Les bras m’en tombent !
Utilisons les bons termes sous peine de donner des arguments à nos détracteurs.
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Dans l’excellentissime revue que tu tiens puisque tu lis cette non moins brillantissime chronique, je lisais dans le numéro de juillet dernier : « Elle est enceinte… Offrez-lui le meilleur aliment tarissement. » Cela illustré d’une photo de vache et signé par une coopérative dont je ne citerai pas le nom, mais qui commence par « Evia » et qui se termine par « lis ». Les bras m’en tombent et par effet domino, la revue aussi. Comment peut-on utiliser le mot « enceinte » pour un animal (qui plus est dans une revue agricole) alors que le débat fait rage entre les spécistes et les antispécistes, le tout agrémenté par les vidéos choc de L214 ?
Le spécisme, par analogie avec le racisme et le sexisme, désigne « toute attitude de discrimination envers un animal en raison de son appartenance à une espèce donnée ». Ce préjugé consacre la supériorité des humains sur les autres espèces et légitime des différences de traitement, en créant des catégories injustifiées (animaux de boucherie, de compagnie, de loisirs, etc.). Au contraire, l’antispécisme, dont se revendique Aymeric Caron, journaliste et végétarien, refuse de faire passer les intérêts des humains avant ceux des « animaux non humains ». Cette obligation morale et éthique implique de ne plus tuer, ni de faire souffrir des animaux dont la vie importe autant que la nôtre. En résumé, si tu penses qu’une vache a plus d’importance qu’un moustique ou qu’un aigle vaut plus qu’un poulet, tu es spéciste. Si l’homme est à la base un animal, les animaux ne sont pas humains et je revendique haut et fort d’être spéciste. Alors arrivent dans le débat les vidéos de L214. Une actrice explique sur fond de photos choc que l’éleveur laitier martyrise ses animaux. Je cite : « À la fin de sa grossesse, la vache accouche. Le bébé est kidnappé à la naissance et séparé de sa mère qui le pleure pendant des jours. Nourries au lait reconstitué, les génisses seront violées à l’âge de 1 an. » En utilisant à dessein des termes attribués aux humains, ces activistes jouent l’ambiguïté : l’animal est un humain comme les autres. Souvent, par hypocrisie, la mode est à la périphrase : le nain est une personne de petite taille, le sourd un mal-entendant, la femme de ménage une technicienne de surface, et les Roms des gens du voyage. Ça ne change rien à leur condition. Là, au contraire, les défenseurs de la cause animale font de l’anthropomorphisme et utilisent sciemment des termes pour choquer.
« Plutôt que de parler de droits des animaux, il faut parler des devoirs que nous avons envers eux. Suivant le type d’animaux (de compagnie, de rente, sauvages), ces devoirs varient : affection, protection, nourriture, maintien de la biodiversité, respect de l’environnement… Il n’est pas immoral en retour d’attendre de la nourriture, du travail, de la viande, parfois de l’affection », Francis Wolff (1). La langue française est riche. Utilisons les bons termes sous peine de donner des arguments à nos détracteurs.
(1) Professeur de philosophie à l’École normale supérieure.
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