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Les méteils grains pour produire son concentré font débat

Triticale et féverole.C’est l’un des mélanges de céréale et protéagineux retenu par le programme bio bas-normand Reine Mathilde pour produire un ­concentré plus riche en protéines. Le 7 juin, à Tracy-Bocage (Calvados), le bilan de huit années sur l’autonomie alimentaire sera présenté. Thierry Métivier

Récolter un mélange de céréales et protéagineux en grains est une pierre de plus à la construction de l’autonomie protéique. Un levier encore compliqué à manier.

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S’inspirant de leurs collègues en bio, des éleveurs poussent l’autonomie protéique jusqu’à la culture d’un mélange de céréales et protéagineux pour sa récolte en grains. Objectif : réduire les achats de concentrés distribués aux vaches ou aux génisses. Mais faut-il vraiment s’engager dans cette voie ? La  réponse n’est pas évidente.

Quatre arguments POUR

Culture économe, facile à conduire. Son couvert étouffant fait concurrence aux adventices. L’association de plusieurs espèces est un bon écran aux maladies. Elle améliore la structure du sol et diversifie la rotation.

Mélanges avec un bon niveau en énergie, une richesse en azote plus contrastée : entre 90 et 125 g de PDIN/kg brut et de 90 g de PDIE, (tableau ci-dessus). « Ce type de concentré manque de PDIE », constate Pascal Rougier, le référent bio de Littoral Normand. « Il est possible d’ajouter du tourteau de colza pour rétablir l’équilibre et le distribuer aux vaches. La valeur alimentaire des méteils grains est appropriée aux génisses. » Les éleveurs bio, eux, s’accomodent de ce niveau alimentaire. Leur priorité est de produire leurs concentrés.

Semer plusieurs espèces limite également les risques de mauvais rendements, une espèce pouvant compenser la mauvaise performance d’une autre.

Mélange éligible à l’aide couplée protéagineux, à condition qu’il contienne à l’implantation plus de 50 % de féverole, pois et/ou lupin (en nombre de graines). Ces trois espèces sont éligibles à l’aide Pac.

Deux arguments CONTRE

Affranchissement des achats de concentrés qui ne peut être que partiel pour assurer les besoins du troupeau. Les rendements sont variables d’une année sur l’autre, c’est-à-dire entre 30 et 60 q/ha (sans intrants). De plus, en production conventionnelle, la culture ne peut occuper tout au plus que quelques hectares car récoltée en août, elle prend la place du blé qui participe au revenu de l’exploitation. Enfin, le délai de retour dans la rotation est de cinq ans.

Composition de l’association récoltée variable d’une année sur l’autre. Elle dépend des ­conditions climatiques et des ressources en azote du sol. On ne peut donc pas prévoir la valeur alimentaire du concentré fermier. « Les méteils grains ont bien leur place dans les exploitations laitières bio. En production conventionnelle, on peut se poser la question de choisir entre un méteil grains et un protéagineux en pur », suggère David Delbecque, de la chambre d’agriculture du Calvados, tout en précisant qu’il reconnaît les intérêts du méteil grains. En conventionnel et pur, on a une meilleure connaissance des valeurs alimentaires et on peut recourir aux phytos contre les adventices, les maladies et les ravageurs. Les protéagineux plébiscités sont le lupin d’hiver et la féverole de printemps. Leur matière azotée totale (MAT) va jusqu’à 35 %/kg brut pour le premier et 25 % pour le second. « Il faut choisir des parcelles saines pour limiter les problèmes de mauvaises herbes. » Très peu d’herbicides sont homologués sur lupin, ce qui expose à du salissement. Sans oublier que le lupin et la féverole peuvent être sujets à des baisses de rendement. Il y a deux ans, dans le Calvados, conséquences de conditions sèches et de maladies, ils sont descendus à 15-20 q/ha, contre habituellement 35-45 q/ha

Bref, on le voit, produire soi-même doit être bien réfléchi. En contrepartie, cette démarche permet d’être un peu moins dépendant des fluctuations du prix des intrants et de faire un pas de plus vers le non-OGM. « La production d’un concentré fermier ne doit pas faire oublier que la priorité est d’obtenir des fourrages d’excellente qualité. On ne remplace pas un mauvais fourrage par les concentrés », rappelle Pascal Rougier.

Deux mélanges pour la récolte en grains identifiés

La bonne nouvelle est que deux associations phare de céréales + protéagineux se dégagent. Elles sont le résultat de huit années d’essais menés par les chambres d’agriculture de Normandie, dans le cadre du programme bio bas-normand Reine Mathilde. Il s’agit du triticale + féverole d’hiver et du triticale + vesce. Elles sont semées à partir du 15 octobre (lire itinéraire technique p. 37) « Par souci de simplicité, nous avons testé des mélanges à une céréale et un protéagineux. Rien n’empêche de rajouter la vesce ou la féverole dans celui où elles ne sont pas présentes. Cela sécurisera davantage le rendement », indique Thierry Métivier, de la chambre d’agriculture du Calvados.

Selon lui, en se fondant sur les essais, on peut compter sur un rendement de 30 à 60 q/ha, sans apport d’azote minéral. Quant aux méteils eux-mêmes, « sur les quatre dernières années, la part récoltée de féverole est très fluctuante, de 5 % en 2017 à… 99 % en 2015. Les deux autres années sont à 20 et 50 %. Celle de vesce fluctue un peu moins, entre 33 et 70 %. » Pas étonnant que la MAT varie entre 12 et 20 %, et jusqu’à 30 % pour la féverole en 2015.

Un coût du concentré produit de 135 à 150 € la tonne

Comment limiter ces amplitudes pour obtenir un concentré aussi riche que possible en protéines ? « À la récolte, il faut des espèces au même stade de maturité. C’est le cas du triticale, de la féverole d’hiver et de la vesce, répond-il. En amont, il est recommandé de choisir une parcelle à faible reliquat azoté pour ne pas favoriser la céréale. » La dose au semis joue également : en mélange binaire, 60 % de la dose en pur de chaque espèce, soit 180 grains/m² de triticale, 24 pour la féverole ou 20 pour la vesce. « La vesce, qui est une plante volubile, est plafonnée à ce niveau pour éviter la verse. Mieux vaut la cultiver en fin de rotation, avant une prairie par exemple, car elle repousse dans la culture suivante. » Alors que le pois fourrager est souvent utilisé dans les méteils, il n’a pas été retenu. Il est moins riche en protéines que les deux autres et est sujet à la verse.

Du semis à l’aplatissage, le coût du méteil triticale + féverole est estimé à 135 € la tonne, celui du triticale + vesce à 150 €. Cela pour un rendement de 4 tonnes par hectare. « Attention à ne pas distribuer aux animaux un concentré trop farineux qui sera plus fermentescible, avertit Pascal Rougier. Il faut donner des consignes claires à l’ETA ou être vigilant sur la qualité de l’aplatissage que l’on effectue soi-même. »

Claire hue
Les valeurs alimentaires varient selon la part de céréales et de protéagineux récoltée
Mélanges Proportion de chaque espèce à la récolte (%) UFL (kg brut) PDIN (g/kg brut) PDIE (g/kg brut)
Triticale et féverole 70 %-30 % 1,03 91,5 88
Triticale et féverole 40 %-60 % 1,05 125 91,5
Triticale et vesce 70 %-30 % 1,03 90 90,5
Triticale et vesce 40 %-60 % 1,05 122 96
Dans ces mélanges, la part de chaque espèce est définie théoriquement.

© Thierry Métivier - Triticale et vesce. Il est conseillé de le semer avant une prairie car la vesce repousse dans la culture suivante.Thierry Métivier

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