« La clé de notre collectif de 8 UMO : une gestion au cordeau »
Spécialisé dans le lait bio depuis 2001, le Gaec de la Branchette fonctionne avec cinq associés, deux salariés et un apprenti, sur la base d’une organisation très cadrée.
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Pointue dans la conduite technique de son troupeau et très vigilante sur la rentabilité de son exploitation, la famille Lemesle a mis en place une organisation du travail fondée sur la polyvalence des associés, en particulier au niveau de l’élevage. Chaque activité (reproduction-soins, paillage-raclage, alimentation, traite, surveillance, conduite des génisses et des veaux, SFP herbe et maïs, mécanisation entretien, gestion) a un responsable, mais chacun tourne sur les tâches des uns et des autres, et connaît donc les différents postes de l’entreprise.
Outre la recherche d’une bonne efficacité dans le travail, un autre point important est de finir le soir de bonne heure : 18 h 30, hors travaux de printemps. « Nous avons constamment le souci de nous organiser pour ne pas être débordés, expliquent les membres du Gaec de la Branchette. Le travail du week-end est avancé le vendredi. Le samedi ou dimanche, seulement trois heures le matin et deux heures et demie le soir suffisent pour assurer les travaux d’astreinte. Ces jours-là, on peut prévoir de prendre un repas à l’extérieur. »
La permanence du week-end se gère à l’aide d’un planning trimestriel. Les deux associés qui sont de service ne viennent ni lundi matin ni vendredi matin. Quand le salarié est d’astreinte le week-end, il ne vient pas le lundi. « Des changements sont envisageables, note Christophe, l’un des cinq associés. Nous sommes assez souples. Il est aussi possible de se libérer pour un rendez-vous ou des contraintes personnelles une journée. Cela est valable pour nos salariés. »
En semaine, la traite est assurée à tour de rôle par quatre associés et Frédéric, l’un des deux salariés. Occupée par la fabrication du pain (un mercredi sur deux et le vendredi) et par les marchés (deux par semaine), responsable des trois chambres d’hôtes, Blandine est libérée de la traite en semaine.
Un planning hebdomadaire est établi pour la traite du matin. La veille, Guillaume vérifie que deux trayeurs seront bien présents le lendemain à 6 h. « Il ne faut pas perdre de tempscar la traite du soir, qui intègre les soins aux animaux, démarre à 16 h 30 », précise le plus jeune des associés. Celle-ci se fait à trois personnes avec un roulement en fonction des besoins et des disponibilités des uns et des autres. Gaëlle, la sœur de Guillaume, actuellement salariée de l’exploitation dans le cadre d’une année de césure dans ses études supérieures, peut intervenir si besoin lors de vacances d’associés. Avec cette organisation, chaque intervenant assure deux à trois traites par semaine.
La nécessité de rationaliser le travail
Le midi, associés et salariés déjeunent ensemble, entre 12 h 30 et 13 h 30, ce qui permet d’ajuster les choses. La préparation des repas, assurée lundi, mardi et jeudi par Blandine, est décomptée comme du travail. Mercredi, le déjeuner est préparé par la femme de Christophe. Vendredi, il est pris sur le site de la fabrication du pain. Julie, la fille de Jean-Pierre, qui a développé en dehors du Gaec un atelier de fabrication de glaces à partir du lait de l’exploitation, se joint au repas.
Précis, ce mode d’organisation a été mis en place à la suite de l’installation de Guillaume, le fils de Joseph et de Blandine en 2015. Celle-ci s’est accompagnée d’une reprise d’exploitation déjà en bio. « D’un site unique, nous sommes passés à deux, distants de 9 km, expliquent les membres du Gaec. En taille humaine, l’exploitation a doublé : de quatre associés, nous sommes désormais cinq associés et trois salariés. Pour rentabiliser les investissements lourds en rachats de terres (47 ha) et de bâtiment, il a fallu produire plus efficacement en optimisant les coûts. Pour le travail, il a fallu retrouver un nouvel équilibre et se répartir les tâches, ce qui a pris plusieurs mois. » Pour se libérer davantage, améliorer leur qualité de vie (importance des 35 heures, souhait de vivre comme tout le monde), tenir compte de la fatigue liée à l’âge (un associé a eu des problèmes au coude, l’autre à l’épaule), et intégrer les aspirations de la nouvelle génération, les agriculteurs ont ressenti la nécessité de rationaliser le travail.
L’alimentation a été simplifiée
L’alimentation des animaux a été simplifiée, et il n’y a plus qu’un silo d’herbe. Le maïs est distribué sous forme de bouchons déshydratés à hauteur de 5 kg maximum pour les laitières à la belle saison en complément de l’herbe du pâturage (15 kg de MS par vache). Cette base sèche constitue l’essentiel de l’alimentation des génisses l’hiver, ce qui facilite la distribution et la conservation. « Techniquement, ce système est performant et adapté à notre objectif d’un âge de 24 mois au premier vêlage », notent les agriculteurs. L’hiver, la ration complète des vaches se compose d’ensilage d’herbe (7-8 kg de MS par vache), de maïs déshydraté (7-8 kg ), de bouchons de luzerne déshydratée (2-3 kg), d’enrubanné (3-4 kg) et éventuellement de 1 à 2 kg de mélange céréalier.
Outre l’achat d’un taxi-lait pour les petits veaux, les éleveurs ont substitué, dans les logettes, la Dollit (dolomie) à la paille. L’entretien en est facilité.
S’organiser demande du temps et des outils partagés. Outre le déjeuner pris collectivement en semaine, une réunion hebdomadaire a lieu entre les associés le lundi ainsi qu’une réunion par mois avec les salariés. « Pour la réunion hebdomadaire,il faut être rigoureux et faire en sorte que ce rendez-vous soit aussi important que d’aller chez le médecin, observe Christophe. Il y a en effet toujours une bonne raison pour la reporter. Le midi, on ne discute que des urgences. On ne parle ni de gestion ni de finances ni d’organisation. Le lundi sert à ça. On n’est toutefois pas des professionnels de la réunionnite. »
Le renouvellement de quatre associés à l’horizon
Les associés et les salariés du Gaec communiquent beaucoup par SMS, surtout Christophe, Guillaume et Frédéric. Jean-Pierre et Joseph semblent plus accrochés à passer un coup de fil, tout aussi rapide selon eux. L’idée de recourir à l’application WhatsApp a été émise. Guillaume a un agenda sur son smartphone. « L’objectif serait que chacun ait le sien », estime Christophe.
Alors que quatre associés sur cinq partiront à la retraite les sept ou huit prochaines années, le renouvellement est un challenge. Le premier à quitter l’exploitation devrait être Jean-Pierre en 2023. « Trouver des jeunes pour remplacer les anciens constitue un énorme défi », analyse Christophe. En effet, la contrainte de la traite et de l’élevage est vécue négativement par de nombreux jeunes. Une évolution vers une structure entrepreneuriale patron-salariés, dans laquelle la famille conserverait le capital et le pouvoir de décisions est envisagée. « Nous voulons rester une ferme familiale. Pas question de capitaux extérieurs dominants. Nous ne souhaitons pas nous associer avec des personnes que nous ne connaissons pas. Par contre, un salarié bien intégré pourrait devenir associé. » Frédéric, ancien apprenti embauché comme salarié depuis 2016, aurait le profil idéal, mais peut-être préférera-t-il s’associer avec son frère, déjà installé. Gaëlle, la sœur de Guillaume, pourrait être intéressée, à terme, pour rejoindre le Gaec. Elle est encouragée d’abord à « rouler sa bosse », tout comme le fils de Christophe qui finit un BTS PA car « l’expérience extérieure est essentielle et permet d’acquérir des compétences dans tous les domaines ».
Au sein du Gaec, ils sont unanimes : la (ou les personnes) qui gérera la structure à l’avenir devra être très bien formée sur le plan managérial. Des compétences trop peu transmises dans les écoles d’agriculture alors que l’éleveur de demain sera d’abord un manager. « La prise de décision dans les exploitations constitue une charge mentale lourde, pointent les associés. À terme, ce serait mieux d’être au moins deux associés. La décision stratégique de passer en bio en 1999 a ainsi été prise collectivement à l’issue de deux ans de réflexion. C’était une idée de Jean-Pierre d’arrêter les porcs à l’engrais et les jeunes bovins pas rentables, et de se spécialiser dans le lait avec une transition bio. On aimait l’élevage. Joseph était réticent : il se faisait du souci à cause du risque de salissement des cultures et craignait de voir baisser le lait par vache. Nous étions tous partants pour travailler davantage l’herbe. Jean-Pierre s’est formé au bio. Nous avons visité des exploitations de même dimension que la nôtre (importante à l’époque avec 840 000 litres et des vaches à 9 000 litres). Les deux premières années ont été dures, mais rapidement, nous avons retrouvé notre chiffre d’affaires initial. »
« Se dire les choses, même si ça ne fait pas plaisir »
Pour préparer la prochaine étape de la vie du Gaec, les associés vont refaire une formation en interne en impliquant les salariés. L’objectif est de mieux se comprendre demain. « Même si on travaille en famille et qu’on croit se connaître, on peut avoir des visions ou des caractères différents, observe Guillaume. Et puis les attentes des uns et des autres peuvent évoluer rapidement en fonction de l’âge, de la santé, de changements familiaux. » « Dans notre famille, on a l’habitude de se dire les choses, même si ça ne fait pas plaisir, précise Christophe. Cela permet de régler les problèmes au fur et à mesure. » « Il faut aussi apprendre à faire des compliments, à savoir reconnaître le travail bien fait et à ne pas s’exprimer seulement quand ça ne va pas », pointe Jean-Pierre. Entre les générations, les priorités sont aussi différentes. Il faut en tenir compte. Alors que les jeunes estiment important de différencier la partie travail et la partie famille, les anciens le reconnaissent : « Notre génération ne savait pas faire ça. Nous avancions le nez dans le travail. Nos conjointes s’adaptaient. Nous avions tous les trois le même âge et le même style de vie. »
Des salariés plutôt qu’un robot
La robotisation du troupeau, coûteuse et mal adaptée au système très pâturant, n’est pas un axe de travail. Les associés préfèrent prendre du personnel. En revanche, certains outils innovants, tels que le système de détection de chaleurs et de vêlage, sont appréciés. Installé récemment, ce dernier assurera à chacun, via le téléphone et internet, le même niveau d’information. « C’est une façon de préparer la transmission du travail de surveillance, observe Christophe. Celui-ci devrait d’ailleurs être considéré comme un poste à part entière avec un système de roulement comme la traite et une méthodologie pour une meilleure efficacité. »
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