« Ensiler des maïs grains pourrait être une solution à nos terres séchantes »
Adaptation. L’EARL de l’Écluse porte à 100 hectares sa surface de maïs pour sécuriser ses stocks fourragers. Depuis 2023, elle ensile des variétés de maïs grains reconnues par la chambre d’agriculture de l’Orne pour cet usage. Les étés 2023 et 2024 pluvieux empêchent de tirer des conclusions définitives.
Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.
Sécuriser les stocks fourragers est le leitmotiv de Didier Fontaine et de son fils Alban. Le premier est associé de l’EARL de l’Écluse avec son épouse Sophie. Le second a pour l’instant un statut salarié. Il devrait devenir associé cette année. Leurs 250 ha dans le nord de la Sarthe, à la frontière du département de l’Orne, sont des sols à faible réserve utile. Les terres reposent sur un sous-sol schisteux ou sont limono-sableuses et caillouteuses. « Les sécheresses et les canicules consécutives ont affecté nos rendements fourragers ces dernières années. La récolte tombée jusqu’à 7 à 8 t de MS de maïs ensilage, nous a empêchés de reconstituer correctement nos stocks fourragers. Nous avons dû, en 2022, acheter du maïs sur pieds. Il fallait réagir, et vite », explique Didier Fontaine.
La sécurisation fourragère devenait d’autant plus impérative que le troupeau s’agrandissait grâce à l’augmentation du volume contractuel de l’EARL. Il affiche aujourd’hui 112 vaches, contre 91 en 2021. « Nous avons obtenu une attribution de 500 000 litres en 2023 pour monter progressivement à 1,4 Ml en 2026-2027. » À cela s’ajoutent les allocations provisoires de campagnes gérées par Bel et l’Association des producteurs de lait Bel Ouest (APBO). En 2024-2025, elles s’élèvent à 8 % de la référence individuelle pour 88 000 litres en plus. « Grâce à ces litrages supplémentaires, nous ne sommes plus dans un système de volumes contraints, insiste l’éleveur. Cela relâche la pression sur notre autre activité, celle des cultures de vente. Nous avions tendance à maximiser leur surface au détriment de celle de maïs. »
Produire les UFL par les grains
Pour reconstituer ses stocks de report, l’EARL de l’Écluse a semé 100 ha de maïs en 2024, contre 78 ha en 2023 et 70 ha en 2022 (98 ha sont prévus en 2025). Elle dispose aujourd’hui de seize mois d’avance et veut encore augmenter le nombre de mois de réserve. Le choix de variétés de maïs grains qu’elle destine à l’ensilage est son bras armé depuis 2023. Une fois les deux silos de maïs ensilage remplis, elles offrent en effet la souplesse de récolter le restant en maïs grains humides (14 ha en 2024) ou de le vendre en grains (16 ha). « Notre bâtiment étant contraint à 86 logettes et 240 m² d’aire paillée pour les débuts de lactation, développer l’activité laitière ne peut se faire que par plus de lait par vache. Basculer en 2023 à deux tiers de la surface semés en variétés à grains n’a pas été un frein. Notre niveau d’étable a augmenté de 6,5 kg brut de lait par vache en quatre ans [voir l’infographie]. » Au contrôle laitier de décembre, il s’élevait à 36,3 kg. Les deux éleveurs s’appuient sur les essais et l’expertise de la chambre d’agriculture de l’Orne sur les variétés de maïs. « Selon Xavier Goutte, un des animateurs de notre groupe lait, certaines classées en grains par les semenciers tirent bien leur épingle du jeu en ensilage », pointe Alban Fontaine.
L’objectif du père et du fils est de contourner le potentiel agronomique limité de leur exploitation en produisant le maximum d’UFL à l’hectare par les grains. « Les tiges et feuilles de ces variétés de maïs grains sont moins digestibles mais ce qui est perdu de ce côté est gagné par l’amidon des grains pour certaines variétés de maïs », intervient Yann Martinot, qui accompagne l’élevage pour Elvup.
Semer tôt et profiter de l’humidité d’avril
En 2024, les deux tiers des semis ont été réalisés avec quatre variétés dentées bien classées par la chambre d’agriculture à la fois en ensilage et en grains : P8500, P9300, P9255 et P9042 (ordre décroissant d’utilisation). Elles seront reprises dans les mêmes proportions en 2025 car les essais de l’an passé ont confirmé leur performance dans les deux catégories. Le tiers des semis restants seront une variété classée en grains (DK4228) et deux en ensilage (LID 3910C et KWS Monumento). « Ce sont des variétés S1 et S2 précoces à demi-précoces, plutôt tardives au sein de leur groupe, détaillent les deux producteurs. L’objectif est de les semer autour du 10 avril pour profiter de l’humidité des parcelles au printemps. Le réchauffement climatique accentue les conditions météorologiques estivales aléatoires de notre terroir. »
Cela suppose en amont d’accepter de récolter de 2 à 2,5 t de MS/ha de ray-grass d’Italie en ensilant au 25 mars. « Nos sols portants dès la sortie de l’hiver le permettent. Nous le précédons d’une coupe à l’automne, même si elle est compliquée à réaliser. L’an passé, le temps pluvieux l’a poussée à novembre. Il a fallu faucher à 10 cm et enrubanner rapidement les 1 à 1,5 t de MS/ha obtenues. »
Un projet d’irrigation
Ces sept variétés de maïs sont également choisies pour leur relative résistance au stress hydrique à la floraison ou au remplissage des grains affichée par les semenciers. « Nous espérons que notre semis moins dense depuis deux ans, à 75 000 pieds/ha contre 90 000 pieds avant, y contribue aussi. » L’idéal serait d’aller plus loin dans la démarche en assignant les variétés préalablement retenues au potentiel de chaque parcelle. « Leur affectation se fait plutôt aujourd’hui en fonction du prix d’achat plus ou moins élevé des doses : les moins chères sont réservées aux potentiels les plus faibles, raisonnent-ils. De plus, cette gestion plus fine des variétés paraît compliquée car la plupart de nos parcelles sont composées de bandes de terres hétérogènes. » Pour les deux éleveurs, la sécurisation fourragère maximale sera atteinte par l’irrigation. Ils étudient actuellement un projet pour une trentaine d’hectares. Le coût estimé autour des 150 000 € les fait hésiter.
En aval, ils s’appuient sur les conseils d’Elvup pour ensiler les maïs à la bonne teneur en matière sèche. L’analyse réalisée le 17 janvier affiche 34,6 %. « Sur nos sols séchants, elle peut progresser très vite, en une semaine, de trois à quatre points. Si nous n’y prenons pas garde, trompés par leur apparence verte et les variations climatiques ces dernières années, nous atteignons facilement les 40 % de MS », pointe Alban. Ils tirent aussi profit de leurs 100 ha. « Cette importante surface permet d’adapter les chantiers d’ensilage au stade du maïs. L’entrepreneur accepte de revenir plusieurs fois », ajoute Alban.
Un premier bilan compliqué à établir
Après deux années en maïs grains, c‘est l’heure du premier bilan. Il n’est pas évident de l’établir car les étés 2023 et 2024 ont été pluvieux, voire très pluvieux. Les 12 t/ha de matière sèche dégagées l’an passé sont à l’image de ce que produit l’exploitation en conditions favorables. La stratégie de produire l’énergie essentiellement par l’amidon des grains pour sécuriser les stocks fourragers en année de fortes chaleurs n’a pas pu être testée.
On peut seulement avancer que les résultats obtenus en conditions favorables vont dans ce sens. Les 0,96 UFL/kg de MS en 2023 et les 0,98 UFL en 2024 à partir de, respectivement, 33,4 % de teneur en amidon (analyse un mois après l’ensilage) et 32,8 % (quatre mois après) prouvent la capacité des variétés choisies à fournir des valeurs énergétiques élevées. « Comme l’EARL de l’écluse densifie également la ration par 3 kg brut de maïs grains humides par vache, elle doit veiller à ne dépasser le plafond de teneur en amidon de la ration totale », souligne Yann Martinot. Le nutritionniste d’Elvup estime qu’il peut être monté à 27 % ou 28 %, « car son amidon se digère plus lentement que celui du blé ou de l’orge ». L’ajout actuellement de 4 kg à 4,5 kg de MS/vache d’enrubannage de RGI le dilue. « On ne peut pas attribuer aux variétés de maïs grains ensilés le bond de 6,5 kg de lait brut par vache en quatre ans. En revanche, elles ne l’ont pas empêché. »
Des projets en cours
Les éleveurs ont amélioré la conduite des vaches taries et des génisses, choisi une génétique holstein plus laitière ou encore apporté de la matière grasse dans la ration pour la densifier en énergie. La construction d’une stabulation neuve de 140 logettes équipée de deux robots et de panneaux photovoltaïques sur la toiture est dans les tuyaux pour plus de 1 M€. « Les litres de lait supplémentaires payés à un prix qui reste au-dessus des 450 €/1 000 litres ont quasi doublé notre marge totale sur le coût alimentaire. C’est le moment d’investir. Nous ne pouvons pas continuer à travailler dans un bâtiment qui produisait moitié moins de lait il y a dix ans. Mais nous sommes vigilants dans la gestion de notre entreprise car les charges de structure ont augmenté de façon exponentielle ces dernières années. »
Pour accéder à l'ensembles nos offres :