Deux installations permises par la création d’un atelier fromager
par Denis Lehé28/03/20248 min de lecture
De droite à gauche : Alexia, Justine et Benoit Tessier, les trois associés du Gaec Gaec de la Vallée de Saint-Flour, accompagnés de Simon et Cindy, leurs deux salariés, devant le magasin et le laboratoire. (Attention sur Photo GV01 B, c’est Alexia, Benoit Justine…)
Justine et Alexia Tessier, toutes deux anciennes aides-soignantes, ont quitté le milieu médical pour rejoindre l’élevage familial et produire des fromages. Formations, études de marché, construction du laboratoire, choix des équipements, commercialisation..., elles décrivent les étapes de leur projet.
Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.
« Fin 2020, après les différents confinements liés au Covid, j’ai voulu me reconvertir professionnellement, explique Justine Tessier, du Gaec de la Vallée de Saint-Flour, à Puceul, en Loire-Atlantique. À l’époque, j’étais aide-soignante et, comme ma belle-mère prenait sa retraite d’agricultrice, j’ai réfléchi à rejoindre mon mari, Benoît, sur la ferme familiale. Au départ, j’ai commencé par travailler deux jours par semaine durant une période de transition, puis j’ai décidé de rester. Mais je voulais un projet avec plus de relations vers l’extérieur : d’où l’idée de créer un atelier de transformation du lait à la ferme avec vente en circuit court. Alexia, la sœur de Benoît, s’est montrée intéressée elle aussi par le projet. Ce fut le début de l’aventure. »
Formation et étude de marché
Alexia, qui était également aide-soignante auparavant, réalise un bilan de compétences ainsi qu’une période d’essai à la ferme. Les deux belles-sœurs visitent en parallèle des ateliers de transformation dans des exploitations du secteur et suivent une formation sur la vente directe dispensée par la chambre d’agriculture. Au mois de décembre 2021, leur décision est prise et le projet est lancé. Pour limiter le risque de concurrence, elles s’orientent vers la production de fromages, d’autres éleveurs des environs faisant déjà des yaourts et des crèmes glacées. Toutes deux s’inscrivent à l’Énilia (1) de Surgères pour une formation comprenant deux semaines sur place et quatre semaines de travail à la maison. « Suivre ces cours nous a confortées dans notre projet de transformation laitière, se souvient Alexia. Avec notre expérience des métiers médicaux, nous sommes habituées à suivre des protocoles stricts et à respecter des règles d’hygiène. Cela ne nous est pas apparu comme une contrainte. En parallèle de la formation, nous avons débuté une étude de marché avec les conseils de la chambre d’agriculture. Il fallait déterminer quels types de fromages nous voulions produire et les volumes à traiter. »
À partir de ce travail, les deux jeunes trentenaires établissent un business plan sur cinq ans. Elles optent pour la vente directe, avec un magasin ouvert deux jours par semaine et des casiers accessibles en libre-service pour que les clients puissent venir chercher leurs commandes quand ils le souhaitent. La ferme est située à proximité d’une sortie de la 2 x 2 voies entre Nantes et Rennes, un axe avec beaucoup de passages. Le projet prévoit d’aménager un laboratoire et un magasin à la place de l’ancienne salle de traite désaffectée depuis plusieurs années. Une partie du hangar voisin, servant alors au stockage du fourrage, doit aussi être annexée. L’étude de marché nécessite d’intégrer tous les devis, ainsi que les demandes éventuelles d’aides afin d’avoir une approche financière précise.
Courant 2022, le projet prend forme. L’étape la plus compliquée fut de choisir les équipements. Alexia et Justine ont heureusement collecté beaucoup d’informations lors des visites d’exploitations et au cours de leur formation à Surgères. Elles ont tenu à privilégier les matériels ergonomiques pour réduire la pénibilité. Ainsi, les cuves et les outils utilisés au quotidien sont surélevés pour éviter qu’elles aient à se baisser. Les tables et les étagères sont aussi choisies en conséquence : « Nous sommes tout le temps debout, rappelle Justine. Une tomme de fromage pèse environ 10 kg, c’est lourd à manipuler. Il faut prendre cela en compte pour éviter de réaliser de mauvais gestes qui entraîneraient des TMS [troubles musculo-squelettiques]. Pour l’aménagement des locaux, c’est la même chose : chaque détail a son importance, surtout sur le long terme. Pour les écoulements des eaux de lavage, par exemple, nous n’avons pas voulu poser des avaloirs à différents points du laboratoire car cela nous aurait obligés à créer des pentes dans tous les sens au niveau du carrelage. C’est pourquoi nous avons opté pour un caniveau unique tout en longueur. L’investissement est plus élevé, mais le sol a ainsi un profil régulier et il est plus facile de pousser les chariots à roulettes. »
Le transfert du lait de la salle de traite au laboratoire a également fait l’objet d’intenses réflexions. En effet, une route sépare le nouveau local de la stabulation. Les associés avaient au départ imaginé créer un lactoduc passant sous la chaussée, mais ils ont abandonné cette idée par crainte d’une contamination du circuit. Leur choix s’est porté sur l’achat d’un petit tank de 1 000 l posé sur une palette. Pendant la traite, il est placé à côté du tank principal. Le trayeur insère le tuyau collecteur à l’intérieur et dépose la quantité de lait prévue. Puis cette cuve de transfert est reprise avec le chargeur télescopique que le chauffeur vient positionner en hauteur, à l’extérieur du laboratoire.
Un trou a été pratiqué dans le mur pour y faire passer un tuyau à brancher sur le tank et laisser le lait s’écouler par gravité jusqu’à une autre cuve située à l’intérieur. Une fois le tank vide, le chauffeur déconnecte le tuyau de transfert pour le rebrancher sur un circuit de lavage spécifique. Ce principe simple évite d’utiliser une pompe spécifique pour le lait.
L’atelier fonctionne depuis le printemps 2023. Les deux agricultrices proposent une dizaine de variétés de produits : fromages frais ou à pâtes molles, tommes et fromages à raclette. Elles conditionnent aussi du lait pasteurisé en bouteilles. La communication est prise très au sérieux car il est important de faire connaître toute la gamme et de développer la commercialisation. Des messages sont ainsi postés régulièrement sur Facebook et Instagram et une journée découverte a été organisée au mois de mai à la ferme. Pour l’occasion, un brasseur artisanal était présent. Au total, une centaine de personnes ont fait le déplacement, avec ensuite de bonnes retombées en nombre de clients. L’objectif est donc de continuer à développer les ventes en se rapprochant de comités d’entreprise, de supermarchés, de cantines, etc. Les deux associées se déplacent aussi sur des marchés où elles présentent leurs produits et communiquent sur le magasin à la ferme.
Actuellement, la production de fromages consomme environ 700 litres de lait par semaine. Cela représente près de 40 000 l de lait ainsi valorisés à l’année. « Nous concentrons la transformation sur deux journées par semaine afin d’optimiser notre organisation. Nous gardons du temps pour identifier de nouveaux débouchés, explique Alexia. Actuellement, nous arrivons à écouler toute notre production, mais l’objectif est d’accroître l’activité progressivement. Le business plan prévoit d’atteindre 180 000 l de lait par an d’ici à la cinquième année, ce qui correspond à la capacité de l’atelier. Pour le moment, nous sommes dans les clous. »
(1) Énilia : École nationale d’industrie laitière et des industries agroalimentaires.