Pourquoi l’élevage laitier français bute-t-il sur la mortalité des veaux ?
Avec 970 morts par jour, la mortalité des veaux de moins de 3 semaines reste élevée en France. Leur prix bas, mais pas seulement, casse les tentatives d’amélioration.
Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.
Les chiffres fournis par l’Observatoire Omar (lire encadré) laissent pantois. En 2015-2016, on comptabilise près de mille veaux laitiers morts par jour. Sept cent trente sont âgés de 0 à 7 jours. La France affiche un taux de mortalité de 11,1 % (nombre de morts/nombre de naissances). Pour les veaux, passer le cap des sept premiers jours est décisif. Leur taux de mortalité y est de 8,4 %, puis « tombe » à 2,7 % pour les 8-20 jours. Dans ces 8,4 %, il est compliqué de quantifier les pertes au vêlage et celles dans les jours qui suivent. Pourquoi la France n’arrive-t-elle pas à passer a minima sous la barre des 10 % ? « Il est difficile de faire avancer la cause des veaux quand leur prix est si bas. Ils ne constituent pas un élément du revenu laitier », analyse Anne Touratier, de la Fédération nationale des GDS. Les trésoreries très tendues depuis deux ans n’y aident pas. On comprend les réticences des éleveurs à engager des frais vétérinaires pour sauver les veaux mal en point alors qu’ils n’ont pas la garantie d’un résultat.
« Les jeunes veaux, la partie négligée de l’élevage »
Descendre sous les 10 % signifie professionnaliser davantage les premiers jours de l’animal, avec les pratiques et les équipements qui vont avec. « Il n’est pas étonnant que les élevages laitiers des zones allaitantes aient de meilleurs résultats, analyse Anne Touratier. Dans ces régions, les veaux représentent le revenu de demain. Les producteurs laitiers sont imprégnés de cet état d’esprit. » Vincent Potaufeux, directeur du GDS des Vosges, le dit autrement : « L’élevage des veaux est un métier à part entière. Les éleveurs qui, chez nous, ont une mortalité faible sont ceux qui ont compris que produire du lait et élever des veaux sont deux métiers distincts qui se raisonnent. » Nicole Davy, en charge des jeunes veaux dans son Gaec (voir p. 34), partage cette analyse : « On parle dans les fermes de l’insémination des vaches laitières, de leur alimentation, de l’élevage des génisses mais jamais des jeunes veaux. En période de travail intense, ils sont la partie négligée de l’élevage. » Et l’éleveuse de l’Orne d’enfoncer le clou : « Ils sont un atelier comme un autre, avec un ou une responsable qui doit être désigné comme tel. »
Sans doute les pointes de travail plus fréquentes dans les fermes de polyculture-élevage que chez les spécialisés expliquent-elles les taux de mortalité plus élevés du Nord-Ouest : entre 12 % et 14 %. Mais pas seulement.
« La surcharge de travail ne concerne pas que les polyculteurs-éleveurs. Avec l’agrandissement des troupeaux, les producteurs spécialisés y sont également confrontés », souligne Sylvain Guérin, du service bâtiments de la chambre d’agriculture du Calvados.
Dans ce département, le taux de mortalité des 0-30 jours stagne autour des 14 %. Pour en comprendre les raisons et adapter les conseils, il lance une enquête en 2013 auprès de 1 100 exploitations laitières. Elle étudie la mortalité jusqu’à 6 mois. « Plus la taille du cheptel augmente, plus le taux de mortalité est élevé. Elle est de 13 % dans les cheptels de 50 bovins et moins. Elle atteint 21 % pour les plus de 300 bovins. » Autre explication aux mauvais résultats de ces structures : des équipements qui n’évoluent pas forcément avec leur agrandissement. « La ventilation n’est plus alors adaptée au nombre plus important de veaux. La pression microbienne augmente, pouvant conduire à l’explosion de diarrhées et maladies respiratoires », explique Jean-François Rouland, du GDS du Calvados.
L’opportunité de l’agrandissement pour une remise à plat
« Auparavant, il y avait un manque de cases individuelles dans les élevages. Aujourd’hui, il y en a mais pas assez », observe Dominique Lamour, du GDS de l’Orne, qui arpente depuis vingt-cinq ans le département sur ce sujet.
Sylvain Guérin voit dans les projets d’agrandissement actuels et à venir une véritable opportunité de remise à plat des pratiques. « Nous, conseillers, ne devons pas louper cette étape, confie-t-il. Sous la pression des financeurs des PMPOA, nous nous sommes trop focalisés sur le logement des laitières et le calcul du stockage des déjections. Les nurseries construites ne répondent pas forcément aux besoins de cette catégorie d’animaux. »
La restriction de l’usage des antibiotiques, en particulier la colistine en association avec d’autres, va également bousculer la profession et inciter à plus de prévention.
« En deux ans, il est possible de solutionner le problème »
La préparation au vêlage et les pratiques le jour J, la gestion du colostrum, l’alimentation lactée, le logement des veaux et les mesures sanitaires qui vont avec : les points à améliorer sont bien connus (lire pages suivantes). « Les erreurs rencontrées sont souvent les mêmes. Si l’éleveur ou l’éleveuse est motivé, les progrès sont rapides », affirme Dominique Lamour qui, en dix ans, a réalisé 780 accompagnements. « Si l’on s’attaque au problème, il est possible en deux ans de le solutionner, confirme Vincent Potaufeux. Il faut juste que les éleveurs soient demandeurs et aient envie de vraiment s’occuper de leurs veaux. » Le directeur du GDS des Vosges rappelle que pour un veau mort, ce sont quatre veaux malades, avec un impact sur la carrière de la vache. « La vache qui, jeune génisse, a fait une récidive de problème pulmonaire produira 1 à 2 litres de lait en moins par jour, complète-t-il. Sa capacité respiratoire endommagée affecte son potentiel laitier. »
Suivre une formation, se rendre à une porte ouverte ou faire appel au GDS, à la chambre d’agriculture ou son vétérinaire suppose de remettre en cause sa façon de faire. « Ce n’est pas si facile, confie Nicole Davy qui a sollicité le GDS 61 en 2014. Il faut accepter le regard extérieur. Il faut se forcer. »
De leur côté, les GDS ont les moyens ou vont bientôt les avoir, grâce au projet Omar (encadré page précédente), de repérer les élevages à mortalité de veaux élevée. Ils proposent aussi des prises en charge partielles d’analyses. Mais, avec les autres organismes de conseils, disposent-ils aujourd’hui de moyens suffisants, en particulier humains, pour s’emparer de ce sujet majeur ? Pas sûr. Ils sont accaparés par d’autres problématiques, toutes aussi importantes (qualité du lait, mammites, FCO…).
Claire Hue et Jean-Michel Vocoret
Pour accéder à l'ensembles nos offres :