PRODUCTION AU BOUT DU TUNNEL, LA COMPÉTITIVITÉ
La dérégulation totale du secteur laitier outre- Manche a entraîné une chute brutale du prix du lait et du nombre d'éleveurs. Une restructuration violente qui a conduit la production à un haut niveau de compétitivité dont elle profite aujourd'hui.
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CONNUS POUR LEURS POSITIONS LIBÉRALES, les conservateurs au pouvoir dans le sillage de Margaret Thatcher ont bouleversé le secteur laitier du Royaume-Uni, en 1994. Jusque-là, l'ensemble de la collecte laitière était acheté par les milk marketing boards (MMB), qui le revendaient aux transformateurs à des prix liés aux fabrications. Un monopole insupportable pour la Dame de fer et ses alliés. Mais ce système n'aurait pas survécu à la montée des politiques libérales européennes.
La disparition des MMB a désorganisé la filière. Les transformateurs ont cherché à sécuriser leur approvisionnement en proposant des contrats.
Des coopératives ont émergé. Certaines se sont limitées à la collecte de lait quand d'autres ont investi dans la transformation. Mais les deux tiers des éleveurs ont préféré signer avec des entreprises privées.
Durant les années de turbulences qui ont suivi, le prix du lait s'est effondré, provoquant la démotivation d'un grand nombre d'éleveurs (voir infographie). Le Royaume-Uni est entré dans une phase de sous réalisation chronique de son quota. Aujourd'hui, il manque environ 2 milliards de litres chaque année. Autant dire que pour les éleveurs, la limitation de la production n'existe plus.
DES SYSTÈMES HERBAGERS ET ÉCONOMES
Car là-bas, comme dans tous les pays européens à l'exception de la France, les éleveurs ne sont pénalisés pour les dépassements individuels que lorsque l'État produit plus que son quota. Les éleveurs qui n'ont pas quitté le métier ont cherché dans l'agrandissement le moyen de préserver leur revenu. Une stratégie facilitée par l'absence de limitation en volume. Parallèlement, ils ont mis au point des systèmes de production très économes.
L'élevage-type du Royaume- Uni a un système fourrager fondé sur le pâturage. Et cette option n'est pas remise en cause lorsque l'effectif atteint plusieurs centaines de vaches. Les parcellaires souvent bien groupés et l'aménagement de chemins adaptés permettent cette pratique. Le recours au croisement ou l'utilisation de holsteins néo-zélandaises améliorent l'adaptation des vaches à ce type de système. Les troupeaux sont conduits en plusieurs lots. Pour réduire le coût de production, certains éleveurs ont calé la production sur la pousse de l'herbe, d'où une collecte plus élevée au printemps qu'en hiver.
Souvent très spécialisés, les éleveurs délèguent les travaux des cultures à des entreprises et investissent peu dans le matériel. Ils utilisent les services d'un consultant privé pour l'alimentation et emploient des salariés pour les tâches d'astreinte.
LA DISTRIBUTION PROPOSE DES CONTRATS
Malgré ces adaptations qui ont permis à certains de tenir, les cessations d'activité ont été nombreuses. Au point qu'au début des années 2000, les distributeurs, sous la pression de consommateurs inquiets devant cette hémorragie, ont commencé à se préoccuper du sort des éleveurs. Sans doute s'inquiétaient-ils aussi de leur propre approvisionnement.
Car au Royaume-Uni, 51 % du lait produit est consommé sous la forme pasteurisée. Un produit périssable difficile à importer. Et un produit d'appel important pour les distributeurs puisque les consommateurs l'achètent plusieurs fois par semaine.
Sur ce secteur concurrentiel, les marques de distributeurs se sont imposées. Cinq grandes enseignes réalisent l'essentiel des ventes. Elles se sont rapprochées des transformateurs et ont proposé des contrats d'approvisionnement spécifiques. Plusieurs formules coexistent. Le plus souvent, le lait destiné à ce marché provient d'élevages identifiés qui s'engagent à respecter un cahier des charges. Ceci inclut une régularité des livraisons au fil de l'année et des engagements en matière de respect de l'environnement ou de bien-être animal. En contrepartie, les distributeurs versent des primes. Ils adoptent des modes de calcul du prix du lait partiellement déconnectés des marchés extérieurs. Et ils utilisent ce réseau d'éleveurs pour faire la promotion de leurs produits et atténuer leur image de rapace vis-à-vis de leurs fournisseurs. Soulignons que cette démarche ne s'est pas étendue à d'autres produits laitiers. Le fromage, qui représente un quart des débouchés du lait, est un produit d'appel moins important pour les distributeurs. Et sur ces marchés, les marques d'entreprises ont réussi à s'imposer.
Aujourd'hui, environ 25 % du lait est produit selon cette logique de contrat avec la distribution. Les éleveurs y voient le moyen de sécuriser leur débouché et de bénéficier d'un prix plus stable. Ainsi, durant la crise de 2008-2009, ils ont profité d'une chute de prix atténuée par rapport à leurs collègues. L'écart pouvait se monter à un tiers du prix. Depuis trois ans, le prix du lait est remonté pour tous et la différence entre les deux modèles est minime. Néanmoins, le secteur laitier d'outre-Manche se caractérise aussi par une grande variabilité des prix payés aux producteurs. Si, dans l'ensemble, la différence se limite à quelques pences par litre, elle se monte à 8,4 c/l entre les extrêmes, en moyenne annuelle.
Cet engagement de la distribution n'est pas neutre pour les transformateurs. La séparation de la collecte engendre des coûts supplémentaires.
Mais surtout, la distribution a inventé un nouveau mode de relation avec les éleveurs, et cela leur échappe. La situation est compliquée à gérer pour les coopératives qui devraient verser le même prix à tous leurs adhérents. Enfin, le système crée des distorsions importantes entre les élevages.
Le bilan semble plutôt positif pour la production qui a pu ainsi conforter ses résultats et voir l'avenir sous un oeil plus serein. Par ailleurs, depuis trois ans, l'amélioration de la conjoncture mondiale a bénéficié à tous les éleveurs. Et les taux de change se sont révélés plus favorables que les années précédentes. Certes, le prix du lait au Royaume-Uni reste plus faible qu'ailleurs, alors que celui des intrants a beaucoup augmenté. Mais la rentabilité de la production s'est améliorée. À l'issue de cette longue cure d'austérité, le taux d'endettement des élevages se limite à 30 %.
DEPUIS 2010, LA COLLECTE REPART À LA HAUSSE
Au final, il semble que les éleveurs aient fini de manger leur pain noir. Ils se classent aujourd'hui dans le peloton de tête en Europe en termes de coût de production et de revenu. En 2010-2011, le revenu moyen des élevages anglais s'établit à 51 000 €, en baisse de 24 % par rapport à l'année précédente du fait de la hausse des prix des intrants. Et la collecte a progressé de 3,9 %. Elle a ralenti sur la campagne en cours, mais la rupture est réelle après une dizaine d'années de baisse continue.
Aujourd'hui, les élevages font face à deux enjeux majeurs. D'une part, les normes environnementales se durcissent. La capacité de stockage des effluents doit atteindre six mois depuis 2010 en zone vulnérable. Pour certains, le coût de la mise aux normes est prohibitif. D'autre part, la tuberculose touche environ 30 % des élevages. L'éradication passe par la réduction de la faune sauvage. Une option insupportable pour la population.
S'AGRANDIR POUR FAIRE DES ÉCONOMIES D'ÉCHELLE
La relance de la production reste fragile. Les enquêtes réalisées auprès des producteurs montrent que 13 % d'entre eux envisagent d'arrêter dans les deux ans (voir infographie). Certains arrivent à l'âge de la retraite mais pour d'autres, il s'agit bien d'une réorientation professionnelle. À l'inverse, 31 % des éleveurs enquêtés veulent augmenter leur production. La dimension des exploitations oriente le dynamisme des éleveurs. 20 % de ceux qui produisent moins de 500 000 l envisagent d'arrêter quand la moitié de ceux qui investissement plus de 300 000 € ont déjà au moins 250 vaches. Et les projets visent essentiellement à augmenter la capacité de production. Soulignons que ce type d'enquête est réalisé chaque année. Et généralement, la réalité est au-dessus des prévisions, avec des cessations moins nombreuses que prévu et des investissements supérieurs.
Le simple prolongement des tendances actuelles conduit à une production de 15 milliards en 2020, soit environ 2 milliards de plus qu'aujourd'hui. Les observateurs de la filière pensent que le nombre d'exploitations va continuer de baisser. La pyramide des âges laisse en effet prévoir de nombreux départs. Tous considèrent que l'agrandissement des élevages en place est une nécessité pour améliorer encore la compétitivité en réalisant des économies d'échelle. Et ils estiment que les élevages de type californien pourraient avoir de l'avenir. Un projet d'élevage de 8 000 vaches est lancé par deux éleveurs. Et les acteurs de la filière jugent ce modèle tout à fait compatible avec les exigences de respect du bien-être animal et de l'environnement si chères à la population.
Les éleveurs d'outre- Manche investissent dans le développement de leurs outils sans bénéficier de subventions.
Charles Scott, université de Newcastle : « Même avec un prix du lait correct, la rémunération du capital se limite à 4 %. C'est insuffisant pour investir. »
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