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« J’ai trouvé ma solution grâce à l’emploi partagé »

Éleveur laitier, Yvannick Jeusselin partage sa salariée avec un autre exploitant, en production de chèvres. Pour recruter, il  est passé par un groupement d’employeurs départemental, Alterrenative’35.

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Cela fait trois ans que Lucie Moitié travaille sur l’élevage laitier de Yvannick Jeusselin, éleveur laitier à La Chapelle­-Janson, en Ille-et-Vilaine. « Lucie est présente l’après-midi, les mardis, mercredis et jeudis, quelques mercredis matin, un week-end sur six et pendant les vacances. Elle s’occupe de la traite, de l’alimentation et des soins aux veaux, des concentrés pour les animaux, du paillage et du raclage de la stabulation », détaille Yvannick. Selon les semaines, son temps de travail sur l’élevage Jeusselin représente de dix heures et demie à quatorze heures, hors week-ends et vacances.

« J’ai commencé à me poser des questions sur l’emploi en 2015, au départ de mes parents à la retraite », se souvient le producteur. Au début, il pensait pouvoir compenser le manque de main-d’œuvre sur l’exploitation en arrêtant l’atelier de taurillons. « Malgré cela, j’étais toujours trop juste en temps. De la traite du matin jusqu’au soir, j’avais des journées à rallonge. J’étais sans cesse en retard dans mon calendrier », explique l’agriculteur qui aime que le travail soit fait en temps et en heure. Deux solutions s’offraient à lui pour résoudre son problème : déléguer certains travaux des champs ou embaucher. La première ne répondait pas vraiment à ses aspirations. « Mon objectif était de gagner deux heures par jour, l’équivalent de la traite du soir et des soins aux veaux pour ne pas être bloqué lorsque je démarre un chantier dans l’après-midi. » L’embauche répondait mieux à ses préoccupations mais ses besoins en travail et son budget ne pouvaient pas supporter un temps plein. Très vite, Yvannick s’est tourné vers l’un des groupements d’employeurs existant à l’échelle départementale, Alterrenative’35. « J’avais besoin d’un salarié à temps partiel et comme je n’avais jamais embauché de ma vie, il était indispensable de passer par une structure », estime l’éleveur. Alterrenative’35 est une association loi 1901 dont l’objet est de mettre à disposition des salariés sur des exploitations agricoles en complément de main-d’œuvre pour des structures qui n’ont pas la capacité d’embaucher à temps complet. Elle compte 19 salariés et une quarantaine d’adhérents (les trois quarts en production bovine). « Lorsque nous avons une demande, le premier objectif est de réunir suffisamment de membres pour proposer un poste à temps plein, idéalement sur deux, voire trois structures, dans une même zone géographique », explique Katie Jolivet, chargée de mission de l’association.

Recrutement par le groupement d’employeurs

« J’avais trouvé un collègue qui avait besoin d’un salarié quelques heures par semaine comme moi, mais ce n’était pas suffisant. Nous avons dû augmenter le nombre d’heures à réaliser. Grâce au groupement d’employeurs, nous avons trouvé une troisième exploitation pour une journée par semaine afin de compléter l’offre d’emploi », indique Yvannick. « Proposer un contrat à temps plein est un gage d’attractivité face à une embauche à temps partiel. À durée hebdomadaire équivalente, le salarié portera sa préférence sur un contrat à temps plein plutôt que sur un cumul de contrats à temps partiel », confirme Katie Jolivet.

C’est le groupement d’employeurs qui s’occupe du recrutement et met en place l’offre d’emploi sous forme d’annonces, bouche-à-oreille, candidature spontanée mais également grâce à des interventions dans les écoles… Adaptabilité et polyvalence caractérisent les profils recherchés s’agissant d’emploi partagé. L’offre est rédigée une fois que les exploitants se sont mis d’accord sur la durée et l’organisation du travail. Le premier entretien est réalisé dans les locaux de l’association. L’étape suivante consiste à permettre au candidat et à l’employeur d’avoir un premier contact et pour le futur salarié de découvrir l’environnement de travail. Concrètement, le postulant passe par un entretien avec chaque employeur sur chaque exploitation. Ensuite, ne reste plus qu’à se mettre d’accord sur le contrat, le planning et l’organisation.

Sur son élevage, Yvannick a fait en sorte que sa salariée soit le plus autonome possible. « Il est parfois pratique d’être à deux, comme pour les transferts d’animaux, mais le plus souvent nous travaillons de façon indépendante. » Lucie a pris ses marques. Déjà, à l’époque des parents d’Yvannick, les équipements sur l’exploitation avaient été conçus pour permettre de travailler seul (chemin, réseau d’eau dans les parcelles…).

L’agriculteur a aussi réalisé certains aménagements sur l’exploitation. La salle de traite a été agrandie en 2020 pour passer de 2 x 6 en 2 x 8 double équipement. Il en a profité pour faire installer le régulateur dans le grenier au-dessus, réduisant le bruit et la fatigue. Il s’est équipé d’un taxi à lait pour l’alimentation des veaux. « Du confort de travail plus que du gain de temps, admet l’éleveur, mais c’est aussi important pour moi que pour ma salariée et cela rend le travail moins pénible. » Des attentions à ne pas négliger, qui contribuent aussi à fidéliser un employé.

Depuis la naissance de son deuxième enfant, Lucie commence aussi plus tôt dans l’après-midi pour ne pas rentrer trop tard. Elle habite à vingt minutes de là. Elle a aussi obtenu de réduire son temps de travail à 80 % en ne gardant que deux élevages.

Un contrat de travail et une convention de mise à disposition

C’est le groupement qui est l’employeur. Il établit le contrat de travail et assure tout le suivi administratif : bulletin de salaire, déclaration sociale, arrêt de travail… Ainsi, même si le salarié a plusieurs patrons, il ne reçoit qu’un bulletin de paie. L’agriculteur passe une convention de mise à disposition avec le groupement. Bien sûr, il est membre de l’association et règle une cotisation annuelle à cet effet (120 €/an). La formule est confortable pour l’agriculteur car il n’est pas rattaché au contrat de travail. Il a juste un préavis de six mois à respecter pour dénoncer la convention qui le lie à la structure. Par exemple, si cela se passe mal avec le salarié. « Et pour autant, cela n’entraîne pas la rupture de contrat avec le salarié car nous essayons toujours de retrouver un employeur, ce qui ne pose pas de souci actuellement compte tenu de la pénurie », assure Katie Jolivet. Outre ce volet administratif, le groupement présente l’intérêt de proposer un accompagnement des chefs d’exploitation au travers de formations en management car pour beaucoup, il s’agit d’une première embauche. Il apporte son expertise en matière d’organisation du travail, de conseils en ressources humaines et fournit un appui juridique. Yvannick a notamment participé à une formation pour la mise en place du document unique d’évaluation des risques professionnels (DUER), indispensable lorsqu’on a du personnel.

La grille de salaire se base sur la convention collective en tenant compte de l’expérience, avec possibilité de négociations éventuellement. Deux fois par an, les trois parties se réunissent pour établir le planning de travail, faire le point sur le contrat, la rémunération comme dans le cadre d’un entretien annuel. « En fin d’année, pour une équité entre tous, les salariés du groupement reçoivent des chèques cadeaux qui sont refacturés aux adhérents », note la responsable des ressources humaines. C’est un plus pour les fidéliser.

Pour l’exploitation d’Yvannick, le coût annuel revient à 12 000 € pour 40 % d’un poste à 35 heures. Outre le salaire et les charges patronales s’ajoutent 2,80 €/heure de frais de gestion liés au groupement. Il reçoit une facture de prestation de service chaque mois (coût de revient du salarié x nombre d’heures réalisées dans le mois + TVA 20 %). Grâce à la formule, il peut bénéficier du crédit d’impôt pour remplacement pour les vacances. Il a fait ce choix du salariat alors que certains prêts s’arrêtaient. Il le considère comme un investissement qu’il intègre dans le budget de l’exploitation.

Le salarié apporte des gains techniques

« Passé 40 ans, après une période d’investissements sur la ferme, je considère la délégation du travail comme faisant partie de mes objectifs désormais », assure le papa de quatre enfants et dont l’épouse travaille à l’extérieur. Il y voit d’autres intérêts. « Avoir de la main-d’œuvre supplémentaire me permet d’être plus rigoureux dans le suivi du troupeau et d’obtenir de meilleurs résultats. Par exemple, prendre le temps de nettoyer les cases à veau à chaque sortie d’animaux, le box après vêlage. » C’est autant de gains sur les frais vétérinaires, la longévité du troupeau, le coût de renouvellement, la mortalité des veaux… bien que ce soit difficilement mesurable. « Même si d’autres facteurs rentrent en ligne de compte, comme la maîtrise des charges, notamment le coût alimentaire, cela contribue à l’efficacité économique de l’élevage. »

« Le salariat est la formule qui me convient le mieux car c’est celle qui me permet de modifier le moins mon organisation sur l’exploitation, comparativement à la délégation des cultures. » En supprimant l’astreinte du soir trois fois par semaine, il a gagné en souplesse. « L’été, nous partons en vacances l’esprit tranquille. Lucie connaît bien l’exploitation, inutile de passer toutes les consignes avant le départ. Je me sens en toute confiance. C’est très appréciable », ajoute-t-il.

En matière d’emploi partagé, qu’il s’agisse de l’employeur ou du salarié, le maître mot c’est la souplesse, au risque, sinon, d’essuyer un échec. En période de gros travaux (ensilage, semis…), pour partir en vacances, le planning doit pouvoir être revu entre employeurs et avec le salarié. « La communication est essentielle. C’est une garantie de bon fonctionnement », résume Yvannick.

Isabelle Lejas

© I. l. - Un tableau blanc a été installé dans la salle de traite pour le passage des consignes. Lucie prend plaisir à s’occuper de l’alimentation des animaux. I. l.

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