Login

Énergie et élevage Un équilibre à trouver

La couverture de bâtiments agricoles par des panneaux photovoltaïques offre une rente aux propriétaires. Mais l'investissement est élevé.

Climat. La France est en retard sur ses objectifs de développement d’énergies renouvelables. Aller plus vite implique d’augmenter la méthanisation à la ferme, voire de s’engager sur l’agrivoltaïsme. Au risque de créer des concurrences avec l’élevage laitier.

Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.

Quand vous tapez « agrivoltaïsme bovin » dans un moteur de recherche, vous trouvez une kyrielle de sites commerciaux qui vous déroulent les multiples avantages supposés de la pose de panneaux solaires dans vos prairies et vous proposent une étude de projet. Preuve que le sujet attire des convoitises. Car la production d’énergies renouvelables nécessite de l’espace, ce qui peut la placer en concurrence avec l’agriculture.

Pour limiter le dérèglement climatique, il est indispensable de sortir des énergies fossiles et donc d’accroître la production d’énergies renouvelables. La loi de 2019 relative à l’énergie et au climat fixe un objectif de 33 % d’énergie renouvelable dans notre consommation brute en 2030, contre 19,3 % en 2021. Le pas est grand, sachant que cette part n’a progressé que de dix points entre 2005 et 2021. La France est le seul pays européen qui ne respecte pas ses engagements d’investissement dans ce domaine. Elle n’a pas d’autre choix que d’accélérer.

Diversifier les revenus

Ce défi représente clairement une opportunité pour les éleveurs. Produire de l’énergie permet de diversifier et de sécuriser le revenu, certes au prix d’un investissement conséquent mais avec une charge de travail limitée. De plus, lorsque cette énergie est en partie autoconsommée, les exploitations améliorent leur autonomie. La pose de panneaux photovoltaïques sur les toitures crée presque une rente pour les propriétaires des bâtiments.

Déjà en 2015, l’Ademe évaluait à 20 % la part d’énergies renouvelables issue directement ou indirectement de l’agriculture. En 2021, le biogaz injecté dans le réseau et l’électricité produite à partir de la méthanisation représentaient 282,3 TWh, soit près de 90 % du gaz et de l’électricité renouvelables produits en France. La PPE (programmation pluriannuelle de l’énergie) chiffre leurs objectifs entre 354 et 432 TWh pour 2028, soit une croissance de 25 à 50 %. Il est donc logique de voir la pression s’accentuer.

La méthanisation agricole est vertueuse dans le sens où elle permet de produire de l’énergie à partir des effluents d’élevage, sans perte pour la fertilisation. Les digestats ne s’utilisent pas exactement comme les fumiers ou lisiers, car il existe un risque de volatilisation de l’ammoniac lors de l’épandage. Cependant, lorsqu’ils sont bien gérés, ils ouvrent la voie à une baisse des apports d’engrais minéraux. Or cela permet à la fois de réduire les factures et de limiter les émissions de protoxyde d’azote, un puissant gaz à effet de serre.

La méthanisation agricole a connu un bel essor depuis une dizaine d’années et, fin 2021, on comptait 933 unités en fonctionnement en France. En 2022, comme en 2021, près de 150 installations de production de biométhane ont été installées. La méthanisation en injection, relativement récente, est la seule filière de production française d’énergie renouvelable en avance sur ses objectifs. La baisse des tarifs d’achat en 2020 et la hausse récente du prix de l’électricité risquent toutefois de casser cette dynamique. De nouveaux textes publiés le 13 juin viennent rassurer sur les tarifs. Mais, en parallèle, la directive européenne sur la durabilité des bioénergies (RED II), applicable dès juillet 2023 pour les unités de plus de 2 MW, inquiète la filière qui anticipe des lourdeurs administratives supplémentaires.

La loi française vise à protéger l’agriculture

La réglementation française a exclu la possibilité d’implanter des cultures dédiées à l’alimentation des digesteurs. Depuis 2016, « le gouvernement a introduit un plafond maximal d’approvisionnement par des cultures principales à hauteur de 15 % du tonnage brut des intrants », rappelle le SER (Syndicat des énergies renouvelables). Les cultures intermédiaires ne sont pas concernées par ce plafond. Cette disposition vise à éviter la concurrence entre la méthanisation et les cultures destinées à l’alimentation animale ou humaine. Il s’agit d’une spécificité française.

Cependant, le respect de cette règle est peu, voire pas, contrôlé. Difficile dès lors de savoir quelle est vraiment la part de cultures principales dédiées aux digesteurs, ce qui donne des arguments aux opposants à la méthanisation. Dans un rapport de 2021, le Sénat cite une enquête de l’Ademe l’estimant à moins de 5 %. D’autres études situent cette part autour, voire au-dessus, de 15 %. À titre indicatif, une enquête annuelle réalisée en Bretagne sur 145 installations a montré en 2021 que la ration moyenne se compose de 55,8 % d’effluents d’élevage, 7,4 % de Cive (cultures intermédiaires à vocation énergétique), 5,29 % de cultures principales et 2,85 % d’autres résidus végétaux agricoles (1). Le reste regroupe divers déchets provenant de l’extérieur.

Moins d’effluents dans la ration en injection

En affinant l’analyse, l’enquête montre toutefois que les installations en injection valorisent moins d’effluents agricoles que celles qui sont en cogénération, 57 % contre 68. En effet, le tarif d’achat prévoit une prime spécifique aux effluents pour les systèmes en cogénération, mais pas en injection. La matière végétale agricole constitue 34 % de la ration en injection contre 17 en cogénération. La part de cultures principales dans la ration se situe autour de 6 % sur le groupe des 102 unités agricoles et à 8 % pour les Cive. Cela représente une part négligeable (moins de 1 %) de la SAU régionale. La menace directe sur le foncier agricole semble donc minime. D’autant plus que la directive RED II imposera de fait un contrôle du respect des 15 % via un mécanisme de traçabilité des intrants.

Malgré tout, dans un rapport sur la méthanisation (29 septembre 2021), le Sénat appelle à la vigilance sur ce sujet. « Il existe un risque que les Cive deviennent, économiquement, un réel facteur de dépendance en matière de revenus pour certaines exploitations agricoles, au détriment des productions à destination de l’alimentation humaine ou animale. » Par ailleurs, lorsque la disponibilité en ressources fourragères se tend, éleveurs et méthaniseurs peuvent se trouver clairement en concurrence. On l’a vu avec la sécheresse de 2022. « Localement, les prix de vente du maïs ont pu monter jusqu’à 3 000 €/ha, au lieu de 1200, sous la pression des méthaniseurs », constate Jérôme Pavie à l’Idele. Ces derniers disposent d’un pouvoir économique supérieur à celui des éleveurs laitiers spécialisés, ce qui leur permet de surenchérir.

Concurrence sur certains sous-produits

De même, la concurrence peut s’exercer pour l’accès à des sous-produits. C’est le cas actuellement pour la pulpe de betterave dans le nord de la France. Traditionnellement utilisée dans la ration des vaches laitières en complément du maïs par la majorité des éleveurs, elle intéresse les méthaniseurs. Ce produit ne sera plus disponible que pour les planteurs à partir de 2025 (voir L’éleveur laitier n° 331, juin 2023, p. 21).

Enfin, la bonne rentabilité de la méthanisation et son besoin relativement faible en main-d’œuvre peuvent pousser certains à réduire leur production laitière. À l’occasion du départ d’un associé, l’idée d’adapter l’effectif de vaches à la main-d’œuvre disponible n’est plus taboue et la présence d’un méthaniseur limite les risques en matière de revenu.

La distorsion de rentabilité fait courir un vrai risque à l’élevage

De son côté, la filière agrivoltaïque est encore balbutiante mais pourrait évoluer très vite. Selon Jérôme Pavie, plus de 120 entreprises se sont déjà positionnées sur ce créneau. Elles démarchent intensément et leur présence a été remarquée lors du dernier Salon de l’herbe et des fourrages à Poussay (Vosges) les 7 et 8 juin. Car l’installation de centrales sur des terres agricoles s’avère bien plus simple que sur les toits des bâtiments ou les parkings.

Comme la méthanisation, l’agrivoltaïsme offre une voie réelle de diversification des revenus pour les éleveurs. La charge de travail est réduite, les risques financiers aussi quand l’entreprise s’occupe de tout. Et la rentabilité semble prometteuse. La rente peut représenter autour de 3 000 €/ha pour le propriétaire. Ce niveau de revenu est complètement décalé par rapport à celui du fermage, ce qui pourrait inciter les propriétaires à renoncer à louer leurs terres aux agriculteurs. Les risques de spéculation foncière ou de réorientation des terres agricoles sont réels. Inquiet, le syndicat JA a demandé un moratoire sur le sujet.

Encadrement de l’agrivoltaïsme

La loi du 11 mars 2023 sur les énergies renouvelables précise que « concilier souveraineté énergétique et souveraineté alimentaire est possible ». Selon ce texte, une installation agrivoltaïque est une « installation de production d’électricité utilisant l’énergie radiative du soleil et dont les modules sont situés sur une parcelle agricole où ils contribuent durablement à l’installation, au maintien ou au développement d’une production agricole ». Reste à définir les modalités de contrôle du respect de ce cadre.

Concrètement, chaque préfet de département arrêtera un document cadre identifiant les surfaces ouvertes à l’agrivoltaïsme. Il revient aux chambres d’agriculture de faire des propositions pour les définir et ce travail est en cours. La Nouvelle-Aquitaine s’apprête à ouvrir ses champs à de grosses centrales. Dans les zones aujourd’hui vouées à un élevage allaitant peu rentable, le risque de substitution existe. À l’inverse, la Bretagne se montre beaucoup plus prudente. Soucieuse de préserver sa vocation nourricière, elle défend l’idée d’un financement par le monde agricole pour qu’il conserve la valeur ajoutée. Elle souhaite aussi limiter la taille des projets pour les rendre accessibles au plus grand nombre.

Évaluer l’impact des panneaux sur les prairies

Mais à l’heure où tout se met en place pour développer rapidement l’agrivoltaïsme, on ne sait rien ou presque de ses possibles bénéfices sur des parcelles valorisées par des vaches laitières. L’Inrae de Clermont-Ferrand vient de lancer une expérimentation sur le sujet (lire l'article).

L’Ademe s’est penchée sur la bibliographie pour dresser un premier bilan de l’installation de centrales photovoltaïques sur les terres agricoles. Sans surprise, il apparaît que là où la lumière peut constituer un facteur limitant pour le développement des plantes, les panneaux solaires risquent de pénaliser la productivité des cultures. Or c’est le cas de bien des prairies au printemps. Lorsque c’est l’eau qui limite la croissance, la diminution de l’évapotranspiration due à la réduction de la température et du rayonnement grâce aux panneaux peut améliorer l’efficience de l’eau, donc avoir un impact positif sur la culture. La présence des panneaux a aussi des conséquences qui restent à éclaircir sur la biodiversité.

On voit que malgré les dispositions réglementaires prises en France pour protéger l’agriculture, la production d’énergie peut exercer divers types de concurrences sur l’élevage, notamment du fait du déséquilibre du niveau de revenu. La transition énergétique est en marche et l’élevage est directement concerné. 2030, c’est demain. Et c’est donc dès aujourd’hui qu’il faut peser pour préserver le potentiel de production des élevages.

(1) Synthèse des bilans de fonctionnement des unités de méthanisation en 2021 en Bretagne, préfecture de la région Bretagne, avec le soutien technique d’Aile (Association d’initiatives locales pour l’énergie et l’environnement).

A découvrir également

Voir la version complète
Gérer mon consentement