Coups durs Ces exploitations qui encaissent mieux que les autres
Depuis une quinzaine d’années, la multiplication des aléas de tout ordre (climatique, sanitaire, économique, réglementaire), la volatilité liée à la sortie des quotas et le manque de visibilité sur l’avenir soumettent les exploitations laitières à rude épreuve. Comment faire pour être plus résistant ?Dossier réalisé par Anne Bréhier
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De durée et d’intensité variables, ces crises successives n’ont pas touché de la même façon toutes les exploitations. De nombreux élevages ont dû assécher leur trésorerie et accroître leur endettement pour faire face à la chute de leur EBE et de leur revenu. Certains ont mieux résisté que d’autres. Forte de ce constat, une équipe de l’Institut de l’élevage, pilotée par Jocelyn Fagon et Dominique Caillaud, a souhaité approfondir le mode de fonctionnement et de gestion de ces entreprises pour comprendre pourquoi elles ont été en meilleure capacité d’absorber et d’encaisser les chocs. Qu’est-ce qui leur a permis de passer les caps difficiles, de maintenir leur revenu dans la durée. Qu’est-ce qui a fait leur résilience ?
À cet effet, les données technico-économiques d’un échantillon constant de 330 fermes du dispositif Inosys-Réseaux d’élevage ont été analysées sur sept ans (2007-2013). À l’intérieur de quatre systèmes de production différents(1) et sur la base du revenu moyen disponible par UMO(2), des profils d’exploitations plus ou moins robustes ont été identifiés. Dans chaque profil, les exploitations les plus résilientes (quartile supérieur) ont été comparées à leurs homologues les moins résilientes (quartile inférieur), sur la base d’un ensemble de critères permettant de les caractériser en termes de dimension, de productivité de la main-d’œuvre, de niveau d’autonomie alimentaire, de fonctionnement technique (intensification du système, reproduction), de maîtrise des charges opérationnelles (alimentation, énergie, fertilisation) et, plus généralement, d’efficacité économique.
Pour compléter ces données quantitatives, des « focus group », organisés fin 2016 dans quatre régions françaises, ont permis à des éleveurs d’échanger sur la notion de résilience et sur ses leviers. À travers ces réunions participatives, la résistance a pu être abordée de façon plus qualitative, en s’ouvrant aux dimensions sociales et environnementales.
Les cinq principauxenseignements
Les exploitations laitières les plus résilientes sont plus robustes financièrement : leur niveau de revenu disponible est plus stable d’une année sur l’autre, celui d’efficacité technico-économique est plus élevé. Globalement, les exploitations résilientes présentent une forte productivité du travail (lait par UMO) et un niveau d’efficience économique supérieur.
Celle-ci est souvent associée à une bonne autonomie alimentaire, à une maîtrise des charges, à des choix d’investissement raisonnés et efficaces (combinés à des augmentations de production adéquates). Les marges brutes des ateliers résilients sont supérieures de 30 à 60 €/1 000 litres de lait à celles observées en moyenne au sein de chaque famille de système. Le poids des charges de structure dans le produit brut est inférieur de 2 à 3 points.
Le caractère résilient d’une exploitation laitière n’est pas forcément lié à un type de système . Même si, dans l’étude, les exploitations en polyculture-élevage se retrouvent plus fréquemment parmi les exploitations les plus résilientes. « La polyculture tire les moyennes de revenu par UMO vers le haut à cause d’un niveau d’aides par UMO plus élevé, note Jocelyn Fagon. Cela est lié à un pourcentage de maïs plus important dans l’assolement, et à un volume de lait produit/UMO supérieur (455 000 litres en polyculture-élevage de plaine, soit 130 000 litres de plus que les spécialisés). Les économies d’échelle entre ateliers culture et élevage et la bonne performance des cultures sur cette période 2007-2013 expliquent également cette situation. »
La résilience n’est pas liée à un type de stratégie : voie « volume », voie « économe », voie « valeur ajoutée ». Elle dépend plutôt de la cohérence et de la maîtrise des choix opérés dans la trajectoire d’évolution de l’exploitation. « Si l’objectif retenu est de produire plus, il sera essentiel de continuer à maîtriser le nouveau système aussi bien qu’avant, en veillant à ce que les charges n’augmentent pas plus vite que les produits, note Monique Laurent, de l’Institut de l’élevage. De même, la croissance des annuités ne devra pas s’accompagner d’une baisse de l’efficacité économique du système (EBE). Il faudra être capable de piloter les nouveaux équipements dont l’élevage s’est doté. » L’analyse de certains échecs montre que cela n’est pas gagné d’avance.
Insuffisamment maîtrisé, l’agrandissement de l’atelier lait ou le regroupement d’exploitations distantes constitue un facteur de risques qui doit être pris en compte. La conduite du troupeau ou des surfaces peut ne pas être optimale, faute de temps à consacrer à l’un des sites repris. Les modifications du système induites par l’agrandissement peuvent fragiliser l’atelier : l’abandon du pâturage à la suite de l’introduction du robot exigera davantage de fourrages stockés. Il faudra gérer les concentrés pour éviter que les coûts n’explosent.
On peut être petit et résilient. Bien que les exploitations les plus résilientes soient souvent les plus grandes, la dimension de la structure n’a pas été retenue comme un facteur déterminant. L’efficacité technico-économique et la cohérence du système de production interviennent davantage.
Pour renforcer la capacité de résistance de son exploitation face aux aléas divers et variés, l’agriculteur doit avoir en tête un certain nombre de points de vigilance.
L’amélioration des marges sur coûts alimentaires permet de renforcer la trésorerie et la capacité d’investissement. Alors qu’une forte dépendance à l’extérieur (carburants, intrants) rend moins résilient, a contrario, l’optimisation des produits (qualité du lait, croisement sur petits veaux) améliore l’efficacité économique, et donc la résilience.
Plus l’environnement devient incertain, plus les notions d’endettement et de pilotage de la trésorerie prennent de l’importance, plus la capacité de l’agriculteur à mobiliser les financements extérieurs, à créer de l’épargne de précaution et des stocks devient essentielle.
Un manque d’anticipation peut être dramatique
Tout gros changement, même choisi, doit être anticipé et mesuré. Qu’il s’agisse d’une augmentation de production, de la reprise d’une exploitation, de l’introduction d’une nouvelle technologie ou de l’acquisition d’un équipement de confort, il faut s’interroger : quel sera son impact sur la conduite du troupeau, le système fourrager, l’EBE, la trésorerie ? Que se passera-t-il en cas de baisse du prix du lait ? Dans une conjoncture tendue, une charge fixe peut s’avérer lourde. Les cotisations MSA seront certes réduites, mais il y aura des annuités à rembourser. « Le risque d’un manque d’anticipation peut être lourd de conséquences dans une mauvaise conjoncture », souligne Monique Laurent.
(1) Spécialisé lait de plaine, mixte lait-viande de plaine, polyculteur-éleveur, systèmes de montagne et piémont (hors AOP de l’Est). (2) Revenu disponible/UMO exploitant : EBE moins les annuités et les frais financiers. C’est ce qui reste pour les prélèvements privés et l’autofinancement.
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