LES FEMMES S'AFFIRMENT ET SE PASSIONNENT POUR LA FILIÈRE LAITIÈRE
Elles sont encore peu nombreuses mais ne sont plus des exceptions. Dans les exploitations comme sur les rings, les femmes sont très visibles.
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ELEVEUSE-SÉLECTIONNEUSE DE MONTBÉLIARDES DANS LE HAUT-JURA, Claire Gadiolet le confirme : « C'est une réalité. Les jeunes filles sont de plus en plus nombreuses à s'investir dans les élevages laitiers. À Saint-Étienne, au Show Open génisses, elles représentent aujourd'hui la moitié des meneuses d'animaux. »
Encore en formation ou déjà dans la vie active, ces jeunes femmes qualifiées et passionnées savent ce qu'elles veulent. Confiantes dans leurs compétences, elles se mettent en avant et foncent. Actuellement en BTS de comptabilité-gestion en alternance, Anne-Sophie Gauthier, à Ciel (Saône-et-Loire), illustre tout à fait cette génération émergente.
Pour elle comme pour ses collègues, il n'est pas question de se contenter de jouer les seconds rôles. Avec son 1,50 m pour 40 kg, Anne-Sophie est pourtant un petit gabarit. Physiquement s'entend. Car moralement, c'est une autre histoire. Derrière sa voix toute douce, sa ligne fluette et son caractère timide, c'est une volonté sans faille qui émerge de cette petite personne aux longs cheveux blonds, aux yeux discrètement maquillés de bleu. Depuis toujours, Anne-Sophie sait où elle veut aller. « J'ai toujours voulu m'installer et faire du lait. Petite, j'avais ma cote et dès que je pouvais, je suivais mon père dans l'étable. On me compare souvent à ma grand-mère Denise, une passionnée des vaches elle aussi. » En 2007, quand ses parents ont échangé les laitières contre des vaches allaitantes, elle l'a mal pris. Pour garder le contact avec les laitières, la collégienne allait alors chez le voisin faire la traite en rentrant de l'école.
C'est d'ailleurs dans cette exploitation qu'elle a préparé en apprentissage son bac pro SDE (système à dominante élevage). Défendu brillamment cet été, son mémoire de stage s'intéressait à l'impact, sur le troupeau et sur les conditions de travail de l'éleveur, d'une décision prise il y a cinq ans : l'achat d'une mélangeuse.
DU CARACTÈRE, ELLES EN ONT !
Bonne élève initialement orientée en filière générale, la jeune femme était parvenue à convaincre ses parents de la laisser partir en filière agricole. « J'avais ma cible : je savais que c'était l'élevage. Mes parents m'ont fait confiance. » Confiance bien placée. « Anne-Sophie, l'une des deux jeunes filles de terminale bac pro, est très motivée, soulignait en juin dernier Gilles Ozouf, professeur de zootechnie du lycée agricole à Fontaines (Saône-et-Loire). Elle affiche 17/20 de moyenne en zootechnie : du jamais vu dans ma carrière. Idem en gestion et en pratique. Quand elle est chez lui, son maître d'apprentissage reconnaît qu'il ne s'occupe pas des vaches. »
Ce que cette jeune femme aime dans l'élevage, c'est le contact avec les animaux. Le robot ne l'attire pas, même s'il présente indéniablement des avantages en termes de souplesse. « Pour Anne-Sophie, la traite est un moment privilégié où l'on touche les vaches, on leur parle, on voit ce qui ne va pas. » Un jour, elle aura ses propres vaches. C'est sûr. « Mon projet d'installation prendra peut-être du temps. Mais tôt ou tard, ce sera mon tour. J'ai toujours réussi ce que j'ai entrepris. » Anne-Sophie se voit plus dans une exploitation sous forme sociétaire au sein de laquelle elle s'occuperait du troupeau. « Je veux aussi faire de l'administratif et de la comptabilité pour savoir où l'on va et pour améliorer les résultats. J'aime les chiffres. Je n'ai pas l'impression qu'un jour, je me lasserai du lait. » L'astreinte ? « Aujourd'hui, avec les services de remplacement, les Gaec, il y a des moyens pour se libérer. On n'est pas obligé de travailler tout le temps. » Une chose est certaine : dans l'élevage où elle s'investira, elle ne veut pas « compter pour du beurre ». « Je souhaite que chacun trouve sa place sur un pied d'égalité, qu'il soit homme ou femme. »
UNE IMAGE POSITIVE DU MÉTIER TRANSMISE PAR LES PARENTS
Avec l'arrivée de cette nouvelle génération à fort caractère, une page se tourne dans l'évolution du rôle et de la place des femmes en agriculture.
Par le combat qu'elles ont mené sur la décohabitation puis sur le statut, les aînées ont préparé la relève. « Les femmes de plus en plus instruites ont compris l'importance d'avoir un statut juridique, observe Alice Barthez, sociologue. Indispensable, celui-ci toutefois ne fait pas tout. Pour éviter qu'il ne soit qu'une coquille vide, une capacité d'agir réellement ainsi qu'un partage égalitaire du patrimoine sont essentiels. » On en est là !
Contrairement aux années d'après-guerre où les jeunes femmes fuyaient la campagne pour ne pas « trimer » comme leurs mères, cette nouvelle génération d'agricultrices a pu se projeter dans l'image plus épanouie transmise par leurs parents, et dans le souhait du père ou de la mère de leur transmettre leur propre passion. C'est le cas de Lætitia Jacquot, 28 ans, mère de deux jeunes enfants, responsable du troupeau du Gaec des Iris en Saône-et-Loire (980 000 l de lait). Sa mère, qui assure avec elle la traite, lui a donné une image positive du métier et l'a encouragée à faire le métier qu'elle aime.
L'ouverture de l'exploitation familiale, la possibilité de s'associer et donc de concilier plus facilement les différentes facettes de la vie ont facilité l'accès de ces jeunes femmes au métier. Même s'il demeure parfois physique, le travail s'est mécanisé, les systèmes de contention se sont développés.
LE MANQUE DE MAIN-D'OEUVRE LEUR OUVRE DES PORTES
« Manipuler des animaux n'est pas plus difficile pour une femme que pour un homme, estime Anne-Sophie Gauthier. Quand je dois attraper seule une vache pour la piquer, je trouve toujours un moyen. » Gilles Ozouf confirme : « Les jeunes femmes compensent une moindre aptitude physique par une plus grande capacité de réflexion. » « Conduire un tracteur requiert de moins en moins d'efforts physiques, note Claire Gadiolet, éleveuse-sélectionneuse dans le Jura (voir page 36-37). Il n'est plus question de sortir le fumier à la main. Du coup, le métier devient accessible aux femmes. Les systèmes d'attelage ne sont pas encore conçus pour des personnes moins fortes. Il faut encore souvent soulever à bout de bras le crochet d'attelage, soit 30 kg, et taper avec un marteau sur une cheville. »
Paradoxalement, alors que certains éleveurs arrêtent le lait pour opter pour les céréales ou se tourner vers une autre activité moins contraignante et plus rémunératrice, cette jeune génération féminine émerge. Les places sont-elles aujourd'hui plus faciles à prendre ? « Le fait qu'il y ait de moins en moins de main-d'oeuvre dans les exploitations offre de nouvelles opportunités aux femmes intéressées par l'agriculture », analyse Claire.
Pour Aline Cabaussel, des Monts du Lyonnais (voir pages 38-39), le métier d'éleveur est aujourd'hui accessible à tous, que l'on soit homme ou femme. « Il n'y a pas de différence, si ce n'est une plus grande fatigabilité que l'on ressent en fin de semaine. Même si certaines sont plus résistantes que d'autres, une femme qui s'installe seule a vraiment du mérite. »
UN MONDE ENCORE UN PEU MACHO
Aline est également admirative de la génération qui l'a précédée, à une époque où la charge physique liée au travail était bien plus lourde qu'aujourd'hui. En tant que femme, mieux vaut avoir du caractère. « Même s'il a évolué, le monde agricole reste un peu macho. »
Certains hommes, des vétérinaires, des marchands d'aliments ou encore des inséminateurs ne sont pas habitués à faire confiance aux femmes. Dans ce contexte, une jeune fille un peu timide risque de se faire "bouffer". Il faut du cran pour se faire accepter dans un milieu encore très masculin. « Une fille sur un tracteur de 110 ch à l'ensilage, ça interpelle, constate son père Guy Cabaussel. Va-t-elle y arriver ? Quand les hommes constatent qu'elle recule plus vite sur le tas d'ensilage, ils ne se posent plus de questions. »
ANNE BRÉHIER
Eleveuse-sélectionneuse du Jura, Claire Gadiolet est la première femme à avoir jugé un concours national de la race montbéliarde, à Paris en 2011. © CLAUDIUS THIRIET
Mère de deux jeunes enfants et responsable du troupeau du Gaec des Iris, en Saône-et-Loire (980 000 l de lait), Lætitia Jacquot a choisi le métier qu'elle aime. © ANNE BRÉHIER
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