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« Investir dans le bien-être etla prévention, ça vaut la peine »

Depuis plus de dix ans, le Gaec Pêcheux-Charlier travaille sur la prévention des troubles d’élevage. Une approche qui permet aujourd’hui de satisfaire aux critères de bien-être requis pour intégrer une filière de valorisation du lait.

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Au mois de mars 2018, le Gaec Pêcheux-Charlier, dans les Ardennes, a réalisé avec son vétérinaire un diagnostic de bien-être animal de son troupeau laitier. Il s’agit de la démarche Happy Farm, élaborée par la société Obione et adoptée par une quinzaine de cliniques vétérinaires. L’objectif est de mettre en valeur le travail des éleveurs et d’informer le grand public sur la réalité des pratiques, mais aussi de dégager des pistes de progrès sur la ferme en vue d’améliorer les performances économiques, en partant du principe qu’un troupeau sain est un troupeau efficace. Les 170 points de contrôle expertisés lors de cet audit impliquent donc une obligation de moyens, pour faire simple, sur le confort et la bientraitance, mais aussi de résultats à travers la santé des animaux : mortalité, maladies métaboliques, mammites, boiteries, reproduction… Résultat : l’exploitation répond positivement à 90 % de ces critères, ce qui lui vaut le label honorifique Happy Farmer, fièrement affiché à l’entrée de la laiterie. « C’est la quasi-perfection, le fruit d’une attention quotidienne apportée à tous les détails et d’une maîtrise des fondamentaux que sont la conduite des vaches taries et le confort », souligne Pierre Kirsh, le vétérinaire.

Pour José Pêcheux (56 ans), ce souci de faire le maximum pour ses animaux est une évidence. Il supporte difficilement le discours ambiant autour du bien-être qui jette la suspicion sur son éthique d’éleveur. L’audit Happy Farm, c’est d’abord son épouse Valérie (54 ans) qui a accepté d’y participer. José y voit, lui, une obligation de se justifier après presque trente-cinq ans de carrière. Aussi, préférera-t-il rester en retrait lors de ce reportage, laissant la qualité de son troupeau parler pour lui. Le couple s’installe en 1984 sur 30 ha et monte de toutes pièces un troupeau laitier d’une vingtaine de vaches frisonnes. En 1988, lorsqu’ils investissent dans la stabulation, toujours en service aujourd’hui, le troupeau compte 40 vaches.

« La difficulté à obtenir du quota nous a conduits à monter un troupeau limousin »

Le Gaec est créé en 1992, à la suite de l’installation de Xavier Charlier, le frère de Valérie. Il reprend à cette occasion 53 ha et un troupeau allaitant charolais et blanc bleu belge qu’il va progressivement convertir, en commençant par l’achat d’un taureau et d’une dizaine de génisses limousines.

« La difficulté à obtenir du quota supplémentaire va nous conduire à développer l’élevage allaitant avec une race choisie pour sa facilité de vêlage, afin de simplifier le travail », explique Xavier. L’alimentation des vaches limousines repose sur le pâturage, le foin et les céréales autoproduites. Après la reprise de la ferme familiale en 1998, l’exploitation dispose de 125 ha de prairies naturelles qui vont permettre de constituer un cheptel de 60 mères, avec élevage de bœufs et de génisses à l’herbe, sur trois sites différents : un site dédié au troupeau laitier et à la finition des animaux à l’engrais, un autre pour les allaitantes, le dernier pour les taries, les jeunes génisses et les bœufs de 18 mois. Parallèlement, le Gaec va changer trois fois de laiterie et caler son droit à produire à 400 000 litres. Et en 2009, en pleine crise du lait, les associés décident de quitter Lactalis, avec un groupe d’éleveurs voisins, pour rejoindre la jeune coopérative de collecte Laitnaa.

« Les vaccins sont efficaces parce que tout est bien géré »

C’est aussi dans ce contexte difficile qu’ils commencent, avec leur praticien, toute une réflexion sur la mise en place de mesures préventives, en vue de mieux maîtriser le coût sanitaire d’élevage. Cette approche repose sur trois piliers : la vaccination, la conduite des vaches taries et le confort. « Nous avons d’abord mis en place un programme de vaccination des vaches taries contre le rotavirus et le coronavirus, afin de prévenir les diarrhées des veaux, explique Valérie. À 15 jours de vie, un vaccin contre les maladies respiratoires est appliqué systématiquement par voie nasale et à la première mise à l’herbe. Après trois semaines de pâturage, tous les veaux laitiers reçoivent un bolus antiparasitaire. L’ensemble de ces traitements représentent une charge de près de 13 000 €, mais c’est un investissement payant dans le temps. »

En effet, le diagnostic Happy Farm révèle le résultat assez édifiant de 0 % de diarrhées et 0 % de maladies respiratoires en 2018 (voir infographie). « Les vaccins sont efficaces parce que tout le reste est bien géré, précise Pierre Kirsch. C’est-à-dire un colostrum de qualité distribué en temps et en heure, dans un environnement sain, bien ventilé, lourdement paillé, sans surdensité animale. »

Pour le confort du troupeau, l’accent a été mis sur le réglage des logettes, trop courtes, à l’origine de fréquentes blessures. Des tapis ont été installés sur tous les bétons des aires d’exercice, soit un coût de 7 500 euros. Dans ces conditions, les boiteries si pénalisantes dans de nombreux élevages sont ici traitées au cas par cas.

« Le diagnostic est là pour montrer qu’on travaille bien »

« Nous ne faisons pas de parage systématique, précise valérie. Cela ne signifie pas qu’il n’y a jamais de problèmes, mais la règle, c’est de ne pas attendre. Nous sommes équipés d’une cage et faisons en sorte de lever les pieds dès les premiers signes. » Dans le cadre de cette approche préventive, les taries font l’objet d’une attention particulière : le tarissement se fait en pâture sur des repousses, avec du foin au râtelier. « L’assainissement du troupeau nous permet, depuis trois ans, de tarir presque exclusivement avec des bouchons. Il ne faut pas hésiter : cela fonctionne et va de pair avec la réduction des mammites. Seules les vaches qui ont fait une poussée leucocytaire sont traitées. »

La phase de préparation commence trois semaines avant le terme, avec 10 à 15 kg de maïs, un correcteur, du foin rationné et, 10 jours avant vêlage, l’application d’un minéral spécial taries (Antépartum) visant à prévenir les fièvres de lait. Ici, on comprend bien que les éleveurs ne laissent rien au hasard. Cette vigilance sur tous les détails et une logique de maîtrise des investissements font appel à une grande part de travail manuel. Valérie admet ainsi ne pas avoir souvent pris de congés : « Tout ce que nous avons mené en confiance avec Pierre Kirsch permet aujourd’hui de travailler avec un troupeau sain, et c’est aussi du bien-être pour nous. C’est justement parce que nous consacrons toute cette attention à nos animaux que les attaques contre notre métier font si mal, déplore-t-elle. Le diagnostic Happy Farm est là pour rappeler que l’on travaille bien et que, indirectement, ça paye. »

En effet, le Gaec fait partie des 25 exploitations ardennaises retenues par la coopérative Laitnaa pour approvisionner sa filière Bleu-Blanc-Cœur non OGM, prévoyant un bonus de 15 à 30 €/1 000 litres. Une filière soumise à l’évaluation de certains critères d’expression du bien-être animal : « À part la complémentation avec du lin, nous n’avons rien changer à nos pratiques car tout était déjà dans les clous. » La plus-value serait-elle de nature à favoriser l’installation de Germain (24 ans), son fils ? « Dans ce contexte, l’intérêt économique incite à s’installer en développant l’élevage laitier, car il n’y a pas de débouchés pour la qualité en allaitant, analyse le jeune salarié. Mais je dois aussi rester mesuré sur les investissements et garder à l’esprit qu’au départ à la retraite de mes parents, je devrai gérer seul le troupeau. Je ne souhaite pas m’installer pour rembourser des bâtiments. »

jérôme pezon

© J.-C.G. - Prairie. Au cœur d’une région bocagère, le Gaec peut compter sur 125 ha de prairies naturelles pour assurer l’autonomie fourragère des troupeaux laitier et allaitant.J.-C.G.

© J.-C.G. - Confort.Dans la stabulation, le couchage est divisé en deux parties, chacune libre d’accès : d’un côté, 20 logettes avec tapis et paillage quotidien, de l’autre, une aire paillée. « Ce sont les vaches qui choisissent, indique Valérie. Certaines vont spontanément vers les logettes. » Les aires d’exercice et d’attente sont intégralement recouvertes de tapis. J.-C.G.

© J.-C.G. - Alimentation. La ration complète est distribuée deux fois par jour à la désileuse et la complémentation manuellement. Calée à 31 litres, elle comprend 40 à 45 kg bruts de maïs, 2 kg de pulpe sèche, 2 kg de céréales, 4,5 kg de correcteur et 4 kg de foin. Les vaches commencent toujours par un premier repas de foin distribué avant la traite. Un foin précoce, de qualité, réalisé mi-mai. Après le creux de l’été, les repousses d’automne sont enrubannées. J.-C.G.

© J.-C.G. - Matériel. L’essentiel du matériel est en propriété. Seule l’enrubanneuse est en copropriété avec trois éleveurs voisins de la commune, où l’entraide et les prêts de matériel fonctionnent à plein, sans passer par la Cuma. J.-C.G.

© J.-C.G. - Limousins. Élevés à l’herbe et commercialisés entre 28 mois et 36 mois, les bœufs et génisses allaitants sont finis à l’étable avec des céréales autoproduites, du maïs et du correcteur. L’absence de filière de qualité et les difficultés récentes à écouler les animaux font douter fortement les éleveurs, ici Xavier, de la pérennité de cet atelier. J.-C.G.

© J.-C.G. - Renouvellement. Les veaux sont élevés en cases collectives de 10 à 12 individus, au lait entier jusqu’à 12 semaines (la moitié des mâles sont conservés pour la production de bœufs). Les vêlages groupés d’août à décembre autorisent une mise à l’herbe dès la première année. Puis, à la rentrée à l’étable, la ration des génisses comprend 10 kg de maïs + 500 g de correcteur et du foin, en vue d’une mise à la reproduction entre 12 et 14 mois.

© J.-C.G. - Comportement.Dans le cadre de l’audit sur le bien-être, le comportement des animaux et la relation humain-animal sont abordés : on observe, par exemple, leur réaction face à un objet inconnu placé dans leur environnement, ou la distance de fuite à l’approche d’une personne étrangère. « Les vaches de Valérie ne sont pas peureuses. Elles sont au contraire très curieuses et expriment beaucoup d’interactions positives avec les éleveurs », assure Léna Joannes, responsable de l’audit.J.-C.G.

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