Des salariés plus nombreux et des profils qui évoluent
La demande de main-d’œuvre extérieure sur les exploitations laitières spécialisées a explosé. La tendance se poursuit obligeant les éleveurs à s’adapter à de nouveaux profils de salariés.
Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.
« En France, en production laitière, la part de l’emploi salarié est passée de 10 % des actifs agricoles (1) en 2010 à 21 % en 2022, représentant près de 15 000 salariés. En Bretagne, cette proportion est passée de 8 % à 16 %, soit 2 230 salariés », indique Anne Bertagnolio, du service économie emploi de la chambre d’agriculture de Bretagne. Sur la même période, dans l’Hexagone, le nombre d’éleveurs laitiers a diminué de 25 % tandis que celui des salariés a progressé de 60 %. En Bretagne, cette hausse est de 55 % (voir l’infographie ci-dessous).
L’érosion de la main-d’œuvre familiale due au vieillissement de la population agricole, l’agrandissement des exploitations agricoles et la diversification des activités (transformation, vente directe…) obligent les éleveurs laitiers à recourir davantage à des salariés. Par ailleurs, les exploitants souhaitent, comme le reste de la société, un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée. La production laitière a découvert le salariat plus tardivement que la filière porcine. « Un certain nombre de producteurs comptait sur la robotisation pour éviter d’avoir à recruter, mais cela ne suffit pas, et ils se tournent désormais vers l’embauche », souligne Gilles Burel, animateur et coordinateur de l’Association nationale pour l’emploi et la formation en agriculture (Anefa) du Finistère.
Quatre mois pour pourvoir un poste en lait
En Bretagne, en 2024, l’Anefa a recensé 431 offres d’emploi en bovin lait, soit 23 % du total en production agricole, un chiffre désormais supérieur au porc (18 %). Le marché est tendu. « En moyenne, il faut plus de quatre mois à un éleveur laitier entre le dépôt d’une annonce et le moment où le poste est pourvu », explique Valérie Heyser, de l’Anefa Ille-et- Vilaine. « L’adéquation offre-demande prend plus de temps à se mettre en place car les producteurs ont un niveau d’exigences techniques élevé. Même s’il y a des candidats, il est parfois difficile de trouver un salarié qui leur convienne. » Pourtant, les éleveurs vont devoir s’adapter pour intégrer de plus en plus de profils de salariés souvent non issus du milieu agricole. Face à ces nouveaux publics, il va falloir être plus pédagogue pour expliquer la terminologie agricole. En Bretagne, la profession travaille à lancer une certification de qualification professionnelle (CQP) agent d’élevage laitier pour l’année 2026.
Après le Covid, Valérie Heyser a observé un fort taux de reconversion de personnes issues de l’hôtellerie ou de la restauration vers l’agriculture. Aujourd’hui, les profils de candidats évoluent : certains viennent de l’informatique ou encore des services (des banques, par exemple), fréquemment avec un niveau de qualification plus élevé. Ces personnes recherchent plus de sens dans leur travail, ne souhaitent plus passer leur journée devant un écran, désirent exercer une activité physique dans leur fonction. « Ces candidats présentent de bonnes capacités d’apprentissage mais tiendront-ils dans la durée ? Les nouvelles générations n’envisagent plus de faire toute leur carrière dans un seul métier », résume-t-elle.
Anticiper le recrutement
« Les employeurs pensent qu’en proposant un CDI à temps plein et une bonne rémunération ils vont forcément trouver. L’étude que nous avons menée auprès d’étudiants sur leurs attentes et leurs aspirations concernant leurs futurs emplois montre que la génération Z (personnes nées après 1995 et avant 2010) ne raisonne pas comme eux, décrit Gilles Burel. Elle n’est pas réfractaire au travail mais elle ne veut pas vivre pour travailler. » Les jeunes veulent garder de la liberté, pouvoir faire des coupures, voyager, et recherchent plutôt de la stabilité après 30 ans (lire l’encadré ci-dessus). Une étude menée par Élodie Gentina en 2018 indiquait que la génération Z représenterait 50 % des effectifs en entreprise en 2025.
Trop souvent encore, les éleveurs n’anticipent pas leur recrutement. Ils attendent le dernier moment alors que les volumes de production sont importants, qu’ils sont débordés et que les parents sont partis. C’est un cercle vicieux. Une grande majorité est restée dans la configuration classique du marché de l’emploi où le demandeur appelle l’employeur. Ce n’est plus le cas en agriculture. En moyenne, un étudiant titulaire d’un BTS production animale trouve un emploi en trois jours sur la plateforme de l’Anefa. L’éleveur qui anticipe et libère du temps pour sa recherche de salarié va trouver plus facilement.
Il faut avoir conscience que, dans certains territoires, le recrutement est plus difficile. À la campagne, il existe une problématique d’hébergement. La mobilité devient aussi un facteur limitant, notamment avec des jeunes qui n’ont pas le permis de conduire. « On sait qu’au-delà de 25 km, souvent, la personne ne va pas rester. »
Les mentalités doivent évoluer
L’adaptation passe aussi par l’évolution des mentalités. « En Bretagne, 60 % des candidats en production laitière sont des femmes et, pourtant, elles ne représentent que 25 % des salariés du secteur (y compris les conjointes d’exploitants salariées) », détaille Gilles Burel. Les employeurs devront tenir compte de cette féminisation. « On peut s’étonner qu’après cinq ans d’études agricoles (bac agricole et BTS), une jeune femme n’ait pas appris à conduire un tracteur, ni durant sa formation ni pendant ses stages », lance-t-il.
L’exploitation agricole va devoir également bouger sur l’accueil des salariés : quid des sanitaires, douches, vestiaires, lieu de pause, équipements (machine à laver)… Le droit du travail impose des toilettes accessibles sur le lieu de travail. Le salarié d’aujourd’hui n’a pas forcément envie de ramener « l’odeur des vaches » à la maison ou à la garderie lorsqu’il récupère ses enfants ni de rapporter ses vêtements de travail sales chez lui. « Contrairement au porc, la production laitière n’a pas anticipé leur intégration dans la conception des bâtiments. Les choses évoluent mais avec dix ans de retard », constate l’animateur. Passage aux 39 heures, aux 35 heures, semaine de quatre jours… Les agriculteurs ont toujours suivi le mouvement. « Il faut arrêter de penser que l’agriculture ne peut pas attirer des salariés », positive Valérie Heyser. « Beaucoup d’habitudes peuvent changer qu’il s’agisse de la flexibilité des horaires ou de l’organisation du travail. » « En se donnant plus de souplesse, on peut intéresser davantage et attirer de nouveaux profils avec pourquoi pas demain des salariés pluriactifs », conclut-elle.
(1) Données en équivalent temps plein (ETP) regroupant les exploitants, conjoints ou autres actifs non salariés, salariés permanents, occasionnels ou saisonniers.
Pour accéder à l'ensembles nos offres :