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FROMAGEABILITÉ DU LAIT CRU : LE ROBOT PEUT MIEUX FAIRE

Depuis le milieu des années 2000, la recherche suisse s'intéresse de près à la question de la qualité sanitaire, mais aussi fromagère, du lait cru trait par des robots.© CLAUDIUS THIRIET

UNE ÉTUDE CONDUITE EN SUISSE, EN 2011, MONTRE QUE MÊME EN RESPECTANT UN INTERVALLE DE TRAITE DE HUIT HEURES AVEC UN ROBOT, LES RISQUES SONT DÉLICATS À MAÎTRISER, NOTAMMENT LA LIPOLYSE QUI PEUT PROVOQUER UN GOÛT DE RANCE.

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C'EST EN SUISSE QUE LES RESPONSABLES DU COMTÉ trouveront des arguments autres que celui des difficultés à conduire un vrai et plein pâturage, qu'ils mettent en avant pour s'opposer à ceux qui souhaiteraient voir leur lait à comté trait par des robots. Ceux qui, de fait, voudraient voir supprimer ce point du cahier des charges de l'AOC, qui leur interdit la traite en continu et impose une traite biquotidienne. Ceux qui aussi s'accommoderaient bien d'un assouplissement de la règle limitant l'affouragement en vert à un repas par jour.

Depuis le milieu des années 2000, la recherche suisse s'intéresse de près à la question de la qualité sanitaire, mais aussi fromagère, du lait cru trait par des robots.

LA TENEUR EN ACIDES GRAS TRÈS DÉPENDANTE DE LA FRÉQUENCE DE TRAITE

Une première étude, conduite en 2006 dans la filière gruyère AOP suisse, cousin du comté, montrait assez clairement que le lait trait par des robots ne satisfaisait que trop rarement aux exigences imposées pour du lait à gruyère. Le lait des exploitations avec robot (comme celui des étables équipées de pipeline) y présentait notamment un nombre de germes significativement plus élevé et une activité fermentaire indésirable (réductases préincubées plus courtes) que le lait des fermes avec salle de traite.

Autre défaut révélé du robot, une activité lipolyse plus importante avec trois fois plus d'acide butyrique libre que dans le lait de salle de traite.

C'est sur la base de ces résultats que l'interprofession du gruyère AOP suisse avait imposé un moratoire figeant, jusqu'en 2012, le nombre de robots dans sa filière aux dix exploitations existantes et interdisant toute nouvelle installation de traite en continu. Un grave accident de fabrication dans une fromagerie fabriquant du gruyère AOP (un mois et demi de production impropre à la consommation pour cause de rancissement des fromages), imputé à un producteur équipé d'un robot, avait conduit à un autre tour de vis. Depuis 2008, un intervalle de traite d'au moins huit heures pour un même animal est imposé aux robots en activité dans la filière. Depuis longtemps, différents travaux de recherche montrent en effet que la teneur en acides gras libres dépend fortement de la fréquence de traite... favorisée, de fait, par un robot travaillant en continu.

« LA QUALITÉ DU LAIT TRAIT AU ROBOT S'EST NETTEMENT AMÉLIORÉE »

Le moratoire sur les robots arrivant à échéance, l'interprofession du gruyère AOP a mandaté une nouvelle étude en 2011. Objectif : savoir si la qualité du lait des exploitations équipées de robots de traite s'était améliorée, et notamment si l'intervalle de traite imposé suffisait à supprimer tout risque de lipolyse. En bref, avoir des données objectives pour statuer sur l'avenir de la traite en continu dans la filière. Cet essai, conduit par la station de recherche Agroscope Liebefeld-Posieux, s'est focalisé sur dix producteurs équipés d'un robot (neuf en filière gruyère AOP, un en emmental AOP) livrant à dix ateliers de fromagerie différents. Pour huit de ces derniers, le lait trait au robot était comparé à celui d'une exploitation travaillant avec une salle de traite. Cette étude s'est déroulée de juillet 2011 à janvier 2012 au rythme d'un prélèvement de lait mensuel de la traite du matin et de celle du soir, pour y analyser certains critères de qualité.

Premier constat, au vu des résultats, d'Ernst Jakob, responsable du pôle de recherche qualité fromagère, l'une des chevilles ouvrières de ce travail : « Comparée à l'étude de 2006, la qualité du lait de fromagerie trait au robot, en particulier le nombre de germes, s'est nettement améliorée. » En 2006, on relevait en moyenne 14 500 UFC(1)/ml de germes aérobies mésophiles dans le lait trait avec un robot contre seulement 4 600 UFC dans le lait d'exploitations avec salle de traite. Ce niveau retombe respectivement à 8 000 et 6 000 UFC. À noter néanmoins que 33 % des résultats provenant des exploitations avec robot sont supérieurs à la norme fixée par le gruyère AOP pour l'obtention d'un bonus de 1 c€/kg de lait (moins de 10 000 UFC/ml). On observe aussi que trois résultats dépassent la norme légale suisse (moins de 80 000 germes).

80 % DU LAIT TRAIT PAR UN ROBOT DANS LES CLOUS DU TEST DE RÉDUCTASE

Concernant les tests de réductase préincubée et d'acidification (onze heures à 38°C) pratiqués de façon usuelle en fromagerie pour apprécier la qualité bactériologique du lait, on observe aussi un progrès des exploitations avec robot, comparé aux résultats de 2006. L'avantage reste néanmoins largement aux laits de salle de traite (voir infographie). Le lait trait au robot montre une réductase préincubée significativement plus courte (38 contre 47,3 minutes) et une acidification plus intense (14,5 contre 11,4°SH). Dans le groupe des producteurs avec une salle de traite, 93 % des analyses remplissent l'exigence du test de réductase préincubée (plus de 15 min) et seulement 82 % pour les exploitations avec un robot. La situation apparaît encore moins satisfaisante sur le degré d'acidité. Dans trois des dix exploitations avec robot, plus de 80 % du lait livré dépasse le seuil le plus élevé autorisé de 15°SH. À noter toutefois que quatre exploitations avec robot obtiennent un degré d'acidité comparable à celui des exploitations avec salle de traite. Pour ces dernières, les écarts entre exploitations apparaissent aussi moins importants.

« PLUS DÉLICAT AVEC UN ROBOT DE MAÎTRISER LE RISQUE DE LIPOLYSE »

Autre critère qui, comme celui des germes, s'est fortement amélioré entre les deux études : la concentration en acide butyrique libre dans le lait, qui mesure la lipolyse. Il y a une certaine logique à cela puisqu'en 2006, aucun intervalle de traite n'était exigé par le gruyère AOP. Cela dit, malgré l'introduction de cette contrainte, « le lait trait par robot présente toujours une dégradation de la graisse, en moyenne presque deux fois plus importante que le lait provenant de salle de traite », relève le rapport Agroscope.

La teneur en acide butyrique libre pointe en moyenne à 64 micromoles/l (µmol/l) avec du lait de salle de traite, 107 µmol avec du lait de robot. Dans six des dix exploitations avec robot, la valeur limite de 105 µmol/l recommandée pour l'acide butyrique (C4 à 24 heures) est dépassée dans 50 % des livraisons de lait analysé. Une seule des exploitations avec robot présente des résultats comparables à ceux obtenus avec salle de traite. N'y étaient traites durant l'essai que 42 vaches au maximum ! Là encore, les écarts constatés dans les exploitations avec salle de traite apparaissent moins importants qu'avec un robot. Surtout si on élimine la seule avec un roto de traite, où les résultats enregistrés étaient les plus variables.

Autre enseignement intéressant de cette étude : la prépondérance de l'influence du producteur sur celle du système de traite pour expliquer les différences constatées de tous les paramètres de qualité, sauf un : l'acide butyrique libre. « Traduisez que s'il est possible, en pilotant de façon optimale un robot, d'obtenir un lait dans les normes du gruyère pour les germes, le test de réductase ou d'acidification, la tâche est plus délicate sur la lipolyse », résume Ernst Jakob. Difficile donc de s'assurer qu'on ne sera pas au-delà du seuil (105 µmol/ml d'acide butyrique à 24 heures), où la probabilité de risques de rancissement augmente. Cela vaut pour le gruyère, mais aussi pour le beurre ou la crème. « Pour réduire davantage la dégradation de la matière grasse du lait trait au robot, il faudrait encore prolonger les intervalles minimaux de traite. Des travaux de recherche néerlandais montrent que la teneur en acides gras libres baisse de 40 % si l'on augmente l'intervalle de traite de huit à douze heures », dit-il.

Mais quel est l'intérêt alors d'un robot ? Forte de ces arguments, l'interprofession du gruyère AOP suisse a acté en juillet 2012 l'interdiction de la traite en continu. Les quelques exploitations équipées avant cette date d'un robot auront jusqu'en juin 2022 pour se conformer à la nouvelle règle.

JEAN-MICHEL VOCORET

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