MULTIPLIER LES DISTRIBUTIONS AVEC UN ROBOT EST SANS EFFET
En conditions d'alimentation optimales, un essai mené par l'Institut de l'élevage et Arvalis montre que l'augmentation de la fréquence de distribution de la ration n'a pas d'effets significatifs sur les performances zootechniques. Le comportement des vaches laitières n'est pas non plus affecté.
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EN MARS DERNIER, « L'ÉLEVEUR LAITIER » CONSACRAIT UN DOSSIER aux robots d'alimentation. Nous présentions les différents systèmes d'automatisation, les arguments des constructeurs et les avis des premiers utilisateurs. Parmi ceux-ci, il en est un qui faisait mouche : l'augmentation de la fréquence des repas (jusqu'à douze en 24 heures) permise par cet équipement incitait les vaches à venir s'alimenter à l'auge, donc dopait les quantités de matière sèche ingérées. Cette multiplication des repas permettait aussi de stabiliser le pH ruminal, le tout pour une meilleure efficacité alimentaire, donc a priori plus de lait. Éleveurs et constructeurs constataient aussi l'absence de refus et des animaux plus calmes dans le bâtiment. Des arguments fondés sur des observations mais sans références objectives, car il en existe peu. Une équipe de spécialistes de l'Institut de l'élevage (Idele) et d'Arvalis-Institut du végétal a été constituée pour étudier ce sujet. L'analyse bibliographique a relevé une quinzaine de publications, plus ou moins récentes, mais très peu d'expérimentations ont été conduites avec des fréquences de distribution au-delà de quatre fois par jour. D'où l'intérêt de l'essai mis en place conjointement par Idele et Arvalis-Institut du végétal à la ferme expérimentale de La Jaillière, en février et mars 2013.
UNE, TROIS OU HUIT DISTRIBUTIONS PAR VINGT-QUATRE HEURES
Cet élevage laitier s'est équipé en 2012 d'une chaîne d'alimentation automatisée de marque Rovibec : trois réserves à fond mouvant pour les ensilages, un distributeur de balles rondes, une mélangeuse en poste fixe et un wagonnet distributeur suspendu sur rail. Montant de l'investissement : 265 M€. L'objectif de l'expérimentation était de mesurer les effets directs de l'augmentation de la fréquence de distribution sur l'ingestion, la production laitière et le comportement des vaches laitières. Sur trois lots de dix-sept prim'holsteins, en phase descendante de lactation, trois fréquences de distribution ont été comparées pendant six semaines : une distribution par jour avec deux repousses manuelles, trois distributions par jour (7 h, 12 h et 18 h) et huit distributions (de 4 h 30 à 18 h 30). Il s'agissait d'une ration complète à base de maïs, distribuée à volonté (minimum de 5 % de surplus enlevés quotidiennement) dans une auge avec cornadis. « Une distribution par jour, avec deux repousses et le retrait des refus, correspond à un mode d'alimentation normal recommandé en élevage laitier. Une enquête suisse, réalisée dans des élevages d'Europe du Nord équipés d'un automate d'alimentation, montre que le nombre de distributions programmées par les éleveurs était en moyenne de sept et au maximum de treize. C'est ce que nous avons constaté aussi dans une dizaine d'élevages équipés en France, d'où notre protocole », précise Jean-Luc Ménard, chez Idele. Outre les performances zootechniques (ingestion, lait, taux, poids vif), le comportement des vaches a été observé sur les lots à une et huit distributions, de façon à mesurer les séquences d'alimentation, de rumination et de repos.
Les résultats de cette expérimentation menée à La Jaillière sont sans appel : quelles que soient les fréquences de distribution, les niveaux d'ingestion sont équivalents (voir infographie). Concernant les performances zootechniques, les faibles écarts observés entre les trois fréquences ne sont absolument pas significatifs. Ces effets très limités sont conformes aux essais relevés dans la bibliographie, qui avaient des protocoles proches de celui de La Jaillière avec des fréquences étudiées de trois, quatre ou cinq distributions par jour par rapport à un témoin avec une distribution par jour. Le comportement des animaux n'est pas non plus significativement modifié par les huit distributions. Tout juste observe-t-on une activité plus cyclique du groupe de vaches liée aux séquences des distributions automatisées. La durée totale d'alimentation, de rumination et de repos n'est pas affectée, conformément aux quelques publications sur le sujet.
Autre constat : la distribution nocturne (à 4 h) du robot est peu valorisée, mais nous sommes dans un système à deux traites par jour. La traite robotisée pourrait induire davantage d'activité la nuit.
PAS PLUS D'EFFICACITÉ ALIMENTAIRE
« En conditions d'alimentation optimales, nous avons démontré l'absence d'effet direct d'une fréquence plus élevée de distribution de la ration, jusqu'à huit fois par jour, sur les performances zootechniques et le comportement des animaux. Des travaux sont en cours en Suisse dans le cadre d'une thèse qui sera publiée prochainement, où ont été étudiées des fréquences allant jusqu'à dix et douze fois par jour. Attendons ces résultats pour savoir si cette absence d'effets zootechniques est constatée au-delà de huit distributions par jour. Des échanges avec les chercheurs suisses permettront d'aboutir en 2014 à des recommandations plus précises sur la conduite de l'alimentation avec des automates », analyse Jean-Luc Ménard.
Ce premier essai aboutit à une conclusion claire pour cet équipement : dans un élevage où la distribution de la ration est déjà bien maîtrisée, la rentabilité du robot d'alimentation ne passera pas par l'amélioration significative de l'efficacité alimentaire. Pourtant, l'investissement dans une chaîne d'automatisation est lourd : 25 à 35 €/1 000 l de lait (hors silos) contre 5 à 15 €/1 000 l pour des chaînes de distribution plus communes. Bien sûr, le robot d'alimentation a d'autres avantages, notamment la baisse du temps de travail qui est très variable : de - 45 % à - 75 % selon la bibliographie, notamment en lien avec la taille du troupeau et le type d'équipement présent avant l'automatisation. « Sur ce point, le robot d'alimentation sera plus efficient dans les grands troupeaux. Ils utilisent le bâtiment une grande partie de l'année et ont des temps longs de préparation et de distribution des rations, ainsi qu'un manque de main-d'oeuvre. Dans les gros troupeaux qui ont le plus souvent des vêlages étalés ou deux grosses périodes de vêlage, la conduite en lots alimentaires s'impose, avec parfois des rations complexes et variées. Dans ces conditions, l'automatisation simplifiera et réduira le travail de l'alimentation de façon efficace. Mais ce ne sera probablement pas suffisant pour rentabiliser ces investissements. Il ne faut pas négliger non plus la flexibilité du travail apportée par les automates, par exemple pour le week-end, qui n'est pas vraiment chiffrable mais importante pour l'attractivité du métier », avance Jean-Luc Ménard.
Avec un automate de préparation et de distribution de la ration, les constructeurs mettent aussi en avant la possibilité de réduire la largeur des couloirs d'alimentation (2 à 3 m suffisent selon les modèles) et la longueur de l'auge avec une simple barre au garrot. Il serait envisageable alors de concevoir un bâtiment plus compact, donc moins onéreux. Là aussi, il faut bien en étudier les conséquences. Par exemple, ne faut-il pas une largeur minimale pour le passage d'un tracteur en cas de problème sur l'automate pour éliminer les refus, pour que l'éleveur puisse surveiller ses animaux à partir de ce couloir... ? Comment prévoit-on l'intervention collective sur les animaux en l'absence de cornadis ? Il faut aussi tenir compte du bâtiment supplémentaire nécessaire à la préparation des rations, ce qu'on appelle « la cuisine ». Selon les réponses apportées à ces questions, les gains liés à la réduction de surface du bâtiment peuvent ne pas être si évidents.
Cet essai permet de mieux objectiver l'intérêt technico-économique du robot d'alimentation sur le volet zoo-technique. La gestion du temps et de la flexibilité du travail, ainsi que l'intérêt de la conduite en lots alimentaires dans les grands troupeaux sont les points les plus importants à considérer pour étudier la rentabilité de ces automates d'alimentation.
DOMINIQUE GRÉMY
Dans un élevage où la distribution de la ration est déjà bien maîtrisée, la rentabilité du robot d'alimentation ne passera pas par l'amélioration significative de l'efficacité alimentaire. © D.G.
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