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L'ÉVALUATION DU BIEN-ÊTRE DES VACHES POURRAIT S'IMPOSER

L'accès au pâtutage est une demande forte des associations de défense des animaux. En France, une grande majorité des troupeaux sort pâturer mais avec l'agrandissement, la tendance est à la baisse.© CHRISTIAN WATIER

Le bien-être des vaches laitières est une attente sociétale qu'il faut entendre et il en sera sans doute question lors de l'élaboration de la future loi-cadre européenne sur ce thème.

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LE BIEN-ÊTRE ANIMAL SERA-T-IL DEMAIN À L'ORIGINE DE NOUVELLES CONTRAINTES pour les éleveurs laitiers ? À la différence des élevages hors sol (volailles, porcs, veaux de boucherie), il n'y a pas de directive européenne sur le bien-être des vaches laitières qui impose des normes particulières. Mais il serait dangereux de ne pas se préoccuper de ce sujet. Plusieurs raisons à cela. La première, en tout cas la plus visible, est la pression des différentes ONG et associations engagées dans la défense des animaux. Ces militants semblent avoir clairement ciblé l'élevage laitier. La ferme des 1 000 vaches, aujourd'hui sous les feux de l'actualité, a encore accentué l'attention sur la production laitière. Ces associations ont des profils très divers. Certaines prônent simplement une amélioration des conditions d'élevage, d'autres plus extrémistes militent pour le végétarisme et l'abolition totale de l'élevage. Mais tous, usant avec talent d'internet et des réseaux sociaux, ont des outils de communication performants qui jouent invariablement sur l'émotion, la compassion, avec, parfois, des images chocs.

UNE OPPORTUNITÉ MARKETING

Ne négligeons pas non plus la montée en puissance des fronts alternatifs (comme les zadistes) qui ont fait de l'environnement leur combat et sont tout aussi aptes à défendre bruyamment la cause animale. Enfin, tous les débats sur le statut de l'animal (voir encadré) mettent au jour une demande sociétale toujours plus forte en faveur de la protection animale. Sous la pression de la société civile, donc des consommateurs et, par ricochet, des distributeurs, l'industrie agroalimentaire s'empare parfois du bien-être animal. Tout dernièrement, n'est-ce pas l'enseigne Monoprix (soutenue par une ONG de défense des animaux, le CIWF) qui assure s'approvisionner en lait de consommation dans des élevages qui font pâturer les vaches ?

Les industriels du lait auront vite compris l'opportunité marketing du bien-être animal. Danone, avec sa marque de yaourts bio Les 2 Vaches, communique d'ailleurs largement sur « les vaches heureuses ». Ne doutons pas que d'autres chartes mêlant agroécologie et bien-être (celle de McDonald's, par exemple) verront le jour. Une norme Iso est aussi en préparation sous l'impulsion des industriels de l'agroalimentaire.

LES OBJECTIFS DU LÉGISLATEUR SONT ANNONCÉS

D'un point de vue réglementaire, la Commission européenne a décidé de faire évoluer sa législation sur le bien-être animal pour la refondre dans une loi-cadre, qui verra le jour en 2015 ou 2016. Ce nouveau texte concernera aussi les vaches. Ses principaux objectifs ont été clairement annoncés : définir des indicateurs de résultats pertinents et utilisables en vue de contrôles ; mieux informer le consommateur, ce qui répond à une demande des ONG qui souhaiteraient étendre le modèle « oeuf » à d'autres produits ; créer une base de références européenne ; enfin, exiger des compétences pour les professionnels qui travaillent avec des animaux. On peut imaginer ici des formations imposées aux éleveurs, du type Certiphyto. « De ce que l'on sait aujourd'hui, cette loi-cadre visera davantage à fixer des objectifs plutôt que des normes, comme cela a été le cas dans les directives veaux, volailles et porcs qui ont interdit notamment les contentions individuelles. Cette nouvelle approche devrait laisser une plus grande responsabilité aux opérateurs. Nous serons dans une obligation de résultats plutôt que de moyens », explique Luc Mirabito, chef de projet bien-être animal à l'Institut de l'élevage.

LA DIFFICULTÉ D'ÉVALUER LE BIEN-ÊTRE

Devant cette multitude d'acteurs (citoyens, militants, distributeurs et législateurs), l'interprofession laitière, le Cniel, se devait d'être présente. Un groupe de travail sur le thème du bien-être s'est donc constitué. Il a isolé une première difficulté : « Il n'y a pas aujourd'hui d'état des lieux exhaustif des connaissances sur le bien-être des vaches laitières. » Et en premier lieu, comment évalue-t-on le bien-être dans un élevage laitier, quels indicateurs utiliser ? Il est souvent fait référence aux « cinq libertés », un concept établi dans les années 1960 qui s'assure : de l'absence de faim et de soif, de douleur physique et de maladies, de l'absence de peur ou d'anxiété, d'un maintien du confort et de l'expression des comportements normaux de l'espèce. Plus complexe ensuite est d'établir un outil d'évaluation avec des mesures sur l'animal et l'environnement permettant un jugement et, au-delà, un contrôle, voire une certification. La méthode Welfare Quality, née d'un projet européen, a cette ambition. À partir d'une série de mesures, elle calcule un score global pour le troupeau. Mais la méthode peut être jugée assez lourde pour une utilisation en routine dans les élevages.

QUELQUES POINTS NOIRS À SURVEILLER

Une étude épidémiologique, présentée en 2012, avait été menée dans 131 élevages laitiers français en appliquant ce protocole Welfare Quality d'évaluation du bien-être. À la première lecture, les résultats apparaissent plutôt médiocres sur plusieurs critères. Certains sont très étonnants.

Ainsi, l'absence de faim prolongée n'existerait que dans 49 % des exploitations visitées. En fait, cette absence de faim est mesurée par la note d'état corporelle (NEC) et effectivement, seuls 25 % des troupeaux ne comptaient aucune vache trop maigre (NEC inférieure à 2,5). Mais les aspects les plus dégradés du bien-être constatés dans cette étude sont la douleur liée aux pratiques d'élevage, les maladies et l'inconfort du couchage. Pour la douleur, c'est l'écornage des veaux sans anesthésie qui a été noté. Pour le couchage, l'étude a pointé que les vaches rencontrent plus de difficultés pour se coucher et plus de blessures dans les étables à logettes et plus précisément, dans les logettes mal réglées. Sur le critère « absence de maladies », qui agrège douze mesures dont les cellules, les diarrhées, la toux, la mortalité, etc., les scores les plus bas sont observés avec des vaches holsteins en logettes.

« Cette enquête confirme que le logement nécessite des améliorations pour garantir un bon confort de couchage et réduire les blessures, et que les vaches hautes productrices sont à haut risque pour une NEC faible et les troubles de santé. Certaines fermes qui ont obtenu des scores de bien-être très élevés pourraient servir de modèles », écrit Alice de Boyer des Roches (Inra), auteur de l'étude.

LES ATTENTES SOCIÉTALES SONT UN PEU DIFFÉRENTES

Autre avis sur le bien-être des vaches laitières, celui de l'Efsa (l'Agence européenne de sécurité des aliments), transmis en 2009 à la Commission européenne. Qu'en déduire ? : « Les boiteries et les mammites sont les principaux indicateurs de déficience éventuelle en matière de bien-être chez les vaches laitières, ainsi que les troubles métaboliques, reproductifs et comportementaux. La sélection génétique lorsqu'elle ne s'intéresse qu'au rendement, la conception des logements (nature des sols, conception des logettes) ou certaines pratiques d'élevage (maintenance des matériels et hygiène de la traite, attache permanente) constituent les facteurs majeurs de risque. » Rien de révolutionnaire, mais la Commission est avertie. Vous aurez remarqué que gérer ces risques potentiels fait de toute façon partie du métier d'éleveur et ne s'apparente pas à des contraintes inacceptables.

Du côté du Cniel, on a aussi identifié des priorités mais avec un objectif supplémentaire, celui de répondre aux attentes sociétales. La filière est consciente que l'écornage est une intervention douloureuse qu'il faut améliorer. Un protocole est en cours de finalisation. Encore faudra-t-il que l'éleveur soit autorisé à pratiquer l'anesthésie.

Apporter une réponse aux ONG qui pointent la « cruelle » séparation mère-veau n'apporterait pas de contraintes supplémentaires en démontrant que plus la séparation est précoce, mieux c'est. La longévité trop faible des vaches laitières, qui peut être le marqueur de pathologies chroniques dans l'élevage, sera plus difficile à aborder. Quant à l'accès au pâturage et l'agrandissement des troupeaux, sujets le plus souvent mis en avant par les associations de défense des animaux, la filière devra communiquer sur la taille moyenne de l'élevage laitier français : 55 vaches avec 89 % de systèmes pâturants (4 ares/VL). Autre axe de communication à développer, la relation éleveur/animal qui en élevage laitier est encore très individualisée et se différencie des logiques de lots existant dans d'autres productions. « La charte des bonnes pratiques implique déjà des engagements sur le bien-être qu'il est toujours possible d'améliorer. Nous avons un savoir-faire en France qu'il faut faire connaître. Dans les élevages laitiers, où il y a peu de restrictions de comportement sur les animaux, améliorer le bien-être entraîne très souvent de meilleurs résultats zootechniques. Quoi qu'il en soit, cette problématique ne peut plus être négligée. Aujourd'hui, dès qu'un éleveur doit faire un choix de système d'élevage (bâtiment, agrandissement, etc.), la dimension bien-être doit être intégrée à sa réflexion, et elle imposera parfois des compromis », avertit Luc Mirabito.

DOMINIQUE GRÉMY

Une enquête auprès de 131 élevages laitiers français montre que le logement nécessite des améliorations pour garantir un bon confort de couchage et réduire les blessures.

© THIERRY PASQUET

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