Changement climatique Systèmes pâturants : dans le Sud-Est, faire du lait avec moins d’eau
En Auvergne-Rhône-Alpes, les systèmes pâturants font face à des aléas climatiques de plus en plus sévères. Mais de la gestion du parcellaire aux mélanges semés, les agriculteurs disposent encore de leviers d’action pour conserver des prairies quelque peu verdoyantes et… appétentes !
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Avec le changement climatique, le climat méditerranéen tend à remonter et le bassin laitier à faire de même. « Nous ne sommes pas les derniers producteurs laitiers du Sud-Est de la France, mais pas loin ! », plaisante ainsi Thierry Gillos. Il gère, avec son épouse, la ferme bio la Jersiaise des Combes à Châteaudouble (26). Accompagné de Jean-Pierre Manteaux, conseiller élevage et adaptation au changement climatique à la Chambre d’agriculture de la Drôme, le couple présentait son exploitation à l’occasion du salon Tech & Bio en septembre dernier. Pour conserver l’autonomie alimentaire, le troupeau a été réduit de 90 à 65 vaches laitières et plusieurs modifications ont été opérées sur le système, notamment dans la conduite des prairies.
Suivre l’évolution de la pousse
« Ici, il y a 30 ans, l’herbe ne poussait pas en février, il y faisait trop froid ! », se remémore Jean-Pierre Manteaux. Elle s’invite désormais à des périodes autrefois inhabituelles, il s’agit donc en premier lieu de la valoriser en réalisant des mises à l’herbe plus précoces et des rentrées à l’étable plus tardives. En 2023, à la Jersiaise des Combes, le pâturage tournant a ainsi débuté au 1er février et n’a connu qu’un seul mois d’arrêt (de fin juillet à fin août). Quand la pluie est au rendez-vous, le 100 % pâture y est même parfois possible. Reste qu’en été, il faut savoir s’arrêter à temps et éviter le surpâturage, en surveillant l’état des parcelles, en cloisonnant et en utilisant une parcelle « parking » quand il n’y a plus d’herbe à pâturer.
Mieux rationner pour mieux régénérer
Grâce à une formation avec la Févec (fédération des éleveurs et des vétérinaires en convention) et la chambre d’agriculture autour du changement climatique, Thierry Gillos a fait évoluer son parcellaire. « Je me suis aperçu que je faisais des paddocks trop grands et que je gaspillais de l’herbe », témoigne-t-il. Exit toutefois la subdivision fixe en petites cellules : « J’ai des grands blocs de 2 ha et j’avance au fil avant », détaille l’éleveur.
À 200 km de là, à Vézelin-sur-Loire (42), Sylvain Tola et son père ont eu un raisonnement similaire pour leur exploitation de vaches laitières. En 2012, ils étaient prêts à abandonner le pâturage. Mais, suite à la même formation, ils ont plutôt choisi de le faire évoluer. Finies les grandes surfaces où leurs Prim'holsteins « consommaient énormément le premier jour, peu le second et pas du tout le troisième ». Les parcelles ont été réduites pour faire 0,5 ou 0,6 ha suivant leur potentiel, le chargement a été augmenté (4 à 5 vaches/ha) et le temps de présence réduit à 24 heures. « La prairie repousse mieux », constate Sylvain Tola.
Faire évoluer ses pâtures
Autre levier d’adaptation, l’implantation de prairies multi-espèces plus résilientes. Dans la Drôme, les déficits hydriques peuvent être colossaux, Jean-Pierre Manteaux évoquant des - 700 / - 750 mm cumulés entre janvier et septembre 2023. Des conditions où le ray-grass anglais crame l’été et ne repart pas ensuite. « Nous introduisons donc davantage d’espèces résistantes au sec, même si ce ne sont pas les plus appétentes », décrit le conseiller élevage. La part de fétuque élevée, de dactyle, de légumineuses tels la luzerne, le lotier ou même le sainfoin en terrain argilo-calcaire, a ainsi augmenté. Des mélanges typés méditerranéens sont plébiscités, comme le Saint-Marcellin, élaboré par Jean-Pierre Manteaux en collaboration avec des agriculteurs il y a déjà… 25 ans ! « C’est un mélange avec une grosse dominance fétuque élevée à feuilles souples et flexibles (mieux pâturée) et du dactyle souple d’exploitation. » Il s’avère de plus en plus utile dans les zones à fort déficit hydrique et a notamment rejoint les pâtures de la Jersiaise des Combes.
De leur côté, Sylvain Tola et son père ont conservé un mélange suisse (ray-grass, trèfle, dactyle) mais ne le sèment plus à pleine dose : « Pour augmenter la pousse sur la période estivale et s’adapter au changement climatique, nous avons introduit de la luzerne et du lotier à hauteur de 30 % du mélange. Ces deux légumineuses prennent le relais lorsque le ray-grass ne pousse plus. »
Faire pâturer des céréales
« Depuis 3 ans, on sème également nos prairies sous couvert d’avoine », explique Sylvain Tola. L’avoine protège non seulement la prairie des coups de froids hivernaux, mais elle va également être consommée durant les deux premiers cycles de pâture. Cette graminée monte en effet peu en tige mais repart facilement, avec un bon développement foliaire.
« Dans les nouvelles pratiques, ce qui se développe également, c’est la culture de graminées estivales – sorgho, moha, teff grass, millet… – pour être valorisées à la pâture », complète Jean-Pierre Manteaux. Une technique permettant de maintenir voire augmenter le pâturage durant de forts déficits hydriques. En dehors de la réduction des coûts par rapport à une récolte, cela peut être le moyen de valoriser la plante au moment optimal. « Le sorgho pâturé, plus feuillu que lorsqu’il est fauché, a une valeur alimentaire intéressante, notamment en énergie » précise-t-il.
Irriguer les prairies ?
Jean-Pierre Manteaux constate par ailleurs une heureuse coïncidence : « Dans les espèces prairiales à introduire dans les mélanges pour la résistance au sec, trois sont également celles qui valorisent le mieux l’irrigation : la luzerne, le dactyle et la fétuque élevée. » Si arroser ses prairies est peu commun, des apports mesurés et au bon moment (fin août / début septembre) peuvent changer la donne. Sylvain Tola peut en témoigner : deux années de suite, l’eau de sa retenue n’a pas été entièrement utilisée pour le maïs ensilage et a permis une relance rapide des prairies. Avec deux apports pour un total de 70 mm la première année et 100 la seconde, le rendement a été augmenté de 4 à 5 tonnes de MS/ha. Une stratégie qu’il n'a toutefois pu reproduire ni en 2022, ni en 2023 : « Mon lac collinaire était vide ! »
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