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Changer de système pour nourrir davantage le sol

Dans le nord de la Manche, les températures fraîches obligent parfois les adeptes de l’agriculture de conservation à revoir leurs pratiques : plutôt que d’attendre la maturité d’un couvert, mieux vaut parfois le détruire pour ne pas pénaliser le maïs à suivre.

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C’est en 2010 que Vincent Picot commence à s’intéresser aux techniques culturales simplifiées (TCS) en intégrant un groupe de travail à la chambre d’agriculture de la Manche. À l’époque, ce jeune éleveur est installé sur un peu moins de 100 ha. Il cherche à gagner du temps en réduisant le nombre de passages sur ses parcelles, tout en diminuant les charges de mécanisation. « C’est un ami, adepte des TCS, qui m’a initié, se souvient-il. Au départ, je ne connaissais rien au fonctionnement d’un sol. Je n’avais jamais eu d’approche agronomique, ni sur l’exploitation familiale ni à l’école. Rapidement, j’ai compris que j’avais beaucoup de lacunes dans ce domaine. Depuis, je ne cesse d’apprendre et travaille autrement. Dans cette remise en cause du système, je cherche à la fois à privilégier l’agronomie et à atteindre une meilleure autonomie protéique sur la ferme : deux objectifs assez complémentaires. »

Vincent Picot comprend notamment que la répétition de maïs ensilage sur la même parcelle a des effets négatifs sur la structure du sol : l’épandage au printemps est parfois compliqué et à l’automne, la récolte en conditions souvent humides entraîne des tassements importants. De plus, cette culture « affame » le sol. C’est pourquoi il décide de changer son mode d’alimentation en s’orientant davantage vers du maïs épi ensilé, une culture qui laisse des résidus sur la parcelle pour nourrir la microfaune. En parallèle, il introduit plus d’herbe dans la ration et « réapprend à cultiver ses prairies ».

Petit à petit, les pratiques et le matériel de Vincent Picot évoluent. En 2013, sa Cuma s’équipe d’un semoir à maïs Monosem NG4 + avec disques et chasse-débris pour travailler en présence de résidus végétaux. Il dispose aussi de fertiliseurs localisés pour booster les plantes au départ.

Un intérêt pour le strip-till

Dans les réunions de la chambre d’agriculture, Vincent découvre de nouvelles techniques comme le strip-till. Un outil qui travaille le sol uniquement sur une bande de 5 à 10 cm de large dans l’axe de chaque rang de maïs. Il rencontre aussi d’autres éleveurs ayant la même philosophie que lui, comme Olivier Leroux et Paul-Albert Mouchel qui sont installés à proximité et avec lesquels il va partager du matériel.

Après avoir loué pendant plusieurs années le matériel d’un autre agriculteur, ces trois éleveurs investissent ensemble dans leur propre strip-till de marque Duro pour l’implantation du maïs. Ils choisissent un modèle à quatre rangs, ce qui correspond bien à leur parcellaire et à la puissance de leurs tracteurs. L’appareil dispose de quatre dents en forme de patte d’oie qui travaillent jusqu’à 15 cm de profondeur, mais sur seulement 5 cm de largeur en surface. De l’engrais peut être injecté dans le sol sous graine. « Pour les semis précoces, nous passons généralement le strip-till seul, puis nous revenons quelques jours plus tard avec le semoir en reprenant les mêmes traces, explique Olivier Leroux. Cela laisse un peu de temps pour que la terre se réchauffe. Si le semis est plus tardif, après la récolte d’un méteil par exemple, le strip-till est utilisé en combiné avec le semoir. Cela fait gagner du temps, mais le sol ne se réchauffe parfois pas assez vite car la végétation limite l’action des rayons du soleil. Toute la difficulté est de trouver le bon équilibre. Nous avons essayé pas mal de méteils différents, mais dans le nord de la Manche, nous sommes parfois pénalisés par des températures trop fraîches. Au printemps, ces mélanges tardent à arriver à maturité, si bien que cela décale le semis du maïs qui prend du retard à son tour. Finalement, j’ai renoncé à vouloir faire systématiquement deux récoltes par an. Je préfère laisser au sol certaines intercultures, même si en tant qu’éleveur, il est intéressant de les récolter en fourrages. »

Autre difficulté rencontrée : les attaques de mouches sur les jeunes pieds de maïs. Les infestations ont nettement augmenté depuis que les néonicotinoïdes sont interdits en pelliculage de semences.

Vincent Picot refuse pour le moment de faire un traitement insecticide car cela perturberait la vie du sol. La présence de résidus en surface augmente le risque lié aux ravageurs, tout comme les limaces ou les mulots très présents également. Face à ce problème, les éleveurs choisissent parfois de passer un rotavator sur un horizon de 4 cm au maximum. Cela détruit le couvert et accélère le réchauffement du sol. Les plants sont alors plus vigoureux au départ et moins sensibles aux attaques. Même si cette pratique est un léger retour en arrière, la consommation de fuel étant un peu plus importante, elle permet de limiter le recours à la chimie.

« Je suis passé au sans-labour il y a quatre ans »

« Il s’agit toujours de trouver le meilleur compromis, souligne Paul-Albert Mouchel. Sur mon exploitation, je me suis engagé dans une MAEC (1) incluant une réduction du maïs ensilage et un minimum de 75 % de ma SAU en herbe. Je suis passé au sans -abour il y a quatre ans seulement et je reconnais ne pas encore avoir toutes les solutions en main. En partageant régulièrement mon expérience avec d’autres agriculteurs, je progresse. Chacun doit ensuite s’adapter à sa propre situation. Par le biais de la chambre d’agriculture, j’échange avec des producteurs de toute la Manche. Mais ceux qui sont dans le sud du département n’ont pas le même climat que nous, plus au nord. Avec quelques degrés en moins, les cultures et les intercultures ne se développent pas aussi vite. Dans notre cas, nous aurions peut-être intérêt à nous intéresser aux pratiques de nos voisins irlandais qui ont un climat proche du nôtre. »

Comme bon nombre de leurs confrères engagés en agriculture de conservation, les trois éleveurs reconnaissent que l’usage du glyphosate est indispensable dans leur système, même s’il est utilisé à dose réduite (0,5 à 1,5 litre par hectare au maximum). Des essais sont menés avec, par exemple, des couverts faciles à détruire mécaniquement sans recours à la chimie. Mais pour le moment, il est trop tôt pour espérer se passer de ce désherbant.

Les trois éleveurs font partie du groupement d’intérêt économique et environnemental (GIEE) Manche agriculture de conservation. Ils espèrent que cet engagement dans une démarche de progrès leur permettra de bénéficier d’une dérogation à l’interdiction probable du glyphosate. Sinon, ils devront remettre en cause leur système, pourtant reconnu comme une pratique durable.

Pour éviter le tassement des sols lors de l’ensilage du maïs, les éleveurs ont choisi une ETA équipée d’un bec à dix rangs. Avec une grande largeur de ramassage, le nombre de passages diminue. Pour les remorques, ils privilégient du matériel équipé en pneus larges. Les chauffeurs reçoivent la consigne de toujours passer au même endroit en bout de champ pour aller rejoindre l’ensileuse, et de ne surtout pas traverser la parcelle en biais. Cela concentre le trafic toujours sur les mêmes traces en bout de champ et seules ces zones sont ensuite décompactées.

« Ce côté agronomique est passionnant »

« Ce côté agronomique est passionnant.Nous faisons des comptages de vers de terre et avons même enterré des slips en coton pour évaluer l’activité biologique du sol. Les résultats sont très positifs. Ma carrière ne sera sans doute pas assez longue pour tout apprendre, ni pour réparer tous les dégâts causés auparavant. J’arrive à tirer un revenu de mon exploitation, même si tout ne marche pas toujours du premier coup. Nous subissons quelquefois des échecs. Parfois, il serait peut-être plus simple et plus confortable de revenir en arrière. Mais la dynamique du groupe m’encourage à ne pas baisser les bras. Nous n’avons plus le choix. La main-d’œuvre est en diminution constante sur nos exploitations. Et quand je vois les problèmes liés aux pratiques courantes comme l’érosion, la dépendance au pétrole pour le GNR et l’azote minéral, ou encore les dégâts liés à l’importation de soja brésilien, je me dis qu’il faut continuer dans la voie que nous avons choisie, pour nos enfants », conclut Vincent Picot

(1) MAEC : mesure agroenvironnementale et climatique.

© D.L. - Strip-till. Le semis du maïs s’effectue en strip-till soit en chantier décomposé, soit en combiné.D.L.

© D.L. - Maïs. Cette année, l’absence de pelliculage insecticide a pénalisé le démarrage des maïs.D.L.

© D.L. - Agronomie. Reconstituer un sol vivant, l’une des principales satisfactions des trois éleveurs.

© D.L. - Prairies. Le semoir à disques Sky Easydrill est polyvalent pour un semis en direct ou sur sol travaillé en surface.D.L.

© D.L. - D.L.

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