Lait standard S’agrandir pour gagner plus : leurre ou réalité ?
Promesse de dilution des charges (économies d’échelle) et de revenu supplémentaire, l’augmentation des volumes est une réalité dans la plupart des élevages de plaine. Les résultats sont-ils à la hauteur ? Est-ce un passage obligé pour être encore éleveur laitier demain ? Peut-on s’en affranchir ?
Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.
Que l’on soit pour ou contre, l’augmentation des troupeaux laitiers en France est une réalité. Fin 2016, alors que la moyenne des cheptels est de 60 vaches (66 dans le Grand Ouest), 78 % des élevages sont en croissance : + 15 vaches sur les cinq dernières années, +22 vaches sur les dix dernières années. Dans certaines zones telles que le Sud-Ouest, la proportion de troupeaux en développement est toutefois nettement plus faible. « Contrairement à 2009, la crise laitière 2015-2016 n’a pas stoppé cet élan, ni le développement de cheptels de plus de 100 vaches. Ces derniers détiennent aujourd’hui 25 % du cheptel laitier contre 3 % en l’an 2000 », note Christophe Perrot, du département économie à l’Institut de l’élevage (Idele).
L’investissement peut fragiliser
Ce phénomène, commente Benoît Rubin, chef du service économie de l’exploitation et délégué régional Bretagne Pays de la Loire à l’Institut de l’élevage, répond à une logique patrimoniale et aux opportunités offertes par certaines laiteries. « Il est difficile d’y résister quand on a été bloqué durant trente ans par les quotas et qu’un jeune va s’installer. Cette dynamique est aussi favorisée par notre fiscalité et par un certain état d’esprit. En France, quel que soit le secteur d’activité (agricole ou non), l’investissement est vertueux. Il n’est pas associé à une charge. Le problème, c’est le hiatus qui existe entre l’image positive renvoyée par le beau bâtiment neuf, et sa rentabilité économique. Avec le prix du lait des trois dernières campagnes, il y a un décalage important entre les investissements nécessaires pour monter en production, et la possibilité de financer et de rentabiliser les équipements supplémentaires. » Aux difficultés liées au contexte laitier d’aujourd’hui s’ajoutent des phénomènes insuffisamment pris en compte par les éleveurs. « Quand on accroît fortement la taille de son troupeau, on modifie en profondeur la manière dont on le conduit, explique Benoît Rubin. Des ruptures interviennent en effet dans le système d’alimentation, la conduite du troupeau, l’assolement, la relation animaux-cultures. L’agrandissement s’accompagne le plus souvent d’un processus d’intensification par hectare ou par animal : il y a plus d’alimentation distribuée à l’auge et moins de pâturage. La charge de travail, son organisation et la structure d’endettement de l’exploitation sont également modifiées. »
Ces changements, générateurs de surcoûts, sont souvent sous-estimés.
« Une réflexion froide et lucide en amont du projet est indispensable »
« On part du fait que toute chose va être égale par ailleurs, ce qui est faux. On fait plus de maïs, mais sur des terres différentes au potentiel moindre ou sur un parcellaire plus éloigné. Les concentrés consommés partent parfois en flèche. On passe d’une situation où une grande partie des bâtiments était amortie, à une situation où il faut financer un bâtiment neuf de grande dimension. Le fonds de roulement est mal financé, on est tendu en trésorerie. Si le prix d’équilibre passe de 340 à 370 € les 1 000 litres, le projet ne va pas renforcer l’exploitation. Il le fragilise. » S’il existe une corrélation entre la taille de l’atelier lait et le revenu (voir infographie ci-dessus), il n’est pas concevable de partir sur un projet d’agrandissement quand on n’a pas d’abord optimisé le système en place. « Il est préférable de faire mieux avant de faire plus, préconise Benoît Rubin. Par contre, si l’efficience économique, mesurée par le ratio excédent brut d’exploitation (EBE) avant les charges de main-d’œuvre sur produit, est supérieure à 40 % durant trois ou quatre exercices, alors ça peut avoir du sens d’aller chercher des volumes supplémentaires. » Après l’agrandissement du troupeau, l’exploitation doit être plus solide qu’avant. « Une réflexion froide et lucide en amont du projet est indispensable, conseille l’économiste de l’Institut de l’élevage. Des questions doivent être posées : quel sera l’impact de mon projet d’investissement sur mon prix d’équilibre, sur mon EBE, sur ma capacité à rembourser les annuités ? Ai-je des alternatives ? Puis-je envisager différemment mon projet, gérer autrement mon système, investir autrement ? »
« Dans un grand troupeau, la compétence en gestion devient primordiale »
Pour réussir son agrandissement, il est aussi indispensable de considérer que la gestion est une fonction principale. Or, trop souvent, celle-ci est négligée, voire externalisée. « Même bien formés, trop peu d’agriculteurs, ont de l’appétence pour la gestion. Or, conduire un grand troupeau est un facteur de multiplication de risques. Une erreur de 10 €/1 000 litres a un impact différent sur 100 000 litres ou 10 millions de litres. Il faut donc être vigilant sur les coûts, alors que la culture du cost killer n’est pas très répandue dans notre pays. »
Outre un raisonnement très pointu sur les niveaux d’investissements « soutenables », les éleveurs engagés dans une réflexion d’agrandissement doivent prendre aussi en compte le risque à développer des systèmes non pâturants, non seulement pour des raisons économiques, mais aussi pour des raisons sociétales. « En Allemagne du Nord,les nouveaux programmes d’aide aux investissements en bâtiments laitiers favorisent les projets où les éleveurs prévoient de sortir leurs animaux, observe Christophe Perrot. En France, on voit apparaître des primes ou des obligations de pâturage dans certains cahiers des charges. Il faut intégrer ces évolutions dans le choix de la taille de son troupeau. »
La taille n’explique pas tout
Il existe encore d’autres solutions de développement que l’agrandissement. Les exploitations de taille moyenne, économes et autonomes, avec pâturage et maîtrise des charges, obtiennent en moyenne de bons résultats, surtout si elles ajoutent une valeur ajoutée à leur lait (bio, certaines AOP). C’est ce que montrent les chiffres analysés par l’Institut de l’élevage : « En 2011, il était possible de dégager avec 50 vaches le même revenu moyen par UTA qu’avec 100 vaches. C’était toujours vrai, et même plus fréquent en 2015. Sur cinq ans, un quart des exploitations de plaine de moins de 50 vaches ont aussi bien rémunéré leur main-d’œuvre que la moyenne des exploitations ayant plus de 100 vaches. » La taille n’explique pas tout, loin de là.
Pour accéder à l'ensembles nos offres :