sont utiles pour soulager les éleveurs.
Après les bovins, qu’est-ce qui empêchera le loup d’attaquer des humains ?
N. J. : Ce grand mammifère est potentiellement dangereux comme le sanglier, l’ours ou le cerf, donc il faut être prudent. Mais il y a bien plus de risques de se faire mordre par un chien ! Trois motifs poussent le loup à attaquer. Pour se nourrir, il ira toujours vers la proie la plus facile : l’homme vient en dernier. Le second motif serait une pathologie, comme la rage, faisant perdre la conscience du danger. Enfin, il attaque pour se défendre si on l’accule ou si l’on s’approche d’une tanière avec des louveteaux.
Depuis son retour il y a trente ans, on n’a jamais recensé de tentative de morsure sur un humain – au maximum, on l’a vu grogner en étant acculé. Il a une peur atavique de l’homme.
On a pourtant le sentiment qu’il s’habitue à l’humain, s’approchant de plus en plus des habitations…
N. J. : En réalité le comportement de l’espèce n’a pas évolué. Ce qui a changé, c’est le nombre de loups. À son retour, il a d’abord occupé des territoires peu peuplés. Puis cette espèce très mobile et adaptable, qui parcourt 30 à 40 km par jour, a colonisé d’autres espaces. On trouve maintenant des loups plus proches des villes, ce qui augmente la fréquence des rencontres.
Favorisé par son statut protégé, n’aurait-il pas un impact négatif sur la biodiversité ?
N. J. : Il va falloir étudier si sa présence bouleverse le pastoralisme, qui entretient une forme de biodiversité. En revanche sur les populations d’ongulés, le loup n’a pas d’impact négatif. Un prédateur ne fait pas disparaître ses proies ! La faune sauvage est plutôt influencée par ses ressources alimentaires. Dans le Mercantour, on n’a jamais vu autant de chamois, cerfs et chevreuils… Il adapte ses proies aux saisons, donc la pression de prédation va fluctuer. Globalement, un équilibre se trouve.
Jusqu’où peut aller le front de colonisation du loup ?
N. J. : Jusqu’à la mer et l’océan ! Cette espèce s’adapte à tous les territoires, c’est la ressource alimentaire qui sera déterminante.
(1) Thèse d’Oksana Grente, sous la direction de l’OFB et du Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive (CEFE-CNRS), en 2021.
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