ALLIER ÉCONOMIE ET ENVIRONNEMENT AVEC UN BÂTIMENT « ÉCOLO »
LA RÉGLEMENTATION INCITE À BIEN GÉRER LES DEJECTIONS À PARTIR DES BÂTIMENTS. SANS DOUTE ÉVOLUERA-T-ELLE VERS UNE INTÉGRATION DE LEURS ÉMISSIONS GAZEUSES. DES SOLUTIONS TECHNIQUES EXISTENT, SURTOUT EN LISIER, QU'IL FAUT AMÉLIORER ET AJUSTER.
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LA RÉGLEMENTATION ENVIRONNEMENTALE intervient dans l'élaboration d'un projet de construction de bâtiment d'élevage. La directive nitrates a une incidence sur la capacité de stockage des déjections et leur épandage. De ce fait, elle incite à réfléchir sur le type de déjections à gérer et donc la conception de la stabulation. La lutte contre les gaz à effet de serre (méthane, dioxyde de carbone et protoxyde d'azote) et l'ammoniac jouera-t-elle le même rôle ? Si rien de concret n'est aujourd'hui dans les "tuyaux" réglementaires, il faut l'avoir à l'esprit. Contre les premiers, ce sont d'ailleurs plutôt les industriels (Bongrain, Bel, etc.) qui s'emparent du sujet aujourd'hui. Contre l'ammoniac, l'élevage bovin échappe pour l'instant à la réglementation. Il faut savoir que 97 % des émissions françaises d'ammoniac sont agricoles dont 79 % de l'élevage. Sous l'impulsion d'une directive européenne (IED), la réglementation sur les installations classées oblige les secteurs porcs et volailles à montrer patte blanche. Les bovins risquent d'être rattrapés par une autre directive européenne (National Emissions Ceiling ou NEC) qui fixe des plafonds d'émission d'ammoniac par pays et par activité. Jusque-là, la France n'était pas inquiétée car ses émissions sont inférieures à son plafond, ce qui explique l'absence de mesures spécifiques sur le sujet contrairement aux Pays-Bas, par exemple, où la couverture des fosses à lisier est obligatoire. Il y a de fortes chances que la NEC en cours de révision abaisse le plafond français, avec des conséquences sur la gestion des déjections dans les bâtiments laitiers, au stockage et à l'épandage. Selon les estimations du Citepa, qui calcule les émissions françaises, ces trois postes sont responsables de 78 % des émissions d'ammoniac et de 25 % des émissions de GES.
Pas de panique pour autant. D'une part, on ne connaît pas l'échéance de la révision de la NEC. D'autre part, les recherches en cours montrent, que ce soit pour les GES ou l'ammoniac, qu'une conduite optimisée est le meilleur garant de leur réduction. Dès à présent, cela n'empêche pas d'essayer d'intégrer cette évolution dans son projet de construction de bâtiment. « Le temps d'utilisation des bâtiments augmente avec l'accroissement de la taille des troupeaux, constate Jean-Luc Ménard, de l'Institut de l'élevage. On risque donc d'avoir une augmentation des émissions, surtout d'ammoniac. »
Fumier ou lisier ? : Mieux vaut optimiser le système choisi
« En France, plus de la moitié des bâtiments d'élevage bovin intègrent au moins une litière paillée », souligne Élise Lorinquer, sa collègue de l'Institut de l'élevage (Idele). Une spécificité française qui complique l'évaluation des émissions du trio bâtiment-stockage-épandage. Peu de références en termes d'émissions existent aujourd'hui sur ce système. « Le système lisier est mieux connu car il est majoritaire dans les autres grands bassins européens. » Il est aussi plus simple car il fabrique essentiellement de l'ammoniac gazeux (voir p. 64). De toute façon, choisir l'un ou l'autre uniquement sur le critère « émissions » n'a pas de sens. D'autres éléments concourent à privilégier l'un plutôt que l'autre : la préférence de l'éleveur à gérer du fumier ou du lisier, la disponibilité en paille de l'exploitation, la conduite sanitaire en lien avec la taille du bâtiment, etc. « En fumier ou en lisier, mieux vaut chercher à réduire les émissions à chaque étape de la gestion des déjections. Réduire les pertes signifie valoriser des engrais organiques plus riches en azote. C'est autant d'engrais minéraux achetés en moins. » Pour une exploitation spécialisée en lait de 60 vaches, elle estime les pertes à 11 t équivalent ammonitrate, soit environ 4 000 €.
Voilà trois ans que l'Idele et l'Inra travaillent à mieux comprendre les processus mis en jeu en lisier et fumier. Pendant l'hiver 2011-2012 et au printemps 2012, des mesures d'émission de méthane et d'ammoniac ont été réalisées dans vingt bâtiments laitiers de l'Ouest. Ils sont répartis dans deux catégories : bâtiments paillés et logettes. Premier constat : les bâtiments paillés émettent plus de méthane que les logettes. C'est confirmé par un essai des deux instituts à la ferme Inra de Méjusseaume (Ille-et-Vilaine) en 2012-2013. Quatre lots de trois vaches ont été placés, durant quatre semaines, dans des salles hermétiques de 12 m2/vache : deux lots logés en aire paillée sans couloir de raclage, et deux en logettes avec couloir raclé. Les concentrations de méthane et d'ammoniac y sont là aussi mesurées. « Dans cet essai, la litière accumulée produit 25 % de méthane en plus que le bâtiment raclé. C'est logique. Le paillage apporte de la matière organique, donc du carbone potentiellement dégradable, précise Élise Lorinquer. De plus, le tassement des fumiers par les vaches favorise la production de méthane. »
Côté ammoniac, les résultats sont contradictoires. Les mesures en élevages donnent des émissions des bâtiments à logettes deux fois supérieures aux paillés. À l'inverse, sous expérimentation, elles sont soit équivalentes, soit inférieures aux lots « litières accumulées ». « C'est, là aussi, logique puisque les déjections des lots "logettes" sont évacuées par raclage alors que les "litières accumulées" intègrent la dimension de stockage (la mesure méthane aussi).» Idele renouvelle l'essai fin 2014 en se focalisant sur le système fumier, de l'aire paillée à l'épandage. « Une chose est sûre : en fumier ou en lisier, il est préférable d'avoir des effluents bien typés pour optimiser leur valorisation. Éviter les fumiers mous ou les lisiers pailleux. » Un conseil qui n'a pas besoin de considération environnementale pour être appliqué.
Couloir de raclage : Éviter le contact fécès-urine
Le mélange fécès-urine favorise les émissions d'ammoniac. « En deux heures, les enzymes microbiennes présentes dans les bouses transforment l'urée en azote ammoniacal, explique Jean-Luc Ménard. Pour les limiter, il faut évacuer l'urine le plus rapidement possible. » Cela signifie racler fréquemment les couloirs de circulation. Les publications évoquent une réduction de 20 % mais sans préciser la fréquence de raclage.
En système fumier, cette mesure préventive est plus difficile à appliquer. Sur sol bétonné, racler le couloir plusieurs fois dans la journée oblige l'éleveur à mélanger plus souvent fumier et lisier sur la fumière pour faire un tas qui se tient.
« En système lisier, pour maintenir propres et secs les pieds des vaches, les éleveurs ont augmenté, ces dernières années, la fréquence de raclage des couloirs bétonnés. En hiver, cela va de quatre à douze fois en 24 heures. C'est une bonne chose, estime-t-il. Pour que cela soit complètement efficace, il faut également changer les pièces d'usure du racleur, ce qui est possible aujourd'hui avec des nouveaux modèles de racleurs. »
Un autre élément peut concourir à l'évacuation des urines des animaux : une pente de 2 à 3 % maximum sur la longueur du bâtiment. « L'augmentation de la taille des troupeaux incite à étendre la longueur des bâtiments. Ce pourcentage de pente est plus difficile à obtenir en régions de plaine. Il est fréquent d'observer des pentes entre 0 et 1 %, souligne Jean-Luc Ménard. Et même avec une pente à 2 % sur un bâtiment long, les pissats mettent du temps à s'écouler. »
- Sols bétonnés : pente transversale et non plus longitudinale
Il faut repenser la conception des sols pleins pour résoudre le double enjeu de la maladie des pieds (voir p. 40) et des émissions d'ammoniac. Dans ce but, l'Idele lance un programme d'étude, SOLVL, financé par les pouvoirs publics. « L'objectif est de tester des solutions innovantes. » L'une d'entre elles repose sur deux pentes transversales de 2 à 3 % vers le centre du couloir. Cela suppose une conception du sol et un racleur adaptés capables de transférer les urines rapidement. Les fabricants de racleurs commencent à s'emparer du sujet. Sous le rail du racleur, l'entreprise CRD, à Ernée (Mayenne), propose d'installer un canal en PVC. La fente du rail, large de 2,5 cm, permet aux jus d'y tomber. Dans le canal, une espèce d'obus relié au racleur pousse les jus (photo p. 63). L'équipement peut être complété par un système de flushing dans le canal à partir des eaux de salle de traite, par exemple. Cela peut être intéressant pour des couloirs à pente longitudinale de 0 % ou presque. « Le prix du racleur ne varie pas (13 000 € pour deux couloirs de raclage longs de 75 m), indique CRD. Il faut ajouter 33 € par mètre de canal et éventuellement pour le flushing, 700 à 800 € de pompe et un maximum de 1 500 à 2 000 € de canalisations. »
- Des caillebotis : anti-ammoniac
Comme précédemment, il est conseillé de racler les couloirs-caillebotis pour améliorer l'hygiène des pieds et limiter le contact urine-fécès. De la fosse sous les caillebotis est également émis de l'ammoniac. Trois éléments y concourent : l'apport de lisier frais par au-dessus, le brassage régulier qui élimine la croûte en surface et une surface importante d'échange avec l'air. Comme on ne peut pas se passer du malaxage, l'autre solution est d'installer des caillebotis qui ne laissent pas échapper l'ammoniac. Cela passe par la réduction de leurs ouvertures ou une réserve sous chaque fente qui, une fois remplie, s'ouvre et laisse tombe le lisier. « De tels caillebotis existent depuis plusieurs années aux Pays-Bas et sont même subventionnés. Il faut malgré tout les tester avec les conditions françaises. Leurs rations à base d'ensilage d'herbe donnent un lisier plus fluide. Les éleveurs français apportent plus de maïs et utilisent souvent de la paille comme matériau de litière. Comment le lisier "à la française" se comporte-t-il ? » La ferme expérimentale de la Blanche Maison (Manche) pourrait tester un caillebotis anti-ammoniac. Son conseil d'administration vient de voter la construction d'une stabulation de 80 logettes avec cet équipement. Il reste à trouver les financements.
Stockage : Couvrir les déjections
Couvrir l'ouvrage de stockage limite les contacts entre l'air (oxygène) et les déjections. La couverture de la fumière jouera sur les trois gaz à effet de serre (CH4, CO2 et N2O) et l'ammoniac, celle de la fosse à lisier sur l'ammoniac (voir ci-contre). La couverture de la fosse à lisier est d'ailleurs largement pratiquée par les éleveurs laitiers de l'Europe du Nord. Voilà une dizaine d'années qu'ils sont concernés par la lutte contre les émissions d'ammoniac. « Avec une couverture tendue ou solide au-dessus de la fosse, souvent utilisée en Europe du Nord, les références techniques donnent une réduction de 80 % », indique Élise Lorinquer. Bien connu en Bretagne par les éleveurs de porcs, ce système repose sur un mât central. Le coût est de 40 à 60 €/m2. Les élevages bovins français n'y ont pas recours puisqu'ils ne sont pas touchés actuellement par cette réglementation (début de l'article). De plus, leurs lisiers souvent pailleux contribuent à limiter les émissions d'ammoniac. En effet, sans brassage, une croûte naturelle se forme à la surface qui les réduit de 40 %. Les références n'indiquent pas si cet abattement intègre ou non le brassage. Cela reste à vérifier. Néanmoins, cette croûte n'est plus systématique dans les élevages avec le recours à d'autres matériaux que la paille dans les logettes. Faut-il donc investir dans une couverture de fosse ? Si c'est en projet pour gagner en capacité de stockage (si pluie), autant prendre en compte cette dimension. Elle permettra aussi un lisier plus riche en azote (sans couverture, la perte par volatilisation est de 3,5 % de l'azote contenu dans le lisier). L'autre solution est d'anticiper l'évolution de la réglementation et de prévoir les éléments nécessaires à cet équipement (emplacement du mât central, points de malaxage du lisier, etc., en fosse bétonnée). Il est possible aussi d'investir directement dans une poche à lisier de grande capacité.
Couvrir la fumière en vue de limiter les émissions de GES et d'ammoniac ne se pratique pas aujourd'hui. Cela a-t-il un intérêt ? Pour le vérifier, de mars à mai 2013, à la ferme expérimentale de Derval (Loire-Atlantique), l'Institut de l'élevage les a mesurées sur trois tas de fumier de 5 t provenant d'une litière accumulée de trois semaines. L'un était non couvert et non tassé, le deuxième non tassé et couvert d'une bâche utilisée en compostage, le dernier tassé et couvert. Les résultats vont être analysés ces prochains mois. « Une autre solution est la réutilisation du fumier par un méthaniseur mais c'est une tout autre démarche », avance Élise Lorinquer.
Épandage du lisier : Éviter la buse-palette
Largement pratiqué, l'épandage avec une buse-palette génère le plus de volatilisation. Au contact de l'air, l'azote se transforme en ammoniac gazeux. Les pertes d'azote ammoniacal sont estimées entre 10 et 40 % de l'azote total épandu. Il faut donc limiter ce contact. C'est possible avec trois types de rampe : pendillards à tubes traînés, pendillards à sabots traînés et injecteurs. « Le taux d'abattement par rapport à la buse-palette est, en moyenne, respectivement de 30, 50 et 70 %. L'idéal est que l'épandage s'accompagne d'un enfouissement le plus rapide possible. » Le faire aussitôt réduit les émissions de 70 %, 4 heures après de 50 % et 24 heures après de 30 %, en comparaison avec aucun enfouissement.
CLAIRE HUE
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