« PLUSIEURS ACTIVITÉS MAIS SANS SE DISPERSER »
Au Gaec du Bruyas (Loire), 140 000 litres de lait sur les 940 000 produits sont transformés en rigotte, une spécialité locale. C'est valorisant et ça paie.
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DANS CE SECTEUR DES MONTS DU LYONNAIS à forte dynamique laitière, le Gaec du Bruyas est le seul à avoir conservé une activité de transformation fromagère. Et il y tient. Pas question d'y mettre fin sous prétexte de simplification. « À moins de vouloir s'exposer davantage aux fluctuations des prix et aux incertitudes du cours du lait industriel, ironise Jean-Pierre Jacoud, l'un des cinq associés chargé de la fromagerie. En décembre, c'est la première fois que le lait B vendu à Sodiaal (15 % de la référence du Gaec) a été payé à 220 €/1 000 l, soit 30 % de moins que le mois précédent. C'est violent et inquiétant. Sur le lait industriel, nous n'avons aucune lisibilité. Quelle entreprise peut gérer son activité sans savoir à quel prix son produit sera payé dans deux mois ? On sait juste que ça va baisser. »
Pour assurer un confort maximal aux 100 prim'holsteins du troupeau et simplifier l'astreinte, une stabulation neuve a été construite en 2008. Elle a coûté 6 000 € par place. « Alors que les annuités à rembourser courent encore sur dix ans, nous venons juste, et avec peine, de renouveler un tracteur de quinze ans nécessaire à la partie élevage », note Jean-Pierre Jacoud. Et d'ajouter : « Sur l'exploitation, chacune des quatre activités (lait livré en coopérative, fromage fermier, atelier porc et charcuterie fermière) fait l'objet d'une comptabilité analytique et doit s'équilibrer financièrement. A contrario, le lait transformé en fromage permet de sauver une marge d'année en année, en permettant depuis cinq ans une embauche de salariée. On crée de l'emploi sur notre territoire, c'est valorisant. Et économiquement, ça paie ! » Pour l'année 2014, la valorisation du lait transformé s'est élevée, en moyenne, à 1 280 € bruts les 1 000 litres. Mi-janvier, avec un lait à 35,5 de TP, elle est montée à 1 350 €. « Les associés chargés de gérer le troupeau laitier, Léonard Bouchut et Stéphane Laurent, sont passionnés par la génétique et la gestion de l'alimentation. Cela nous permet de récupérer et de travailler un lait riche », poursuit-il. De ce niveau de valorisation, il faut déduire le lait cédé par l'élevage et acheté au prix Sodiaal, les coûts d'amortissement du matériel et de l'équipement, les frais de fabrication (250 €/1 000 l), et le coût de la salariée à 80 % (150 €). In fine, l'atelier dégage une marge d'orientation annuelle (1) de 18 500 € après les prélèvements d'associés et les charges MSA déduites.
« L'ATELIER DE PRODUCTION LAITIÈRE TOURNE AVEC DEUX ASSOCIÉS ET UN SALARIÉ »
Dans cet élevage créé à partir du regroupement de quatre exploitations, la transformation fromagère est arrivée en 1988 avec l'installation de Jean-Pierre Jacoud. « Sur la ferme de mes parents, comme dans beaucoup de fermes locales, la rigotte constituait une activité traditionnelle. » Le petit fromage lactique de 30 g, à la surface duquel se développe un pénicillium bleu, était alors vendu par 5 kg à un grossiste. Intégrée au Gaec et représentant dans un premier temps 20 % de la production laitière (60 000 l sur 300 000 l), la transformation s'est développée à partir de 1994 avec la construction d'une fromagerie aux normes européennes. La première du département.
Dans leur activité de transformation, les éleveurs veillent à ne pas se disperser. Ils ne produisent qu'un seul type de fromage avec un conditionnement principal : une petite poche plastique souple, pratique et peu onéreuse. « Quand on fait un peu de tout, la marge chute, analyse Jean-Pierre Jacoud. On essaie de rationaliser l'activité car le temps et la main-d'oeuvre coûtent (16 € de l'heure pour un salarié, salaires et charges comprises). »
« NOUS FABRIQUONS UN SEUL TYPE DE FROMAGE »
Des essais de fabrication de tome ont été réalisés, mais abandonnés. Le produit est vendu sous la marque Rigotte du Troyet dans cinq grandes et moyennes surfaces des monts du Lyonnais et de l'ouest lyonnais, ainsi qu'à deux grossistes de Lyon et de Rungis. « Nous proposons aux GMS non seulement un produit, mais un service complet, précise l'éleveur-fromager. Nous conditionnons le produit, nous l'étiquetons et nous le mettons en rayon. Il suffit que le supermarché nous laisse la place adéquate dans le linéaire. Commercialiser en vente directe ou sur les marchés serait plus exigeant en temps et nécessiterait d'investir dans des équipements. Ce ne serait pas rentable. »
Aujourd'hui, avec 140 000 litres transformés chaque année, la fromagerie amortie est saturée. Alors que la demande existe sur le marché et que les produits du terroir ont le vent en poupe dans les GMS, développer l'activité rigotte exigerait de construire un nouveau local. Le niveau d'investissement à réaliser est un frein. Pour écraser les charges fixes du nouvel atelier en bénéficiant des économies d'échelle, il faudrait transformer deux fois plus de lait. Malgré l'intérêt économique indéniable de la transformation, Jean-Pierre et ses collègues s'interrogent. « C'est un pas important à franchir. Pour que l'investissement soit profitable, les charges liées à ce projet ne doivent pas dépasser 120-150 €/1 000 l de lait transformés. Le nouvel atelier sera-t-il reprenable, voire cédable, quand certains d'entre nous partiront à la retraite d'ici à quelques années ? En effet, un associé du Gaec a 59 ans, j'ai moi-même 52 ans, un troisième a 51 ans. Les deux jeunes de 35 ans qui se chargent de l'élevage sont déjà bien occupés avec le troupeau et les 100 ha de parcelles pentus des monts du Lyonnais. Trouver un salarié avec un profil fromager qui pourrait s'installer plus tard comme associé, est-ce envisageable ? Nous hésitons. L'ambiance dans le monde de l'entreprise d'aujourd'hui est devenue plus pesante. On est devenu plus frileux. Laisser la transformation serait toutefois difficile, car elle s'est construite progressivement avec beaucoup de travail et d'implication. En attendant que ce projet mûrisse, nous sommes à la recherche d'un associé pour que l'atelier lait soit géré à trois. »
Parallèlement à la transformation fromagère, le Gaec du Bruyas a développé, depuis 1992, un atelier de naissage et d'engraissement de porcs charcutiers et, depuis 2008, une activité de charcuterie fermière. Un éleveur arrêtait son activité. Il y avait là une opportunité de faire de la vente directe, une perspective qui intéressait le Gaec du Bruyas. Fabriquée dans un laboratoire collectif, la charcuterie est vendue dans un magasin de producteurs et sur un marché à Lyon.
« NOUS NE SOMMES PAS ASSEZ "GROS" POUR BIEN TOURNER »
« Nous avons commencé par l'engraissement, avant d'ajouter un atelier de naissage, puis une activité de multiplication de porcelets. Il y a sept ans, quand nous avons choisi de développer la charcuterie, nous avons réduit la taille de l'atelier en passant de 110 truies à 70. Faudra-t-il aller plus loin dans la réduction ? Nous sommes en pleine réflexion, car la marge se fait aujourd'hui sur le produit transformé, et non sur l'élevage. En taille d'élevage, nous sommes entre deux, pas assez gros pour bien tourner. Une solution serait d'adhérer à une maternité collective, mais c'est un choix que nous n'avons pas retenu. »
(1) Du produit sont déduites toutes les charges liées à l'activité : coûts de production, coûts salariaux avec cotisations sociales, rémunération de la main-d'oeuvre des exploitants et leurs cotisations sociales.
Les vaches dehors, près de la stabulation conçue pour leur assurer un grand confort et diminuer l'astreinte. Avec une salle de traite 2 x 10 TPA et une alimentation distribuée avec une mélangeuse, les associés ont un week-end de garde toutes les six semaines (ils sont deux à travailler le samedi matin).
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