Reportage en Mayenne « Le lisier pailleux et la rampe à pendillards font bon ménage »
Épandage. La Cuma de la Varenne a abandonné la buse palette pour la rampe à pendillards, il y a quatre ans. Le Gaec Beauchêne y a recours pour son lisier et ses digestats. Le nouvel équipement n’a pas remis en cause le paillage des 70 logettes.
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Les pouvoirs publics tardent à préciser les modalités de l’abandon de la buse palette. Cela n’empêche pas de s’y préparer. Cette technique d’épandage favorise la volatilisation de l’ammoniac, gaz qui contribue à la formation de particules fines dans l’atmosphère et est à l’origine de problèmes de santé. Son dépôt excessif peut également conduire à l’acidification et l’eutrophisation des milieux. « Si l’on n’y prend pas garde, on perd de 30 à 40 % de l’azote du lisier de bovins par volatilisation », pointe Hervé Masserot, en charge de ce dossier à la FDCuma de Mayenne. « Cela correspond à 40 unités d’azote pour un lisier de bovins en contenant deux par m3, épandu à 60 m3 par hectare. Vu le prix élevé de l’azote minéral aujourd’hui, cela vaut le coup d’améliorer la qualité d’épandage du lisier. » Les buses palette sont en ligne de mire. Des essais montrent que, par rapport à celles-ci, la rampe à pendillards et l’enfouisseur réduisent fortement la volatilisation (voir l’interview, page 52).
L’épandage des digestats par buse palette interdit
À Ambrières-les-Vallées, en Mayenne, la Cuma de la Varenne a pris le tournant en 2018 sous l’impulsion d’une unité de méthanisation mise en route par la SA AB2M. Elle vend une partie de la chaleur dégagée par ses moteurs à l’usine Lactalis à Charchigné, à 20 km de la Cuma. Cent cinq éleveurs mayennais en sont actionnaires, dont trois membres de la Cuma. « L’épandage des digestats par buse palette est interdit car leurs cinq à six unités / m3 d’azote total sont très fortement soumises aux pertes par volatilisation atmosphérique », indique Hervé Masserot. La Cuma de la Varenne a donc remplacé sa buse palette par une rampe à pendillards de 12 m, équipée d’un broyeur répartiteur. « Une rampe plus large aurait été encombrante sur la route », justifie Jean-François Gahery, président de la Cuma. Associé à son cousin Thomas Bizeul dans le Gaec de Beauchêne, ils sont tous deux engagés dans la SA AB2M. « La Cuma a choisi des tuyaux pendillards de 50 mm de diamètre, plutôt que 40 mm, pour faciliter l’épandage des lisiers pailleux. C’est efficace. En quatre ans, il y a eu un seul bouchage », témoigne Jordan Lesage, le salarié. Dix adhérents l’utilisent. Trois paillent leurs logettes avec séparation des phases à la sortie du bâtiment, dont le Gaec Beauchêne. Les autres gèrent du lisier épais ou en mélange avec les eaux de salle de traite.« Nous aurions pu investir dans un enfouisseur mais il aurait pénalisé les débits de chantiers qui sont une des conditions de la rentabilité de la Cuma. Il faut trouver l’équilibre entre des choix techniques durables et la pérennité économique de la Cuma. »
Dans la foulée de la rampe à pendillards, la tonne à lisier de 21 m3 est changée pour une 18 m3 avec DPA (débit proportionnel à l’avancement). « Le choix d’une capacité inférieure a été réfléchi pour respecter la norme de charges autorisées de 38 tonnes sur la route. Au-delà, hors tolérance routière, la responsabilité de la Cuma se trouve engagée en cas d’accident et les routes et le matériel sont abîmés », insiste l’éleveur, qui prend sa casquette de président de la Fédération départementale des Cuma de Mayenne. L’achat d’une rampe à pendillards limitée à 12 m répond aussi à cette préoccupation. L’équipement moins lourd préserve également le sol d’un trop grand compactage. La Varenne ne s’est pas séparée de la seconde tonne de 14 m3 avec une buse palette pour les cinq à six adhérents qui souhaitent poursuivre ce système. « La rampe à pendillards n’allonge pas les débits de chantiers », affirme Jordan Lesage qui pratique les deux.
Dynamisation de la Cuma
Après la revente de l’ancien équipement pour 45 000 € et 17 000 € de subventions régionales, l’investissement revient à 53 000 €, sans compter les 35 000 € d’annuités restantes. « L’épandage du lisier assure un fonds d’activité. Il représente 20 % de ses 120 000 € de chiffre d’affaires et assoit l’emploi de Jordan et celui de Quentin Piednoir, en renfort lorsqu’il y a besoin », estime Jean-François Gahery. Salarié de la Cuma de désilage voisine, Quentin intervient chez les adhérents de La Varenne.
Pour Jean-François Gahery, l’épandage est aussi un vrai levier de dynamisation. Après avoir loué un tracteur de 200 ch durant deux ans, la Cuma en a acheté un neuf pour 130 000 € en 2020, avec GPS d’autoguidage. Elle a lancé l’année suivante le tassage des silos en achetant une lame de 4 m.« L’unité de méthanisation a donné la première impulsion. Deux options s’offraient à AB2M pour la gestion des digestats. Soit les stocker sur place et créer une méga Cuma pour organiser leur épandage à partir du site, avec une logistique routière importante, soit disséminer le stockage dans les élevages fournisseurs de déjections. » La seconde est retenue car elle soutient les Cuma locales dans leur activité. « Si la méga Cuma s’était créée, la nôtre aurait perdu celle du fumier en plus des 7 000 m3 à 8 000 m3 de lisier. » Abandonner le système de buse palette pour la rampe à pendillards a nécessité l’adhésion des membres de la Cuma qui ne participent pas à la méthanisation. « Le bouchage du broyeur par les lisiers pailleux était la principale crainte. Elle est aujourd’hui levée. » Y compris au Gaec Beauchêne. Ses lisiers ne sont pas méthanisés. Ils continuent d’être épandus par la Cuma.
Avoir une bonne gestion des lisiers
Les associés sont attachés à la litière de paille sur les 70 logettes-tapis de la stabulation laitière. Ils la considèrent comme le top du couchage en logettes, ce qui est reconnu aujourd’hui dans les grilles d’évaluation du bien-être des vaches logées. Ils apportent en hiver 3 kg de paille par vache et par jour. La rampe de pendillards n’a pas remis en cause cette conduite, grâce à la gestion des déjections en aval du bâtiment. Les deux couloirs n’étant pas équipés de racleur, Jean-François ou Thomas poussent deux fois par jour les déjections à l’aide du valet de ferme. Le rabot mécanisé passe sur aire en caillebottis de 300 m² dotés de rainures larges de 2,5 cm. La partie liquide égouttée est stockée en dessous, dans une fosse de 400 m3. La partie solide est poussée dans le prolongement, sur une fumière non couverte de 600 m².« Le volume de la fosse est largement suffisant aujourd’hui. Elle ne reçoit plus les eaux pluviales qui coulent l’hiver de la fumière puisqu’une fois par semaine les fumiers sont évacués dans un caisson de 25 tonnes vers le méthaniseuret tous les quinze jours l’été [voir photo, page 51]. »
Les eaux de la salle de traite et du parc d’attente sont quant à elles stockées dans une fosse en géomembrane de 600 m3. Elles sont également épandues par la rampe à pendillards de la Cuma.
Côté digestats liquides, les associés ont investi dans une poche de 800 m3 pour 600 m3 livrés par AB2M tout au long de l’année. « Nous en recevons plus qu’initialement envisagé. Heureusement, le supplément est absorbé par le surcroît de stockage réalisé pour se donner de la souplesse, notamment pour respecter le calendrier d’interdiction d’épandage lié à la directive Nitrates. » Les 60 tonnes de digestats solides sont entreposées en bout de champ mais rapidement épandues.
Une expérience au bilan positif
Quatre ans après l’investissement, l’heure est venue des premiers bilans. La principale source de satisfaction est évidemment une bien meilleure valorisation de l’azote qu’en buse palette, encore plus aujourd’hui avec la flambée du prix des engrais minéraux. Jean-François Gahery apprécie également la souplesse d’utilisation de la rampe à pendillards. « On peut passer partout. Le dépôt du lisier au sol ne brûle pas les feuilles des céréales et souille beaucoup moins les prairies. De plus, grâce au GPS, le salarié peut commencer tôt le matin durant les une à deux semaines de pointe de travail. Il peut organiser son travail comme il veut. »
Côté inconvénients, les frais d’entretien sont supérieurs à ce qui était prévu, de l’ordre de 1 €/m3. « L’abrasivité des digestats et des lisiers ainsi que les lisiers de bovins épais usent les 24 couteaux du broyeur répartiteur. Il faut les changer toutes les 1 000 tonnes épandues, à raison de 1 500 € le couteau. La rampe ne durera pas sept ans, comme nous nous l’avions envisagé. » La Cuma optera sans doute pour deux broyeurs répartiteurs. Elle constate par ailleurs que les tuyaux fixés par quatre s’abîment à force d’être pliés et dépliés.
Claire HuePour accéder à l'ensembles nos offres :