« Depuis la crise, je produis plus de lait mais à moins cher »
Depuis deux ans, Didier Vancaeyzeele fait le ménage dans ses charges opérationnelles. Il a donné un tour de vis à la distribution des concentrés. Le lait qu’il produit aujourd’hui l’est davantage à partir des fourrages.
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Une exploitation laitière est comme un gros paquebot. La faire dévier de sa trajectoire ne se fait pas du jour au lendemain. Il faut deux à trois ans pour ajuster les effectifs, faire évoluer l’alimentation, modifier la répartition des vêlages, etc. « Seulement, il y a des moments où il faut trancher dans le vif », dit Didier Vancaeyzeele, qui mène seul ses 74 vaches sur 74 hectares. Un salarié lui donne un coup de main une journée par semaine.
« Depuis l’automne 2015, la trésorerie est tendue. J’ai dû utiliser pleinement deux ouvertures de crédit que j’avais à ma disposition. J’ai remboursé l’an passé 19 000 €. Je mets actuellement de côté 1 000 € chaque mois pour rembourser l’an prochain la deuxième partie de 30 000 €. Et j’ai serré les boulons. »
Il décide de s’attaquer aux dépenses en concentrés, dont la facture est montée à 103 €/1000 l en 2013 et 99 €/1000 l en 2014. C’est que ces deux années-là, les voyants sont au vert pour produire. Sa référence augmente et le marché est au beau fixe. Il produit quasiment 100 000 litres de plus qu’en 2012 grâce à douze vaches supplémentaires et… plus de concentrés.
« J’ai baissé de moitié le concentré de production »
« La quantité de concentrés grimpe à 266 g par litre de lait produit, ce qui est 35 à 45 g plus élevé que son groupe Écolait », confirme Sophie Flahaut, ingénieur conseil au BTPL qui anime le groupe de 19 éleveurs de Seine-Maritime et Eure.
La réduction drastique se fait véritablement à partir de l’automne 2015. Le prix de base s’effondre à 288 €/1000 l en octobre, et encore plus en novembre, à 250 €. « J’ai baissé de moitié le concentré de production qui est distribué au Dac. De 3 kilos par vache en moyenne, je suis passé à 1,5 kilo. De plus, les vaches qui ont un bon état corporel les deux ou trois derniers mois de leur lactation n’en reçoivent plus. » Résultat : l’éleveur est au-delà de ses collègues Écolait dans ses efforts sur les concentrés. Entre les campagnes 2015 et 2016, il diminue leur distribution de 68 g par litre de lait produit, eux de 28 g. Il s’offre même le luxe d’être en dessous de la moyenne du groupe, alors que depuis quatre ans, il est dans la tranche supérieure. Le niveau d’étable s’en trouve à peine affecté. « Il passe de 9 133 litres vendus par vache en 2015 à 8 967 litres en 2016. Les animaux ont compensé la diminution du concentré de production en consommant plus de fourrages. »
Effectivement, selon le bilan fourrager 2016 réalisé par Sophie Flahaut, l’éleveur a distribué, en moyenne, 2 kg de matière sèche de plus par jour. « Je n’ai rien changé à mon système fourrager. En hiver, les vaches reçoivent du maïs-ensilage en plat unique avec de la paille. J’ai été un peu plus généreux dans les quantités distribuées. Je choisis aussi depuis trois ans des variétés plus digestibles. Au printemps, j’essaie de mieux valoriser les huit hectares de pâturage réservés auxvaches. »
La preuve : toujours selon le bilan fourrager Écolait, les laitières ont consommé autant d’herbe en 2015 et 2016 alors que le troupeau s’est encore agrandi. « Les résultats sont là, pointe Sophie Flahaut. Soixante-six pour cent du lait produit par Didier Vancaeyzeele en 2016 le sont grâce aux fourrages, contre 49 % en 2013. » Lui nuance l’analyse : « Distribuer 1,5 kg de concentré de production est le minimum que je puisse m’autoriser, estime-t-il. L’état corporel des vaches s’était un peu dégradé. Les poids de carcasse des réformes s’en sont trouvés affectés : en moyenne 313 kg, contre 350 kg en 2015. » Il reste malgré tout sur ce niveau d’apport. Côté herbe, il accentue son exploitation. Au printemps 2017, il crée des paddocks pour deux jours de pâturage contre trois à quatre jours avant. Le printemps 2018 est prévu sur cette organisation.
L’ensilage d’herbe a également un peu plus de place dans la ration laitière. « Depuis deux ans, je cultive 10 ha de ray-grass d’Italie en dérobé du maïs. Cela m’a bien rendu service l’été dernier. » La ferme n’a pas reçu une goutte d’eau de juin à septembre.
« Aller chercher les derniers litres de lait n’est pas forcément rentable »
Didier s’est retrouvé en position inconfortable : gérer l’absence de pousse d’herbe, faire face à des stocks de maïs-ensilage insuffisants après des rendements 2016 tombés à 12 t de MS/ha, et assurer, pour la deuxième année consécutive, la livraison de 650 000 l. « L’année 2017 est certes particulière mais, passé le pâturage de printemps, tous les ans, les vaches sont à 80 % en ration hivernale car mes sols sont séchants. Je vise une production mensuelle constante avec des vêlages étalés toute l’année. Comme il n’est pas facile d’ajuster la quantité de maïs, j’ai tendance à distribuer plus de concentrés l’été. »
En 2017, pour compenser le manque de maïs, il achète donc 20 tonnes de bouchons de corn gluten feed à 200 € la tonne, faisant remonter la quantité des concentrés à 214 g par litre et leur coût à 69 €/1 000 l.
« Malgré cette tension sur les fourrages, Didier Vancaeyzeele réussit à maintenir le cap sur les concentrés. Il a acheté 20 tonnes d’aliments de moins qu’en 2013 mais avec 11 v aches en plus, souligne Sophie Flahaut. Il a gagné en efficacité alimentaire et fait la démonstration qu’aller chercher les derniers litres de lait avec du concentré, même quand le prix du lait est élevé, n’est pas forcément rentable. » La marge brute et l’EBE suivent. Alors que le prix du lait 2016-2017 fait partie des plus faibles enregistrés depuis 2009-2010, la marge brute, elle, est dans le top 2 : 244,30 €/1000 l (page précédente). C’est 16,50 € de mieux que le groupe Écolait. « Mon chiffre d’affaires est 20 000 € en dessous de 2013-2014, année record pour le prix du lait. Les cinquante mille litres produits en plus depuis ne compensent pas la baisse du prix du lait. C’est tout l’inverse pour l’EBE qui est de 10 000 € plus élevé. »
« Je sature mon outil avec 60 000 litres de référence en plus sans acheter d’animaux »
L’éleveur a surfé sur la facilité à obtenir des volumes supplémentaires. Son OP, l’Oplase, qui est en relation contractuelle avec Eurial Ultra Frais, est en sous-réalisation.
« Ma référence contractuelle a augmenté de 60 000 litres il y a deux ans et, globalement, a progressé de 160 000 litres sur cinq ans. J’ai saturé ainsi mon outil de production sans acheter une seule vache et je produis plus à moins cher », se réjouit Didier.
Le robot de traite pour soulager ses épaules
Didier n’a pas fait uniquement le ménage sur les concentrés. Il a serré la vis sur d’autres dépenses : plus de prévention pour moins de frais vétérinaires, suspension de l’achat de semences de taureaux étrangers, programme phytosanitaire sur le maïs sous les 38 € l’hectare. « C’est le coût minimum observé dans mon groupe Écolait. Je l’ai exigé de mon conseiller technico-commercial. Quand la trésorerie est tendue, il faut savoir dire “stop” aux vendeurs », explique-t-il.
Enfin, il a économisé près de 5 000 € en arrêtant le contrôle laitier et son adhésion à Prim’holstein France en septembre 2016. Les mois prochains, il pourra piloter les comptages cellulaires et la production de chaque vache à partir du robot de traite. Il s’est décidé à cet investissement de 170 000 € pour résoudre, ou au moins atténuer, ses douleurs aux épaules qui, parfois, l’empêchent totalement de travailler. Ce sera aussi pour lui une nouvelle façon de gérer son troupeau, en prenant garde à ne pas déraper de nouveau sur les concentrés.
Claire HuePour accéder à l'ensembles nos offres :