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DIRECTIVE NITRATES : POURQUOI ÇA COINCE

Reconnaissons à la directive nitrates un effet bénéfique : elle a introduit dans les fermes une meilleure appréhension de la fertilisation azotée.© SÉBASTIEN CHAMPION

Nouvelles zones vulnérables et nouvelles règles, les éleveurs n'ont pas d'autre choix que d'y faire face. À l'origine, un double contentieux entre Paris et Bruxelles qui dure depuis 2009.

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L'APPLICATION DE LA DIRECTIVE NITRATES EN FRANCE est un long feuilleton à rebondissements. Le dernier date de la mi-décembre avec la publication par le ministère de l'Écologie d'un projet d'arrêté et de décret sur les modalités de délimitation des zones vulnérables (ZV). De quoi s'agit-il ? On se souvient qu'en juillet dernier, il a proposé au classement en zones vulnérables 3 888 nouvelles communes (ci-contre). Les consultations viennent de s'achever. Il ne reste plus aux préfets coordinateurs de bassin qu'à publier les arrêtés.

PREMIER CONTENTIEUX : LES ZONES VULNÉRABLES

La profession agricole juge ce classement incomplet et peu argumenté. Entre autres incohérences dénoncées, la référence à 18 mg/l de nitrates au titre de l'eutrophisation des eaux. « Elle ne semble étayée par aucun argument scientifique », dénonçait fin novembre la chambre d'agriculture de Normandie pour les bassins Seine-Normandie et Loire-Bretagne. Et l'instance d'expliquer : « Dans le cadre de la convention internationale Oslo-Paris pour la protection du milieu marin du nord-est de l'Atlantique, la France s'est engagée à réduire de moitié la teneur en nitrates à l'exutoire de la Seine, qui est à Poses (Eure). La teneur de référence est de 24 mg/l. Divisé par deux, cela donne un objectif de 12 mg/l, mais comme la Seine enregistre un phénomène de nitrification équivalent à 6 mg/l de nitrates, la valeur à ne pas dépasser est fixée à 18 mg. » Pour couper court à toute contestation juridique des définitions de zones, les pouvoirs publics ont donc lancé ce projet d'arrêté et de décret, avec une consultation publique. Les arrêtés pour les 3 888 communes devraient être publiés dans la foulée.

Cette longue explication est à l'image de la mécanique complexe qui s'est mise en route en 2009. Cette année-là, la Commission européenne a fait une demande d'information sur la désignation du zonage français. Contrairement aux pays nord-européens qui ont mis l'ensemble de leur territoire en ZV, la France a choisi de classer les parties alimentant des eaux atteintes par la pollution des nitrates d'origine agricole et celles ayant tendance à l'eutrophisation. La désignation « nitrates » de la directive fait oublier la lutte contre l'eutrophisation que déclenche l'association azote + phosphore. Bruxelles a jugé insuffisant le zonage national, a mis en demeure la France en 2010 et a saisi la Cour de justice de l'Union européenne deux ans après. La France a répondu par l'extension des zones vulnérables en 2012 (carte). L'ajout des 3 888 communes en juillet répond à la condamnation de la Cour européenne du 13 juin 2013, heureusement sans amende. Nous en sommes là.

SECOND CONTENTIEUX : LA MISE EN OEUVRE

Conséquence pour les éleveurs dans les nouvelles zones vulnérables dites « 2012 » : l'application des actions relatives à la directive nitrates, à savoir le plafond des 170 kg d'azote organique/ha de SAU, un plan de fumure prévisionnel, des périodes d'interdiction d'épandage, le stockage des déjections, les sols couverts l'hiver, etc. Toute chose que ceux en ZV depuis des années connaissent bien. Pour les premiers comme pour les seconds, ils doivent aujourd'hui assimiler les nouvelles règles relatives au lancement du cinquième programme d'actions, défini en 2011, complété en 2013... et renforcé dans les régions cet été. Il est destiné à éteindre le deuxième contentieux qui oppose la France et Bruxelles au point de la mener jusqu'à une autre condamnation par la Cour de justice en septembre 2014 (sans amende). Là encore, la Commission estime insuffisante la mise en oeuvre nationale. Elle demande une application facilement contrôlable : un stockage des déjections de six mois dans la moitié nord de la France et de cinq mois dans la moitié sud, un plafond de fertilisation par culture plutôt que la méthode des bilans jugée complexe, une meilleure définition du seuil de pente au-dessus duquel l'épandage est interdit, l'enregistrement du stockage du fumier au champ, etc. « Il n'y a pas de surprise. Ces griefs sont connus depuis l'automne 2012 auxquels le 5e programme d'actions ne répond pas totalement », note un observateur.

UNE APPROCHE « TERRAIN » APPROUVÉE PAR LA PROFESSION AGRICOLE

La France a fait un tout autre choix. Elle a privilégié une approche « terrain », à partir des conditions agronomiques de l'exploitation et de la région. Le calcul des capacités de stockage des déjections l'illustre bien. Avant le 5e programme, il s'appuyait sur le Dexel qui prenait en compte l'effectif des animaux, leur temps de présence hors bâtiments, les itinéraires techniques. Dans les ZV « d'avant 2012 », cette approche a limité, pour les éleveurs qui le souhaitaient, le stockage à quatre mois. De quoi satisfaire la profession agricole qui défend une adaptation au contexte local et la limitation des investissements. « Seulement, selon l'effectif retenu, la marge de stockage pouvait être plus ou moins confortable. Bruxelles n'apprécie pas ce manque de transparence », poursuit cet observateur. Dans le nouveau programme, Paris fait un geste. Il instaure des durées minimales mais sans tourner la page agronomique grâce à la création de sous-zones A, B, C et D. Les durées y varient de quatre à cinq mois pour le fumier et de quatre mois et demi à cinq mois et demi pour le lisier, pour des vaches laitières plus de trois mois hors bâtiment. Les fumiers compacts sont stockables au champ... pour l'instant.

Les éleveurs des ZV d'« avant 2012 » et des « nouvelles 2012 » doivent réaliser leur mise aux normes avant le 1er octobre 2016. En contrepartie, les pouvoirs publics accordent une dérogation aux périodes d'interdiction d'épandage. Pour cela, il fallait renvoyer avant le 1er novembre le formulaire de déclaration d'engagement.

« Attention, la dérogation n'exonère pas de l'absence d'écoulement dans le milieu naturel, prévient François Normand d'Orne Conseil Élevage. La police des eaux peut à tout moment verbaliser. De plus, la dérogation ne s'applique pas aux autres points du 5e programme. »

Il faut aussi avoir à l'esprit que la rédaction de compléments au programme est possible (pentes, fumier au champ).

S'il est bon de comprendre les raisons de cet imbroglio franco-bruxellois, il faudra tout de même faire face et investir dans de nouvelles capacités de stockage. Le refus de témoigner sur leurs pratiques des éleveurs en ZV depuis des années, que L'Éleveur laitier a contactés, est à l'image de l'exaspération qui règne dans les campagnes. Ils ne nient pas les bienfaits de la couverture du sol l'hiver pour éviter le lessivage de l'azote ni celui de l'équilibre de la fertilisation. « Mais trop de réglementation tue les effets désirés », lâche l'un d'eux. « Je préfère positiver, confie un autre. Ma laiterie va proposer des volumes de lait en plus. Ils financeront l'augmentation de la capacité de stockage. La date butoir du 1er octobre 2016 m'oblige à réfléchir à mon projet et à investir plus vite. »

PRÉVOIR PLUTÔT UN STOCKAGE DU LISIER DE SIX MOIS ?

Vu l'incertitude réglementaire sur la durée de stockage (rappel : cinq ou six mois demandés par Bruxelles), faut-il anticiper et prévoir un stockage du lisier de six mois dans les grands bassins laitiers ? « L'expérience montre qu'en dessous de six mois, il y a risque de débordements, répond François Normand. Six mois donnent aussi de la souplesse agronomique. Tout dépend de la marge financière dont on dispose. » Si l'on est en fosse bétonnée, l'autre solution est de prévoir l'emplacement d'un mât pour une couverture future de la fosse. Cela libérera le volume réservé à l'eau de pluie. Une façon d'anticiper une autre réglementation qui semble dans les tuyaux : la réduction des émissions d'ammoniac (page précédente). La couverture des fosses à géomembrane est plus compliquée. L'autre piste est de faire appel à une entreprise capable de l'agrandir ultérieurement. Sodaf Géo Étanchéité (Vendée) le fait.

LE STOCKAGE DU FUMIER COMPACT AU CHAMP INTERDIT ?

Rappelons que le fumier stocké au champ est sans écoulement. C'est pour dix mois et avec un stockage préalable sous les animaux ou en fumière de deux mois. Une mesure bien pratique pour limiter les investissements et faire le tampon quand la météo empêche les épandages. « Les contrôleurs vérifieront de plus en plus si le fumier entreposé est bien compact », dit François Normand.

Il faut avoir à l'esprit que les discussions avec Bruxelles peuvent aboutir à son interdiction. « Là encore, mieux vaut prévoir une porte de sortie. » Dans le cadre de l'évolution globale de l'élevage, si investir dans le stockage du fumier est la solution retenue, pourquoi ne pas l'envisager pour une durée plus longue ou au moins se réserver la possibilité technique de le faire ? De même, si l'abandon de l'aire paillée pour des logettes-lisier est en réflexion, cela peut être l'occasion de franchir le pas ?

QUID DES AIDES À LA MISE AUX NORMES ?

L'enveloppe d'aides sera partagée avec les autres secteurs agricoles. Le plan de modernisation des bâtiments d'élevage disparaît. Il est regroupé avec d'autres plans dans la partie « investissements » du Plan de développement rural 2014-2020. L'Europe met la main à la poche via le fonds Feader. Le complément est assuré par l'État, les conseils régionaux, etc. Ainsi, en Basse-Normandie, la contribution européenne s'élève à 53,87 M€ pour 63,4 % de cofinancement.

« Cela représente un potentiel de 85,5 M€ d'aides totales sur sept ans, indique Sophie Esvan, de la chambre d'agriculture de Normandie. C'est plus qu'auparavant, si l'on arrive à lever tous les cofinancements français, mais à partager avec plus de bénéficiaires. » Les fonds Feader sont confiés aux conseils régionaux. Certains négociaient encore avant Noël les critères d'attributions avec leurs partenaires, dont la profession agricole. La mise aux normes des élevages nouvellement en ZV fait partie de la liste. L'incertitude plane pour les élevages en ZV avant 2012. « Bruxelles donne un cadre pour le financement des projets que la France a traduit en priorité. La modernisation des bâtiments d'élevage, la performance énergétique et l'agroécologie en font partie. De leur côté, les régions ont leurs propres priorités. Il faut arriver à construire un projet régional commun. » Celles du Grand Ouest les ont traduites en un système de grille à points. Le dossier présenté se verra attribuer plus ou moins de points selon la nature du porteur (JA, Cuma, exploitation bio, éleveur en nouvelle ZV, etc.), mais aussi selon le projet lui-même (autonomie protéique, création d'emploi, gestion des effluents, etc.). « Plus le demandeur aura de points, meilleures seront ses chances d'être financé. »

L'État mobilise 200 M€ dans le cadre de son plan « Compétitivité ». Il est demandé aux agences de l'eau de participer aux financements des mises aux normes. Est-ce que cela suffira ?

C. H.

Reconnaissons à la directive nitrates un effet bénéfique : elle a introduit dans les fermes une meilleure appréhension de la fertilisation azotée.

© SÉBASTIEN CHAMPION

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