Courts circuits
Attention à ce que les circuits courts ne nous court-circuitent pas.
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La mode est à la relocalisation, au contact avec le consommateur, à l'autonomie, à la redécouverte du sens du métier... Certes, le modèle hérité des années 1960 a montré ses limites. La course à la production de masse se heurte à la concurrence de nos voisins et à la mondialisation, mais est-ce aussi simple ?
Les Amap sont à la mode et la demande souvent supérieure à l'offre. La vente directe à la ferme et les marchés de campagne ont le vent en poupe pour peu que l'on soit dans une zone avec une certaine densité de consommateurs potentiels. Le regroupement de plusieurs producteurs développant un petit magasin, ou une supérette, proposant une gamme de produits variés attire le chaland en bordure de ville. On ouvre même des drives fermiers. Nos politiques applaudissent des deux mains et encouragent ces initiatives qui ne leur coûtent rien. Le nouveau consommateur découvre l'acte d'achat citoyen et en redemande. L'agriculteur, lui, valorise ses produits transformés ou non et apprécie le contact avec le consommateur. Et puis, cerise sur le gâteau, il crée des emplois. Tout cela est formidable et je ne peux qu'adhérer et encourager. Mais je suis plus frileux d'entendre certains idéologues prôner une généralisation de ce système bénéficiant, à leurs yeux, de toutes les vertus. Car tout n'est jamais noir ou blanc. Et si de plus en plus de consommateurs s'approvisionnent en circuits courts, la grande majorité va encore au supermarché du coin. La France n'est-elle pas championne du nombre de grandes surfaces ? Le banlieusard ne va pas courir la campagne pour remplir le réfrigérateur. La plupart cherchent une alimentation facile et peu onéreuse issue de l'industrie agroalimentaire. On peut débattre longtemps du bien-fondé de cette nourriture après les différents scandales récents, mais les faits sont là et le marché a ses raisons. J'en entends déjà certains me traiter d'ultralibéral vendu au système. Que nenni mon ami(e) !
La ferme France perd régulièrement des parts de marché dans tous les secteurs de l'élevage. Bizarrement, cette perte est compensée grosso modo par une augmentation en Allemagne. Hier montrée en exemple pour son dynamisme industriel, cette dernière mise désormais aussi sur son agriculture pour exporter. Au pays des Verts, on monte des méthaniseurs à tour de bras et la taille des fermes ne fait pas débat. En France, l'idéologie prime souvent sur le réalisme et le pragmatisme. Créer des emplois dans les fermes ne doit pas occulter tous ceux supprimés dans les IAA. En dix ans, la France a perdu plus d'un million de porcs... à peu près la capacité d'un gros abattoir. Et que dire de la volaille, du mouton, de la viande bovine ? Nous avons développé une filière de broutards engraissés en Italie et avons négligé l'engraissement en France. Aujourd'hui, alors que la viande augmente, le broutard baisse car les Italiens pèsent sur les prix d'achat.
Si nous ne sommes pas capables de produire 1 l de lait, une côte de porc, une cuisse de poulet de qualité standard, en respectant les normes et à un prix compétitif, nos IAA iront ailleurs. Le lait ne risque-t-il pas demain d'être réduit à la portion congrue d'une France céréalière ? Notre agriculture pourrait bien subir le même sort que les produits manufacturés délocalisés. « Oui, mais en France, on conserve la haute technologie et la recherche. » D'accord, et que fait-on des cinq millions de chômeurs ? On leur propose de ramasser des patates à la main ? Au pays de la liberté, le bonheur dans le pré passera par le respect des agricultures plurielles et complémentaires.
PASCAL POMMEREUL
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