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Tous des veaux ?

« Les Français sont des veaux », disait de Gaulle. Et les agriculteurs aussi ?

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Dernièrement, lors d'une soirée, je discutais avec des copains que l'on pourrait qualifier « de la classe moyenne ». Ils ne comprennent pas pourquoi nous ne nous engageons pas plus dans les circuits courts, la vente directe, les signes de qualité... Je leur expliquais que ces filières doivent être bien évidemment encouragées, mais qu'elles représentent moins de 10 % des volumes et que même si elles sont appelées à se développer, il restera 80 % de production conventionnelle à transformer par nos industries agroalimentaires, sources d'emplois et de nourriture tracée de qualité. Puis je leur rappelais que le prix du porc, du poulet, du boeuf et du lait n'avait pas bougé depuis vingt ans. Enfin, j'évoquais les contrats signés avec nos transformateurs et la pression des GMS. Heureusement qu'ils étaient bien assis car ils sont tombés sur le « cul ». « Comment ? Vous les agriculteurs, si prompts à manifester et à organiser des grands rassemblements, vous n'êtes pas capables de vous défendre ? Vous avez la matière première, donc vous avez le pouvoir ! »

Depuis un certain temps, mis à part quelques épisodes revendicatifs, nous sommes anesthésiés comme la grenouille qui cuit à petit feu. À grand renfort de messages fallacieux, on nous fait croire que nous ne sommes pas compétitifs, que nos coûts de production sont trop élevés, que la demande va croître. Tous les jours, on nous prélève un peu de sang et petit à petit, nous nous affaiblissons, insidieusement, sans réagir. Pourtant, nous sommes encore 600 000 agriculteurs et 60 000 producteurs de lait.

Où étiez-vous en 2010-2011 quand nous devions nous organiser pour écrire nous-mêmes un contrat plutôt que de laisser le stylo à nos laiteries ? Où étiez-vous quand nous avons tenté de vous expliquer que les OP par laiteries ne défendraient pas nos intérêts et qu'il fallait se regrouper par grands bassins laitiers et y intégrer les coops ? Dans vos stabulations, à essayer de produire plus car on vous promettait des volumes et des prix. Où étiez-vous ce printemps lorsque les chambres d'agriculture organisaient des réunions sur la sortie du système des quotas et ses conséquences ? Dans vos champs, car « on n'a pas de temps à perdre à discuter ». J'y suis allé. Dans l'arrondissement le plus laitier de France, nous étions cinq à essayer d'envisager l'avenir. Où étiez-vous lorsque les groupes de développement invitent une psy coach québécoise spécialiste du bien-être en agriculture alors que toute la profession se plaint d'un manque de considération et de reconnaissance ? À bosser, le nez dans le guidon ? Où êtes-vous lorsque l'on vous propose des projets collectifs de méthanisation, des groupes de réflexion sur les nouvelles méthodes de production... Vous préférez écouter un commercial, un chantre de la perspective économique, un Chinois qui vous promet du rêve. L'individualisme rampant de la société nous gangrène aussi.

Quand une boîte de robots ou de tracteurs organise une grand-messe à la gloire de la mécanisation, pour peu qu'elle offre l'apéro et le casse-croûte, ce sont 500, 800, 1 000 agriculteurs qui se déplacent pour rêver et croire à la course au volume. Mais nom de Dieu, indignez-vous ! Bougez-vous ! Lorsque notre nombre aura été divisé par trois et que nous aurons trois fois plus de boulot, personne ne nous écoutera car nous ne serons plus assez nombreux pour influencer notre destin.

Je vais de ce pas demander l'asile politique en Corée du Nord pour ne pas subir les foudres de la profession que ne va pas manquer de provoquer ce papier. Mais le pire serait que ce billet d'humeur ne provoque qu'indifférence...

PASCAL POMMEREUL

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