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Rififi chez les « Ch'tis »

A croire que les bébés de Kadhafi ne sont pas tous à Tripoli.

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Le microcosme agri-agrobusiness observé à la loupe nous réserve, depuis des lustres, de croustillantes sagas dans lesquelles il est bien difficile de discerner le bon, la brute et le truand. Chez les « Cheutemis », sous la banquise, c'est l'ébullition. Au centre de gestion, on ne rend plus les comptes, on les règle. Il faut le dire, on n'est pas chez « Momo ». Là, c'est de la grosse friterie, de la lourde, de la grasse. Treize mille clients (comprendre adhérents), six cents serveurs (zut, collaborateurs) et vingt-quatre patrons (pardon, administrateurs), une présidente et un directeur (juste un directeur et son porte-voix) un « dictadirecteur » dont la présidente se fait l'écho face à une rébellion d'administrateurs.

Une seule consigne : « On ne cause plus, on flingue. » À l'origine, huit insurgés pas vraiment préparés à devoir se réfugier, s'exiler, encore moins se battre à « Benghazi-en-Flandres ». Astucieusement, le pouvoir en place décide de n'en éliminer que trois. Sans doute les plus virulents, peut-être les plus instruits, trop curieux aussi et soucieux des valeurs mutualistes. Cibler dans l'espoir de diviser, certes, mais aussi et surtout un nombre juste suffisant pour ne pas tomber en dessous du seuil fatidique où la réélection de l'ensemble du conseil serait, selon les statuts, inéluctable.

À tort ou à raison, nos naïfs administrateurs pensaient exposer les points de désaccord au bureau, conseil, réunions de régions, assemblée générale. C'était sans compter sur les disciples de Kadhafi qui ne l'entendaient pas de cette oreille… et ont cassé la rébellion en votant leur exclusion en tant qu'adhérents. Motif statutaire : pas question d'exprimer, relayer, soutenir ou cautionner des opinions de nature à mettre en péril la pérennité et le fonctionnement de l'entreprise. Rêve pour les uns, cauchemar pour les autres, nos frondeurs ne sont plus adhérents mais restent administrateurs. C'est osé, mais c'est dans les statuts.

Les naufragés apatrides se tournent alors vers les instances syndicales : chambres et autres structures nationales garantes des valeurs mutualistes. Stupeur. Tous sont brutalement frappés d'un AVC diplomatique. On voit sans discerner, on entend sans écouter, on parle en murmurant. Le secret du bonheur de tout bon professionnel de la responsabilité voulant rester en place, sans faire de vague et attendant de voir dans quelle direction le vent va tourner.

Désabusés, affectés, les belliqueux refusent toujours de mettre un genou à terre. Ils persistent et prennent un avocat. Inimaginable, du grand n'importe quoi, le cirque. Pas celui qui fait rire, celui qui donne envie de pleurer. Ils en sont déjà chacun à plus de trois mille euros. Ça coûte cher les convictions. Ils sont motivés, ces teigneux, mais lâcheront le morceau s'ils ne reçoivent pas d'aides extérieures et là, c'est pas gagné.

A priori, le recours à la répression n'est pas à la hauteur des griefs des mutins. C'est peut-être cet aspect qui est le plus suspect. Aucune trace des critiques formulées par ces derniers sur les procès-verbaux de conseil ou de bureau. Quelles sont-elles ? Refus d'un audit indépendant sur les comptes de l'entreprise ; embauche de soixante-dix commerciaux chargés de remettre les résultats aux adhérents et en profiter pour vendre des services ; sourde oreille au malaise exprimé par les salariés. Mais aussi indexation du salaire du directeur selon des critères qui feront de lui, chaque année, un gagnant du loto et, plus surprenant, fixation à l'avance d'une prime de départ qui ressemble fort à un jackpot.

La devise de l'entreprise : « Voir loin, les pieds sur terre. » J'ai envie de leur dire : « Baissez les yeux, vous verrez que vos bottes sont dans le caca. »

ÉRIC CROUHY

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