Login

« APRÈS L'INCENDIE, NOUS RECONSTRUISONS NOTRE EXPLOITATION »

« D'un seul coup, nous n'avions plus rien : ni outil de production ni habitation ni même de toilettes ! »PHOTOS : ANNE BRÉHIER

Trois ans après l'incendie qui a ravagé toute leur exploitation, Léon Socquet et sa famille espèrent intégrer l'hiver prochain leur nouveau site.

Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.

LE JEUDI 29 JUILLET 2010, UN INCENDIE BRUTAL RAVAGE L'EXPLOITATION ET LES HABITATIONS du Gaec des Montagnards, à Combloux, en Haute-Savoie. À l'exception de trois garages enterrés et de la chaudière à bois dernièrement installée, tout est sinistré. Deux bâtiments en bois rond montés par les exploitants eux-mêmes, un bâtiment à charpente métallique, ainsi que les trois appartements de la famille de Léon Socquet et de ses enfants brûlent en quelques heures. « Nous avons pu sortir les 52 montbéliardes in extremis, précise Léon Socquet. Heureusement, la centaine de génisses et les 15 limousines étaient en alpage. » En revanche, 50 porcs, 16 veaux, 1 vache, et 16 moutons ont péri dans le sinistre dont la brutalité a été totale. « D'un seul coup, nous n'avions plus rien : ni outil de production ni habitation, ni même de toilettes ! », se souvient notre interlocuteur.

« LE SOIR MÊME, TOUTES NOS VACHES ÉTAIENT PLACÉES »

À l'époque, l'exploitation sur laquelle travaillaient Léon Socquet, sa femme Monique, son fi ls Thierry et un salarié transformait 300 000 l de lait en reblochon AOP et tomme. Les fromages étaient commercialisés en direct à la ferme, sur quatre marchés, dans des GMS et dans des restaurants du voisinage. La valorisation s'élevait en moyenne à 1 €/l, soit le double du prix du lait livré aux fruitières locales. Cette catastrophe a suscité un formidable élan de solidarité. Le soir même, à 23 heures, toutes les vaches étaient placées chez cinq voisins pour le reste de l'été. Les deux jours suivants, cent personnes sont venues aider à déblayer le site et à finir de sortir le foin. La coopérative de Flumet, à laquelle l'exploitation livrait du lait le weekend, a affiné les fromages qui avaient pu être sauvés.

Mais un immense chantier se profilait alors, la priorité étant d'héberger les animaux pour l'hiver. Un défi dans cette région de haute montagne où les petites et moyennes exploitations ont à peine de quoi loger leur propre cheptel. Le premier hiver, 26 vaches ont pu être relogées à Etremblières, à environ 60 km de là. « L'exploitant gardait le lait des vaches, précise Léon Socquet. Il n'y avait donc pas de frais de pension mais pas non plus de revenu. » 24 laitières ont été hébergées à Combloux chez des voisins. Les animaux ont été à nouveau répartis le deuxième hiver sur plusieurs sites. Les génisses et les bêtes à viande ont été logées pendant trois hivers à 50 km environ de l'exploitation, dans un bâtiment qui avait été loué. Il a fallu acheter du fourrage et continuer à faire les allers-retours à Peillonnex une fois par jour (2 h de route). À la belle saison, les vaches ont été rapatriées sur les pâtures de Combloux et traites avec une machine à traire mobile d'occasion.

Pour garder ses marchés et sa clientèle, le Gaec a acheté des fromages à des collègues, en expliquant la situation à ses clients. « Heureusement que nous étions déjà en SARL, remarque Léon Socquet. Alors que la vente à la ferme, qui représentait l'essentiel des débouchés, a été perdue momentanément, les marchés se sont maintenus. Les clients ont été compréhensifs. Leur soutien nous a beaucoup aidés. Par contre, la marge financière a fondu. »

« SANS LE SINISTRE, NOUS N'AURIONS JAMAIS PU MODIFIER NOS BÂTIMENTS »

La construction d'un nouveau bâtiment a été lancée en 2011. Il abritera tous les animaux : les vaches, la relève, les veaux d'engraissement, les porcs, mais aussi la salle de fabrication des fromages, un magasin de vente et un local pédagogique. « Au cours de cette période très difficile, notre fille Delphine a décidé de s'installer en développant une ferme pédagogique : accueil des scolaires en intersaison, des touristes et des familles pendant les vacances avec des goûters composés des produits de l'exploitation. » La nouvelle stabulation à logettes et lisier raclé remplacera l'ancienne étable (attaches canadiennes avec lisier sur grille). « Avec une capacité de 70 places au cornadis et une salle de traite TPA 2 x 8 postes, le bien-être des animaux et nos conditions de travail vont être considérablement améliorés, se réjouit l'éleveur. Avant, nous distribuions 300 kg de foin par jour dans des petites poubelles. Il fallait se mettre à quatre pattes pour retirer les refus et nettoyer les crèches. Sans le sinistre, nous n'aurions jamais pu modifier nos bâtiments. En montagne, il n'est pas facile d'agrandir. » Ne pas pouvoir rentrer le troupeau dans le bâtiment neuf à l'automne dernier fut une grosse déception. « Nous avons perdu un hiver à cause des procédures judiciaires engagées par six voisins. Ces derniers ont saisi les tribunaux pour empêcher la construction du nouveau site d'exploitation*. Bien que les plaignants aient été déboutés à trois reprises, ils ont décidé de se pourvoir mi-mars en cassation. Nous sommes donc partis, au bas mot, pour deux années de procédure supplémentaires. Même si les travaux du bâtiment, qui ont repris fin février, ne peuvent pas cette fois être interrompus, c'est une grosse incertitude. » Et une souffrance pour l'éleveur. « Ça fait mal de ne plus parler à des voisins que l'on a déneigés et aidés pendant vingt-cinq ans, ainsi qu'à sa cousine qu'on fréquente depuis qu'on est gamin. »

« NOS FROMAGES SONT AUJOURD'HUI TRES ATTENDUS »

Parallèlement, d'autres procédures ont également été ouvertes. L'un des propriétaires a voulu retirer 1 ha à l'exploitation situé à 300 m de la ferme. L'une des cinq plaignantes a également attaqué le Gaec à cause des eaux de ruissellement de l'automne dernier. « Si l'on m'avait dit que je me retrouverais un jour dans cette situation, je ne l'aurais pas cru. » Avec toutes ces épreuves, Léon Socquet a perdu 6 kg. « Dans la famille, nous avons tous pris un coup au moral. Alors que l'exploitation était en phase de croisière, l'incendie a tout déstabilisé. Nous n'étions pas préparés à une telle remise en question. Après l'incendie, la page ne se tourne que progressivement, au fur et à mesure de la reconstruction du nouveau site. Des images restent. Sans les enfants, nous ne serions pas repartis. À 58 ans, j'aurais arrêté, en gardant quelques bêtes pour m'occuper.» La perspective de travailler en famille avec un bel outil lui apporte du baume au coeur. « Nous valoriserons nos produits jusqu'au bout. Au lieu de vendre 50 porcs par an à des particuliers, nous les transformerons en viande et charcuterie que nous vendrons directement aux restaurants et aux particuliers. Nos propres fromages sont aujourd'hui très attendus. Les gens sont impatients de pouvoir revenir à la ferme avec leurs enfants ou petits-enfants pour voir les poules et les moutons. Pour nous, ça peut sembler secondaire mais pour eux, c'est primordial. Tout cela motive pour redémarrer. »

* Avec les 100 m de distance autour du nouveau site, des parcelles constructibles passent en agricole. C'est un enjeu majeur dans une commune située à quelques kilomètres de Megève.

Les travaux de l'exploitation ont repris fin février. Alors que le bâtiment fourrages est quasiment terminé, il reste encore du travail sur la nouvelle stabulation : charpente et toit à poser, salle de traite à monter, salle de fabrication des fromages à aménager, salle pédagogique et magasin de vente à installer.

A découvrir également

Voir la version complète
Gérer mon consentement