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L’albédo, un argument de plus en faveur du pâturage

Entre albédo et stockage de carbone, les prairies ont la possibilité d’être un réel levier pour l’élevage face au changement climatique. Mais l’effet de l’albédo peut être réduit lorsque la prairie est soumise à des conditions séchantes, défavorables à son développement ou à des prélèvements importants d’herbe par la fauche ou le pâturage.

Les prairies, grâce à leur couvert végétal permanent, permettent de réfléchir une part importante du rayonnement solaire vers l’espace. Par rapport à d’autres surfaces, forêts ou cultures, elles ont une action refroidissante sur l’atmosphère et contribuent à atténuer le réchauffement climatique.

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Face au réchauffement climatique, la prairie et l’élevage herbivore restent sur le devant de la scène, grâce à un effet physique méconnu du grand public : l’albédo. En effet, d’après les premiers résultats d’un récent projet de recherche « Albédo des prairies », financé par le Casdar (1), sur les fermes expérimentales de Trévarez, Le Rheu (Inrae), Derval, Thorigné, Mourier, Jalogny et Le Pradel, les prairies réfléchissent plus de rayonnement solaire que certaines cultures ou que la plupart des sols nus, ce qui conduit à avoir un effet refroidissant sur l’atmosphère (2). L’albédo d’une surface se définit comme le rapport entre le rayonnement réfléchi par cette surface et le rayonnement solaire qu’elle reçoit dans la gamme des longueurs d’ondes allant de 300 à 2 500 nm (rayonnement infra- rouge en partie intégré). Nombre sans dimension, l’albédo varie de 0 à 1. Ainsi les surfaces blanches ont un albédo proche de 1, car 100 % du rayonnement solaire incident est réfléchi, tandis que les surfaces sombres ont un albédo proche de 0 (absorption de tout le rayonnement).

Comprendre l’albédo

Avant de s’intéresser de plus près aux prairies, les scientifiques avaient constaté que chaque changement d’occupation du sol ou d’usage des terres (déforestation, urbanisation ou conversion d’une prairie en culture), mais aussi chaque changement de pratiques agricoles (introduction de cultures intermédiaires versus intercultures en sol nu) entraîne des modifications des flux de gaz à effet de serre, d’énergie et d’eau, qui impactent les climats locaux et globaux (3). Ainsi, planter une forêt dans la toundra ou les zones méditerranéennes permet de stocker du carbone, mais fait diminuer le pouvoir réfléchissant de la surface, avec à la clef un effet réchauffant sur le climat. Ce réchauffement ne sera compensé par le stockage de carbone qu’au bout de cent vingt ans pour la toundra et de quatre-vingts ans pour la zone méditerranéenne, selon les recherches : dans la toundra, la chute de l’albédo est liée au fait que des zones couvertes par des surfaces lisses enneigées, qui ont un albédo très élevé (surface blanche réfléchissante), sont remplacées par des zones boisées dont la canopée tient moins bien la neige et piège plus de rayonnement solaire (4).

En Méditerranée, la végétation basse piège moins la lumière que les forêts et couvre moins le sol, souvent clair car d’origine calcaire. Là encore, l’albédo diminue puisque davantage de rayonnements sont absorbés par le couvert végétal. Ces exemples montrent la complexité d’évaluer l’impact d’un changement de couvert sur le réchauffement climatique, entre stockage de carbone, pouvoir réfléchissant de la surface ou encore émission de gaz à effet de serre (GES) comme le méthane. L’albédo se classe parmi les effets biogéophysiques sur le climat tandis que les composantes des bilans des GES et de stockage de carbone relèvent d’effets biogéochimiques.

L’herbe affiche un albédo plus élevé qu’un sol nu

Pour la prairie, plusieurs éléments ont pu être actés avec les mesures d’albédo dans les sept fermes expérimentales entre 2021 et 2022. Résultat : sécheresse, canicule et albédo ne font pas bon ménage. En effet, lorsque la pluie revient sur un sol très sec et dégarni, en lien avec une prairie dégradée, l’albédo diminue rapidement du fait de l’humidification de la couche superficielle du sol apparente, indépendamment de toute opération technique. Et, plus le sol est nu en lien avec une mauvaise gestion du pâturage ou une canicule avancée, plus l’effet est important. Il a fallu parfois attendre soixante-dix-sept jours (au Pradel en 2022) avant de retrouver le niveau d’albédo initial. « Cela questionne sur la manière de préserver les prairies dans de telles circonstances afin qu’elles conservent un effet refroidissant dans un contexte climatique futur où les périodes de sécheresse risquent d’augmenter avec les hausses de température », relèvent les chercheurs (5). L’intensité du pâturage a aussi un effet négatif sur l’albédo, mais transitoire. Plus le chargement est important, plus l’albédo diminue. Il est possible de traduire l’albédo en matière énergétique grâce au forçage radiatif (FR).

L’albédomètre permet de mesurer l’albédo directement sur les parcelles, mais un travail de mesure par satellites est aussi possible. Une augmentation de l’albédo a pour effet de renvoyer davantage d’énergie solaire vers l’espace (forçage radiatif négatif). Cela signifie moins d’énergie absorbée par la surface terrestre et donc une baisse globale des températures. À l’échelle mondiale, ce processus a un effet significatif permettant de compenser pour partie les émissions de gaz à effet de serre (GES). (© DR)

Dans le cas d’une prairie permanente ou temporaire, le FR moyen des deux années d’expérimentation est de - 8,5 W/m2 par rapport à un sol nu et de - 6,5 W/m2 par rapport à un blé qui réfléchit davantage la lumière qu’un sol nu. Les chercheurs ont constaté que la conversion en équivalents CO2 correspond respectivement à un retrait en matière de bilan d’énergie de -1 797 et de -1 385 kg eq CO2/ha/an. Ces valeurs sont comparables au stockage de carbone d’une prairie permanente, en remplacement d’une terre labourée. Ces bons résultats sont liés au fait qu’en France l’albédo de l’herbe est globalement plus élevé que l’albédo d’un sol nu. Autrement dit, la prairie renvoie plus de rayonnement solaire qu’un sol nu, souvent sombre, et ce, d’autant plus qu’il est riche en matière organique.

Finalement, pour profiter des effets de l’albédo, il s’agit de développer la part d’herbe dans l’assolement, couvrir le sol le plus possible toute l’année en intercultures, éviter un surpâturage ou des fauches très rases sur les parcelles les plus à même de se dégrader rapidement (en cas de faible réserve hydrique). La variété des espèces prairiales implantées, en fonction de leur port et de leur étalement, pourrait aussi avoir un impact sur l’albédo et sera étudiée dans un nouveau projet Albaatre-Systèmes.

(1) Casdar : compte d’affectation spéciale développement agricole et rural.

(2) L’association francophone pour les prairies et les fourrages (AFPF) a consacré le dossier du numéro 257 de la revue Fourrages à cette question de l’albédo.

(3) Voir Ceschia E., M. Ferlicoq M., P. Mischler, Roujean J.-L (2024), « La gestion de l’albédo des surfaces continentales : un levier d’atténuation du changement climatique ? », Fourrages n° 257, pp. 29-40.

(4) Ibid.

(5) Mischler P., Ceschia E., Ferlicoq M., « Contribution de l’albédo de prairies gérées, pour contribuer à l’atténuation du changement climatique », op. cit., pp. 41-56.

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