J'arrête le lait
Mais non, c'est une blague ! Ce serait renier mes fondamentaux.
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Ne croyez pas que je me sois réveillé ce matin avec cette drôle d'idée, comme une révélation à la suite d'une apparition. Quoiqu'après mon précédent billet « Si Dieu existe... », je pensais qu'il me ferait une petite blague pour se venger. Non, il y a déjà quelque temps que ça me trotte par la tête. Quelques lecteurs se réjouiront : « S'il arrête le lait, au moins il ne nous prendra plus la tête avec sa chronique mensuelle ! » Ce n'est pas parce que j'ai lu le joli livre Mal de terre, écrit par DFAM 03 (un groupe d'agricultrices de l'Allier), et vu le DVD qui va avec, que je me suis découvert les symptômes du burn out ou de la déprime. Le livre traite des RPS (risques psychosociaux), c'est-à-dire tous les signes avant-coureurs et les facteurs qui font que certains de nos collègues pètent les plombs.
Les causes sont multiples et diverses et l'important, c'est d'en parler. Je vais donc chez mon médecin. Je lui explique que depuis un moment, je n'ai pas la pêche et que je me traîne toute la journée. Après m'avoir ausculté, il émet l'hypothèse que vu mon âge, je couve un petit coup de blues et un début d'andropause précoce. Il me prescrit donc un cocktail censé rééquilibrer le tout.
Rentré à la maison, j'analyse la situation. L'été s'est bien passé et la période d'ensilage aussi. Je n'ai pas plus de soucis que d'habitude et la charge de travail est largement supportable. Pas de soucis d'argent ni de famille. Quand à l'andropause, la libido va bien. Merci. Pourvu que ça dure ! Le médecin s'est mis le doigt dans l'oeil jusqu'au coude.
Mais arrivé à la cinquantaine, la perspective de compenser un prix du lait jamais à la hauteur de notre espérance par l'augmentation des volumes n'est pas enthousiasmante. C'est bon pour les jeunes. Surtout que c'est l'âge où votre corps vous rappelle que vous avez trait environ deux millions de vaches depuis le début de ta carrière. Les épaules picotent, les lombaires se raidissent, le réveil n'est plus aussi dynamique. Bref, on n'a plus 20 ans. La retraite, on y pense sans plus, mais « comme l'arc-en-ciel, plus on s'en approche, plus elle s'éloigne » (Tiens, c'est beau ça ! Mais où vais-je chercher ces métaphores poétiques ?). Ceci dit, j'aurais pu vous la faire à la Jean-Marie Bigard : « La retraite, c'est comme la chanson Quand j'avance, tu recules. Comment veux-tu que je... (censuré) ? »
Arrêter le lait, je n'y aurais jamais pensé. Mais voilà, à force d'entendre qu'ici, un jeune vire les vaches après le départ de sa mère, que là, un individuel en a marre de l'astreinte, l'impensable devient hypothèse. Alors la cinquantaine, c'est l'heure des bilans et le moment ou jamais de se relancer de nouveaux défis. Arrêter le lait, c'est bien, mais pour faire quoi ? Pas assez de surface pour les céréales. Monter un troupeau d'allaitantes, c'est long. Et puis, tant qu'à faire, il faut changer d'orientation. Faire une VAE (valorisation des acquis d'expérience) permet d'obtenir des équivalences de diplômes. Mais dans quel secteur d'activité ?
Allez, vous y avez cru. Je vous ai bien eus ! C'était une blague. Ça ne m'a même pas effleuré l'esprit. Moi qui suis tombé dedans au coeur de l'arrondissement le plus laitier de France, c'est impensable. Ce serait renier mes fondamentaux. Arrêter le lait ? Vous n'y pensez pas. Je ne sais pas faire autre chose. Je vais me retrousser les manches et relever les défis de l'après-quotas. Voilà un défi motivant. Je vais montrer aux Irlandais, Allemands, Hollandais et même aux Néo-Zélandais qu'un Breton ne capitule pas.
Arrêter le lait... Jamais ! Quoique... Quoique...
PASCAL POMMEREUL
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