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Explosion de boiteries : les logettes et le béton scarifié en cause

Jean-Louis Estienne, Adrien Perrin : " Nous avons retrouvé le plaisir de travailler en même temps qu'un troupeau vivant, des vaches qui se déplacent et expriment leurs chaleurs."

Au Gaec de Virine, dans les Vosges, l’observation du comportement des vaches et l’identification des lésions podales ont permis de pointer des défauts de conception de la stabulation à l’origine d’une flambée des boiteries.

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Débordés par l’ampleur des boiteries affectant jusqu’à 90 % de leur troupeau, Jean-Louis Estienne et Adrien Perrin ont décidé de prendre le problème à bras-le-corps en sollicitant l’intervention du binôme pareuse et vétérinaire afin de remettre les animaux d’aplomb. Puis, dans le cadre d’un audit global des conditions d’élevage, d’identifier les mesures correctives de nature à assainir la situation à long terme.

« Les problèmes de pattes avaient pris des proportions catastrophiques, soulignent les deux associés. Les vaches continuaient malgré tout à faire du lait, mais au détriment de leur état général et des résultats de reproduction de vaches dont on ne voyait plus les chaleurs, conduisant à subir des réformes anticipées. »

120 vaches sur béton raclé

Rappelons d’abord le contexte. Un troupeau de 120 vaches holsteins conduites en zéro pâturage, dans une stabulation à logettes sur béton raclé conçue en 2019. L’objectif des éleveurs est de permettre l’expression du potentiel du troupeau, sur la base d’une ration semi-complète : un tiers d’ensilage d’herbe + deux tiers d’ensilage de maïs et une complémentation au Dac avec du tourteau et de la farine de maïs.

La multiplication des escarres sur les cuisses arrière (ici en train de se résorber) traduit un écrasement lié à un temps couché prolongé d’animaux en état de faiblesse. Dans les cas graves, ils peuvent entraîner des problèmes vasculaires, voire des ulcères. (© Jérôme Pezon)

Dans un souci de confort, la stabulation est équipée de ventilateurs et d’un dispositif maison de brumisation sur l’aire d’attente du roto de traite 24 places. Les logettes sont abondamment paillées (4 kg/jour), les vaches disposent d’une aire d’exercice bétonnée extérieure et d’une aire paillée pour les plus fragiles. Les aires d’exercice, raclées toutes les deux heures, comme les passages entre les logettes ou l’aire d’attente devant le Dac sont dimensionnés pour garantir une circulation fluide. Cependant, malgré le rainurage, les couloirs bétonnés vont se révéler très glissants lors de la mise en service de la stabulation, ce qui va conduire à les scarifier en complément. La prise en charge de la santé des pattes et le suivi du troupeau sont assurés par Adrien.

Un parage systématique au tarissement

Pour cela, il a pris part à plusieurs sessions de formation au parage organisées par son cabinet vétérinaire et s’est équipé d’une cage. Il a aussi mis en place un protocole de gestion de la Mortellaro en salle de traite : lavage des pieds et pulvérisation d’oxytétracycline sur les lésions. Dans cet environnement, assurer la santé des pieds va pourtant prendre progressivement une ampleur incontrôlable. « Tous les vendredis matin, je programmais le parage d’une dizaine de vaches au moment du tarissement, explique l’éleveur. Mais la situation évoluait trop vite et je ne parvenais plus à gérer l’urgence. » Cela d’autant plus que, à la suite d’un problème de santé, Adrien n’est plus en mesure de réaliser les soins. Les associés sollicitent alors le passage d’un pareur. « Tout le troupeau a été paré en deux fois, mais aucune amélioration n’était visible. Rétrospectivement, ce fut même un fiasco, car nous avons constaté que cette intervention avait détérioré la situation. » Par l’intermédiaire de leur cabinet vétérinaire, ils programment donc un audit complet avec Patrick Besnier, vétérinaire de la société Obione et de sa filiale Perf & Cow, dédiée à la mobilité des vaches dans les élevages.

Avant tout un problème de confort

À l’occasion d’une première visite, le vétérinaire et l’éleveur vont parer ensemble une douzaine de vaches. Une étape qui permet de rappeler les bons gestes et offre un aperçu des lésions prédominantes. Seules quelques lésions anciennes de Mortellaro indiquent que le problème principal n’est pas d’ordre infectieux, mais traumatique : « Le parage a mis en évidence de nombreuses bleimes et des ulcères de la sole (voir ci-dessus), orientant vers une compression excessive du pied sur un sol dur, explique Patrick Besnier. Une usure du pied importante (onglons courts, talon bas) et des ouvertures de ligne blanche incriminent aussi la nature du sol grippant et abrasif. »

En stabulation, sur un sol dur, la compression du pododerme est renforcée par des stations debout prolongées, caractérisées par l’observation de nombreuses vaches perchées. C’est le signe d’un manque de confort des logettes. Celles-ci sont conçues avec une pente excessive (5 %) qui accentue le poids sur l’arrière-train, sous lequel on retrouve très peu de paille.

Un sol dur et abrasif dans les couloirs

D’ailleurs, presque 100 % des vaches présentent des escarres, lésions d’écrasement (genou, jarret, cuisses) provoquées par un couchage prolongé du même côté sur une surface dure. « Globalement, les boiteuses se couchent moins, mais une fois couchées elles se retournent moins et ont des difficultés à se relever, souligne le vétérinaire. De plus, les bottes de paille entre les logettes favorisent le couchage en diagonal, tandis que la barre au garrot, trop basse, gêne les vaches qui restent en station debout perchées, accentuant ainsi le poids supporté par leurs onglons postérieurs. »

La contrepartie d’un sol non glissant est une surface devenue abrasive, ce que confirme Adrien : « J’use mes bottes en six mois. » Ce phénomène est accentué par les erreurs de parage qui ont fragilisé les pieds : bordage excessif de la corne de la muraille et creux axial insuffisant, renforçant la surpression sur le pododerme. « C’est la corne de la muraille qui doit normalement supporter le poids de l’animal, explique Patrick Besnier. Or, sur un sol abrasif, elle s’use rapidement. La corne de la sole devient alors portante ce qui a pour conséquence sa pousse accélérée, qui renforce les déséquilibres. Dans cette situation, des mouvements brusques peuvent provoquer des déchirures de la ligne blanche, la corne faisant la jonction entre la muraille et la sole. »

Une logette trop courte et une barre au garrot trop basse gênent l’entrée de la vache dans la logette. « La barre au garrot ne doit pas entrer en contact, mais seulement effleurer le cou afin d’éviter les blessures », rappelle Patrick Besnier. Dans ce cas, l’avancer vers l’avant et placer une simple cale en bois doit contribuer à améliorer le confort de couchage. (© Jérôme Pezon)
Cale en bois. (© Jérôme Pezon)

Dans un second temps, l’intervention de la pareuse d’Obione visait à remettre tout le troupeau d’aplomb et à traiter les lésions. Ce travail, en deux passages, confirmera aussi l’ampleur du problème et la prédominance de lésions traumatiques : elle va réaliser 211 parages curatifs, c’est-à-dire que 50 % des onglons présentaient une lésion, soit 2,7 lésions par vache, dont 37,7 % de bleime diffuse et 13,7 % de bleime circonscrite, premiers stades de l’ulcère de la sole (11,7 %). Les onglons postérieurs externes et antérieurs internes qui supportent le plus de poids étant les plus touchés.

Un parage régulier pour atténuer la pression sur les pieds

Ce travail associé à la mise en service d’un pédiluve en sortie de roto, pour soulager le travail d’Adrien vis-à-vis de la Mortellaro (10 % des vaches concernées), a d’ores et déjà permis d’améliorer considérablement la situation : « C’est le jour et la nuit, constate-t-il. Malgré un mois moyen encore élevé (7,2 mois), le troupeau affiche une moyenne de 33 litres de lait. Les vaches sont en meilleur état et expriment mieux les chaleurs. » Avec le temps et les raclages réguliers, l’abrasivité des sols va s’estomper.

Un grand nombre de vaches les pattes avant dans la logette et les pattes arrière dans le couloir est un indicateur d’inconfort. Cette position surcharge le poids supporté par les onglons postérieurs externes. (© Jérôme Pezon)

Dans l’attente, il s’agit de renforcer la résistance des pieds aux forces d’appui et de friction, puis de prioriser les investissements. « Adrien a une bonne technique, mais il aura besoin de temps pour remettre le troupeau d’aplomb, car beaucoup de vaches ont des lésions qu’il faudra revoir plusieurs fois », explique le vétérinaire. Un passage de la pareuse a donc été programmé toutes les six à huit semaines, pour revoir toutes les boiteuses, les vaches à tarir et les primipares quinze jours après leur arrivée dans le troupeau en insistant sur le creux axial. Dans l’intervalle, Adrien assurera la prise en charge dès les premiers signes de douleur. « L’objectif est de passer progressivement d’un parage curatif à 90 % de parage préventif, beaucoup plus facile et rapide à réaliser. » Pour améliorer le confort des logettes, le vétérinaire recommande de relever la barre au garrot ou d’investir dans une barre au garrot ceintrée. Mais, si investissement il doit y avoir, l’installation de matelas (+ 1,5 kg de paille/jour) apparaît prioritaire pour rectifier la pente entre 2 et 3 %. Des tapis pourraient aussi être installés, uniquement dans les zones de piétinements afin de limiter les coûts : autour du Dac, des abreuvoirs, dans l’aire d’attente.

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