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Changement climatique Bovin allaitant : maintenir l’équilibre fourrager, équation (in) soluble ?

Le semis des prairies sous couvert de méteil, un levier d'adaptation au changement climatique intéressant.

En Haute-Loire, Philippe Halter accompagne des éleveurs bovins pour pérenniser leurs exploitations alors que les aléas climatiques fragilisent les ressources fourragères. Autour d’un cas-type d’élevage allaitant de Limousines, il met en évidence des leviers portant tant sur les assolements que sur le troupeau.

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Le projet AP3C (Adaptation des pratiques culturales au changement climatique) dresse des projections agroclimatiques pour le Massif Central à l’horizon 2050. Il met notamment en évidence les contraintes sur la ressource fourragère auxquelles devront faire face les éleveurs. « En Haute-Loire, elle diminuerait de 12 à 15 %* tout comme dans le Cantal, tandis que la baisse serait encore plus marquée sur l’Aveyron, le bassin Charolais ou encore l’Aubrac où elle atteindrait 25 % sur une zone donnée », détaille Philippe Halter, conseiller bovin viande à la CDA43.

Éviter les solutions court-termistes

Pour répondre au déficit de fourrage, miser sur des achats compensateurs ou sur la seule diminution du cheptel, sans modification du système, restent des solutions d’urgence. Sur le long terme, elles se révèlent rarement satisfaisantes. Dans le projet AP3C, selon les systèmes étudiés, la première est associée à une baisse de revenus de 15 % à 35 %, la seconde de 20 % à 30 %.

En matière d’adaptation, le nerf de la guerre serait avant tout à rechercher dans le maintien d’un bon niveau d’autonomie alimentaire. C’est ce qui apparaît, notamment, à l’étude du cas-type BV20 du projet AP3C, une ferme fictive modélisée à partir de différentes exploitations de Haute-Loire et représentative d’une production dominante du secteur. Elle est gérée par 1,8 UMO, produit des génisses de boucherie et des broutards, avec 110 UGB dont 75 vaches allaitantes limousines, 12 ha de céréales et 108 ha d’herbe pour un chargement d’une UGB/ha de SFP.

Miser sur les légumineuses

Pour ramener du fourrage supplémentaire et éviter une baisse du nombre d’UGB, il se révèle intéressant d’augmenter sur la ferme la part de légumineuses, en particulier de luzerne. Cette dernière produit non seulement un fourrage à haute valeur protéique mais résiste par ailleurs bien aux fortes températures et, de par son système racinaire profond, aux sécheresses. Reste qu’elle a besoin d’un pH peu acide pour se développer. « Dans mon secteur, des éleveurs ont donc opté pour du trèfle violet et obtenu un résultat à peu près équivalent, tant sur l’autonomie protéique que fourragère », observe Philippe Halter.

Une prairie riche en légumineuses chez Bruno Ramousse. (© Bruno Ramousse)

Combiner méteil et sorgho

Autre levier privilégié, la mise en place d’une rotation méteil fourrager (céréales et légumineuses) /sorgho multicoupes (ou un colza pâturé). Semé en automne, le méteil peut être récolté dès le début du printemps avant de laisser place au sorgho fourrager en dérobée. « Le bénéfice apporté par ce dernier n’est pas toujours miraculeux, mais ça a très bien fonctionné dans certaines exploitations », témoigne Philippe Halter. Le sorgho, particulièrement résistant à la sécheresse, offre un stock de fourrage l’été ou peut être facilement pâturé. Néanmoins, il est exigeant à l’implantation, demandant de la chaleur (16 degrés minimum) et un peu d’humidité. Avec des sécheresses au printemps de plus en plus fréquentes (2 années sur 10 en 2050 en Haute-Loire selon les projections AP3C), les conditions ne sont pas toujours réunies.

Le semis des prairies sous couvert de méteil, s’il n’a pas été simulé pour le cas-type BV20, fait également partie des leviers d’adaptations plébiscités. Les résultats observés dans les fermes du réseau Inosys sont prometteurs.

Repenser les vêlages

S’adapter à la pénurie de fourrage passe aussi par des évolutions dans la conduite du troupeau, en cherchant notamment à minimiser les UGB improductifs. Philippe Halter met en avant l’intérêt d’une précocité du premier vêlage, en passant de 36 mois à 30 ou 24. La pratique est assez répandue en élevage laitier, mais beaucoup plus confidentielle en élevage allaitant. Si elle permet de réduire l’effectif de génisses à nourrir, elle implique toutefois de bien maîtriser et suivre la croissance de ces dernières, qui doit être plus soutenue.

Dans le cas-type BV20, le passage à 30 mois apparaît bénéfique, mais pas à 24. En race limousine, peu précoce, « la vache n’aura en effet pas fini sa croissance et aura besoin d’un apport alimentaire à la fois pour la poursuivre et pour nourrir son veau. Dans nos simulations, d’un point de vue rentabilité, nous ne nous y retrouvons pas », observe-t-il.

Sur le terrain, certains éleveurs ont donc opté pour un premier vêlage à 30 mois. Une opération menée « sans trop d’effort », note-t-il, à condition de redistribuer les vêlages à l’automne et au printemps. L’idée est de réduire ainsi les risques et profiter des bénéfices propres aux deux saisons. Passer une partie des naissances au printemps, c’est, certes, s’exposer au risque grandissant d’un manque d’herbe pour les veaux l’été, mais c’est aussi réduire l’hiver la consommation en fourrage. « Quand on raisonne sur du vêlage à 30 mois, il faut respecter ces deux périodes, bien les espacer de 6 mois et s’assurer que les femelles naissant sur une période vêlent sur une autre », insiste-t-il. Un calendrier qui permet également de mieux répartir le travail et les ventes.

Un jeu de combinaisons

Aussi intéressants soient-ils, aucun de ces leviers, pris indépendamment, ne permet de compenser dans les simulations la perte initiale associée au manque de fourrage. C’est en opérant les bonnes combinaisons qu’ils se révèlent pertinents. Dans le cas-type BV-20, il apparaît possible de corriger les pertes de revenu en 2050 en associant :

- le triplement de la surface de luzerne (12 ha au lieu de 4 ha) ;

- l’implantation sur 3 ha de méteil (pois et céréales) suivi d’un sorgho fourrager en dérobée ;

- le passage des vêlages à 30 mois et en double période ;

- l’acquisition d’un retourneur d’andains.

Ce dernier point est le seul investissement considéré dans l’évolution du système. S’il n’est pas déterminant, il permet néanmoins de mieux valoriser les légumineuses en préservant leurs feuilles. Il apparaît également intéressant, selon les situations, d’investir dans de plus importantes capacités de stockages pour faire face à des aléas climatiques de plus en plus fréquents et marqués.

« La bonne nouvelle, c’est que bien souvent, avec une combinaison de solutions, on peut maintenir un équilibre fourrager à l’échelle de l’exploitation », conclut Philippe Halter. L’évolution de l’exploitation de Bruno Ramousse, relatée sur le site web du programme Cap Protéines, en est un bon exemple.

* : À noter, comme le rappelle le document de synthèse du document AP3C, que ces résultats « sont produits dans l’hypothèse, hélas très modérée et conservatrice, de non-accélération de l’évolution climatique en cours depuis 1980. »

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