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« L'HIVER, ON TRAVAILLE EN RATION SÈCHE COMPLÈTE SANS MOUILLER »

Pour installer leurs deux fils, Christophe (à l'arrière) en 2001 et Julien (à droite) en 2006, Chantal et Jean- Claude Chambon se sont lancés avec une certaine réussite dans l'aventure de la fabrication de morbier fermier.© J.-M.V.

Depuis deux hivers, le Gaec Chambon, producteur de lait à morbier, travaille avec une mélangeuse à vis verticale. Elle lui permet de mélanger foin, regain et concentrés sans ajouter d'eau, condition « sine qua non » du cahier des charges de l'AOC morbier.

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TOUTES LES MÉLANGEUSES NE SONT PAS APTES À RÉALISER UNE RATION COMPLÈTE à base de foin, regain et concentrés sans ajouter d'eau. Celles à pales et à vis horizontales en sont incapables. « Sans mouiller, les concentrés tombent au fond de la caisse et ne sont pas mélangés avec le fourrage sec », expliquent leurs utilisateurs. Cet ajout d'eau indispensable pour obtenir un mélange satisfaisant, pratique strictement interdite par les AOC franc-comtoises (comté, morbier…), explique largement la position d'équilibriste prise par le comté. Son cahier des charges récemment signé, autorise l'usage de ces machines pour mélanger et distribuer foin et regain, mais interdit d'y ajouter les concentrés. Et donc de travailler en ration complète, tout l'intérêt d'une mélangeuse.

UNE POSITION D'OUVERTURE DE L'AOC MORBIER

Pour le comté, les lignes ne semblent pas près de bouger (lire page 66), contrairement au morbier. Ce dernier a pris il y a peu, à l'occasion de la révision en cours de son cahier des charges, une position plus ouverte. On se contentera d'y interdire la pratique du mouillage du fourrage sec, mais rien sur l'utilisation des mélangeuses. Ce qui revient de fait à autoriser la ration sèche complète. Il est vrai qu'entre le moment où ce sujet a été discuté pour le comté (fin 2005, début 2006), où son cahier des charges a été signé (octobre 2008), et où la question s'est posée pour le morbier (en 2009), un autre type de mélangeuse, à vis verticale, a fait ses preuves sur la zone des AOC franc-comtoises(1).

Celle du Gaec Chambon, producteur de morbier fermier à Sancey-le-Grand (Doubs), est opérationnelle depuis l'automne 2007. « Nous pensions depuis quelque temps déjà à passer en ration complète mélangée pour améliorer le suivi du troupeau, et mieux mélanger notre jeune foin très appétent et le plus fibreux que les vaches délaissent. Nous avions aussi à résoudre la question de nos deux Dac, insuffisants vu l'augmentation du nombre d'animaux », relate Christophe Chambon. La récolte de foin calamiteuse de 2007 précipite les décisions. Comme partout dans la région, les vaches boudent le foin qu'on leur présente et le niveau laitier attendu n'est pas au rendez-vous.

Le Gaec Chambon a alors l'opportunité d'essayer une mélangeuse à double vis verticale, dont on dit qu'elle ferait un vrai mélange à sec : la Triolet, achetée 25 500 €, n'est jamais repartie. Elle vient de passer son deuxième hiver attelée à un Deutz DX 85. Acheté d'occasion il y a cinq ans (3 000 €), ce 80 ch, le moins gourmand en fuel du Gaec (un plein tous les quinze jours), assure le mélange en tournant trente minutes à 1 700-1 800 tr.

« L'effet sur les animaux a été immédiat, se souvient Jean- Claude Chambon, le père. Les vaches qui, le matin boudaient leur foin, se sont mises à remanger normalement le soir la ration complète distribuée. » Et cela, bien sûr, avec la même ration : moitié foin et moitié regain à volonté, plus 4 kg d'orge-maïs et 3 kg de tourteau 35 par vache laitière pour 25 kg de lait. Les fraîches vêlées à plus de 30 kg disposent aussi de colliers leur permettant de recevoir en plus un VL 25 au Dac. « Le mélange distribué apparaît vraiment homogène et le concentré bien réparti tout au long des cornadis, note Christophe. Le seul intérêt que nous pourrions avoir à mouiller serait de limiter la poussière. » Et encore. Ici, on travaille surtout avec du vrac. Ce problème est plus marqué en balles rondes ou carrées. Jean-Claude le mesure deux fois par semaine quand il prépare la ration complète pour les génisses avec des balles carrées. Outre la tenue et l'aspect du mélange, la poussière déposée sur le tracteur est d'ailleurs un moyen aisé de contrôler si ajout d'eau il y a ou pas.

« LES VACHES SONT DANS L'IMPOSSIBILITÉ DE TRIER »

Signe de l'homogénéité du mélange, les dominantes ne cherchent plus à chasser les autres au cornadis. Le troupeau est plus serein. Christophe s'en est encore rendu compte depuis la mise à l'herbe où il redonne du concentré à l'auge aux fraîches vêlées, la mélangeuse étant remisée : « J'ai été obligé de rebloquer les vaches au cornadis, chose que je n'ai pas faite une seule fois cet hiver ».

« Nous l'avons clairement constaté : en ration mélangée, les vaches sont dans l'impossibilité de trier foin et regain », observe Jean-Claude. Un gage de meilleure valorisation de la ration de base et d'économie de concentrés dès l'instant où l'on peut faire consommer, dans les proportions souhaitées, un foin très précoce ou un regain très appétent avec un foin plus tardif et fibreux sur lequel les vaches rechignent. « Dans la mesure où nous sommes assurés de faire manger de la fibre pour bien ruminer, nous allons plus qu'avant chercher à faucher très tôt. »

Cette meilleure valorisation de la ration de base ne s'est pas encore franchement ressentie sur les performances laitières (voir tableau). Encore que depuis deux ans, la qualité des foins récoltés ici, comme ailleurs, a été assez médiocre. S'y ajoute pour le Gaec l'agrandissement du troupeau. Depuis 2001, Christophe puis Julien se sont installés, le Gaec passant de quarante à soixante-quinze vaches par croissance interne et achat d'animaux tout venant. Pour la première fois depuis huit ans, l'exploitation vient de revendre des fraîches vêlées. Dans ces conditions, les 24,5 kg de lait à 33,4 de TP enregistrés cet hiver apparaissent satisfaisants. Ils sont en effet, avec une quantité de concentrés à peine supérieure (268 contre 247 g/kg de lait), très proches des 24,4 kg à 33,72 de TP de l'hiver 2006-2007 avec un foin de meilleure qualité.

« NOS VACHES FONT LES 3 X 8 »

En revanche, ce que le Gaec Chambon a bien mesuré, c'est le plus sur la santé. « Nous avons vraiment maintenant des vaches qui font les 3 x 8. Il est vrai aussi que les logettes, qui ne sont plus recouvertes de sciure mais paillées, sont plus confortables et mieux fréquentées. » Autre gain apprécié, la diminution des boiteries. « De 10 à 12 % de boiteuses, nous sommes passés à deux sur soixante-dix animaux qui craignent des pattes, pas pour des raisons alimentaires mais pour des problèmes de cailloux arrivés avec la paille des logettes achetée à l'extérieur. » Jean-Claude y voit l'effet direct des à-coups de concentrés dans la panse qui ont disparu avec la ration complète. « Nous avons aussi un troupeau beaucoup plus régulier et homogène dans son état. » Autre raison, sans doute la principale, pour laquelle les Chambon ne feraient pas marche arrière, même si cette mélangeuse représentera un amortissement de 2 500 €/hiver sur dix ans : le gain de temps et la moindre pénibilité du travail. « Soigner soixante quinze vaches laitières prend aujourd'hui une heure par jour l'hiver pour celui qui s'en occupe », note Christophe. Cette estimation assez large inclut l'heure de préparation et de distribution, désormais une seule fois par jour. S'y ajoutent quinze minutes maximum pour repousser la ration quatre fois avec un quad équipé d'une lame. Il est vrai qu'avec une ration mélangée composée de fibres de foin et regain coupées, les vaches ont tendance à écarter la ration beaucoup plus facilement. Cela oblige à la repousser plus souvent qu'avec des brins de foin plus longs. « Auparavant, entre les refus poussés aux génisses, le balayage de l'auge, la préparation et la distribution de farine à la main, les griffées de foin et de regain à déposer et à repousser au valet de ferme, matin et soir, il fallait trois heures par jour, sans compter le foin à repousser deux fois. » Même facilité de travail pour les trente-cinq génisses, menées dans le bâtiment des laitières. Avant, elles recevaient, en plus des refus, une balle carrée par jour. Aujourd'hui, elles n'ont que deux mélangeuses par semaine. Ce gain de temps a été mis à profit pour mieux suivre les chaleurs. Difficile pour autant d'imputer à la seule mélangeuse la meilleure maîtrise de la reproduction constatée dans les chiffres. La situation délicate d'hier a commencé à s'améliorer un an avant son arrivée. En 2006-2007 (septembre à août), le Gaec est passé de 1,82 à 1,71 IA/IA fécondante, 42 à 52 % de réussite en première IA, 21 à 14 % de VL à plus de trois IA. En 2007-2008, le troupeau a encore gagné des points (1,61 IA par IA fécondante, 59 % de réussite en première IA, 13 % de VL à plus de trois IA). « La régularité de la ration apportée par la mélangeuse a sûrement un peu joué », estime Jean-Claude.

JEAN-MICHEL VOCORET

(1) D'après les vendeurs de matériels, une cinquantaine de mélangeuses tourneraient l'hiver en ration foin et regain sur la zone AOC.

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