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APRÈS-QUOTAS UNE MÉTHODE POUR SE PRÉPARER À GÉRER AUTREMENT

© CLAUDIUS THIRIET

La volatilité des prix et la disparition des quotas bouleversent la stabilité qui caractérisait le secteur laitier depuis trente ans. Pour aborder ce virage avec sérénité, les éleveurs doivent réfléchir à leur adaptation. Des outils se mettent en place pour les y aider.

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LES FORTES FLUCTUATIONS DES PRIX SONT ENTRÉES DANS LE QUOTIDIEN des éleveurs depuis 2007, et elles s'installent durablement. Elles concernent aussi bien les achats que les ventes. En conséquence, on sait que désormais, les périodes favorables vont alterner avec d'autres, plus difficiles. L'éleveur n'ayant pas la maîtrise de ces évolutions, il n'a pas d'autre choix que de s'y adapter. Deuxième évolution majeure, les volumes produits ne dépendront plus d'une gestion administrative stable et donc prévisible. Ils seront liés à la stratégie de la laiterie de chacun. D'où la nécessité de connaître les marchés et les orientations de son entreprise. Les éleveurs ne pourront plus se désintéresser du devenir de leur production. Sinon, ils prendront le risque de faire des choix déconnectés des opportunités réelles de leur collecteur. Les organismes de conseil en élevage se préparent pour aider les éleveurs à passer ce cap et à rebondir dans un monde qui sera très différent. L'Institut de l'élevage y travaille depuis trois ans (voir encadré). Et les centres de gestion ne sont pas en reste.

De ces travaux, on retiendra tout d'abord que c'est en réfléchissant à sa propre situation, d'une manière construite et structurée, que l'éleveur pourra se préparer et donc envisager son avenir avec sérénité. Les grandes étapes de cette réflexion concernent d'abord la définition de ses propres attentes et la connaissance des opportunités liées à l'entreprise. Le deuxième axe vise à évaluer la situation actuelle de l'exploitation, avec ses atouts et ses contraintes. L'enjeu est d'évaluer sa capacité productive et les moyens simples de lever les facteurs limitants. Dans un troisième temps, l'éleveur déterminera ses projets d'avenir et étudiera leur faisabilité technique et économique. Enfin, dans un contexte qui reste marqué par l'incertitude, des simulations lui permettront d'appréhender sa capacité à réagir à des opportunités. Par exemple, dans quelle mesure pourra-t-il répondre à une demande d'augmentation ou de réduction ponctuelle de ses livraisons ? Il s'agit là de voir les réponses techniques, mais aussi leurs implications économiques et donc leur rentabilité. Tous ces points sont décrits dans un guide technique que l'Institut de l'élevage s'apprête à publier. Enfin, la perte de stabilité des prix conduit à un nouveau mode de gestion économique de l'exploitation. Il s'agit de sécuriser la pérennité de l'exploitation face aux aléas des marchés.

Connaître et comprendre la stratégie de la laiterie

Les marchés sont porteurs à l'export et devraient le rester, mais avec des prix très fluctuants. Certaines laiteries cherchent à se placer sur ces marchés avec, à la clé, des perspectives de progression en volumes mais une forte volatilité des prix. D'autres entreprises se recentrent sur leurs marchés européens où la concurrence rude peut avoir un impact sur les prix comme sur les volumes. On l'a vu avec l'emmental ou le lait de consommation. Ces choix ne sont pas neutres pour les producteurs. « Les échanges internationaux progressent plus vite que la production, précise Gérard You, économiste à l'Institut de l'élevage. Et la situation évolue rapidement. L'Europe exporte aujourd'hui des briques de lait vers la Chine, une activité inexistante il y a peu. » Mais l'ajustement entre l'offre et la demande est délicat. Un léger décalage suffit pour faire grimper ou plonger les prix. Gérard You classe les transformateurs laitiers en fonction de leur dimension et de leur stratégie. Globalement, les coopératives souhaitent accompagner le développement de leurs adhérents, mais souvent d'une manière frileuse, avec des prix différenciés. Les privés cherchent souvent à limiter leur collecte au niveau actuel et se distinguent par deux types de stratégies, visibles dans les contrats qu'ils ont rédigés. Il y a ceux qui veulent cadrer leur collecte avec des contraintes de saisonnalité fortes (Bel, Bongrain...). Et d'autres qui préfèrent une référence annuelle sans saisonnalité (Lactalis).

Mais les comportements vont évoluer et se différencier de plus en plus en fonction des besoins propres de chaque entreprise. Déjà, certaines coopératives de montagne réfléchissent à des prix différents selon la destination du lait. La Prospérité Fermière propose des contrats portant sur des volumes assez importants (70 000 l sur une campagne), avec des prix garantis, mais variables selon la date d'engagement. Les prix dissuasifs font leur apparition (50 € chez Sodiaal). De plus, l'équilibre entre l'offre et la demande de lait pourra lui aussi évoluer. Le prix des céréales sera déterminant. La réforme de la Pac, défavorable à l'élevage intensif de plaine, pourra aussi instiller un certain découragement. Ceci jouera sur la relation entre producteurs et laiteries. La création des organisations de producteurs va créer une certaine distance entre les

industriels et les producteurs, ces nouvelles organisations se positionnant à l'interface entre les deux. « Je crois que les organisations de producteurs deviendront des acteurs économiques dont le rôle peut aller très loin », estime Gérard You. Mais il pense également qu'en cas de manque de lait, les comportements des producteurs auront plutôt tendance à s'individualiser. Chaque éleveur doit donc se renseigner pour savoir ce qu'il peut attendre de son entreprise en termes de volumes, de prix, mais aussi de conditions de livraison.

Évaluer la capacité de production de l'élevage

L'Institut de l'élevage a conçu un nouvel outil, Capacilait, qui vise à identifier les facteurs limitants de la production, exprimés en nombre de vaches laitières. Cette analyse tient compte à la fois du contexte réel et des aspirations des éleveurs. Sept éléments sont étudiés : travail, distribution de l'alimentation, logement, traite, fourrages, environnement et cahier des charges. Pour chacun, on regarde où se situe la limite. Ceci permet de visualiser le nombre maximal de vaches qui peuvent être présentes.

Les seuils les moins élevés sont décortiqués afin de voir s'il est possible de les relever sans modifications profondes. Par exemple, si l'effectif est limité par la production fourragère, peut-être est-il possible de modifier l'assolement sans bouleverser le système ? Des solutions comme l'ajout de postes de traite ou la délégation permettent de desserrer la contrainte sur la main-d'oeuvre.

« Cette démarche est simple et rationnelle », commente Marie-Pierre Jacqueroud, du pôle production laitière de l'Institut de l'élevage. Les éleveurs qui l'ont testée ont généralement apprécié la méthode. Cela leur permet de voir jusqu'où ils peuvent augmenter leurs livraisons sans s'engager dans des modifications profondes ou coûteuses

Identifier et analyser les projets

Beaucoup d'exploitations ont des réflexions en cours pour évoluer. Il peut s'agir de la préparation d'un départ à la retraite, de l'installation d'un jeune, de la construction d'un bâtiment, d'un nouveau bloc pour la traite... Dans ce cas, il est nécessaire d'analyser le projet dans le nouveau contexte qui s'annonce. Le calcul va jusqu'au revenu disponible. Il tient compte de l'évolution éventuelle du volume produit et des annuités supplémentaires. Mais surtout, pour intégrer l'incertitude qui pèse sur l'évolution des prix, la robustesse est analysée à travers diverses hypothèses. Il s'agit de voir l'impact sur l'EBE et le revenu, d'une variation du prix du lait de plus ou moins 30 €/1 000 l ou celui des céréales de 50 €.

« En testant ainsi le projet, on mesure mieux les risques et on peut évaluer le montant de l'épargne de précaution nécessaire pour sécuriser l'exploitation », précise Marie-Pierre Jacqueroud.

Repérer les leviers d'action sur les livraisons

La demande des laiteries pourra évoluer ponctuellement à la hausse ou à la baisse. Pour se préparer à cette nouveauté, il est intéressant de voir, dans le contexte de l'élevage, les leviers d'action disponibles. On pense bien sûr à l'ajustement des concentrés et des effectifs. Mais il y en a d'autres, telles la durée du tarissement ou la fréquence de traite (voir graphique).

« Nous avons recensé douze leviers différents et nous avons rédigé une fiche pour chacun », souligne Marie-Pierre Jacqueroud. Ceci permet de voir l'impact de chacun sur le volume de livraison, mais aussi le délai de réponse, la facilité de retour en arrière et la rémanence. De plus, ces fiches permettent de calculer un budget partiel pour chaque éleveur. En clair, est-il rentable de produire plus ou moins en jouant sur les concentrés, compte tenu de leur prix, de la réponse espérée par le troupeau, et du prix du lait proposé ?

Benoît Rubin a piloté l'ensemble de ce travail à l'Institut de l'élevage. Des études réalisées en élevage, il tire plusieurs enseignements qui peuvent être utiles à tous : « La dimension de l'effectif détermine la capacité de l'exploitation à s'adapter. » Mieux vaut donc s'assurer de ne pas être au taquet si l'on veut travailler en souplesse. La trésorerie est un autre poste à ne pas négliger. « Il en faut un minimum pour activer certains leviers », insiste-t-il.

Enfin, la détermination du niveau de l'épargne de précaution, indispensable pour faire face aux aléas, nécessite une réflexion spécifique. Réfléchir à ces questions dès aujourd'hui permettra aux éleveurs de réagir plus facilement lorsque la conjoncture les éprouvera.

PASCALE LE CANN

© CHRISTIAN WATIER

Marie-Pierre Jacqueroud, du pôle production laitière à l'Institut de l'élevage

Gérard You, économiste à l'Institut de l'élevage.

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