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Rebrousse-poil Les libéraux ont-ils raison ?

Non, mais leur vision à court terme en fait des francs-tireurs ingérables.

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Bruxelles a alloué 150 M€ pour indemniser la non-production de 1,07 Mt, soit 0,14 €/litre. La France a rajouté 0,10 € dans la tirelire pour les premiers 5 % de la réduction. Est-ce intéressant et pour qui ? N'est-ce pas trop tard quand les stocks sont au plus haut et les prix au plus bas ? 240 € la tonne pour ne pas produire, tu rajoutes 160 € de charges opérationnelles qui ne seront pas dépensées et tu espères 400 € d'économies. Séduisant, non ? 12 800 producteurs ont d'ailleurs déposé une demande. Dans certains cas (charge de travail, mise aux normes, changement de système...), la question se pose. Mais pour la majorité, lever le pied revient à augmenter les charges de structure par litre. Et gare à ne pas hypothéquer notre capacité à repartir dès que les cours redeviendront favorables. Et puis réduire pour qui ? Pour que quelques opportunistes français et surtout étrangers produisent à outrance ?

Une étude Idèle montre qu'en 2015, les Irlandais qui ont produit 20 % de plus ont maintenu leur revenu (- 3 %) alors que ceux qui n'ont pas augmenté l'ont vu baisser de 30 %. C'est mathématique : produire plus sans investir, en optimisant l'existant, dilue les charges de structure.

Les Irlandais sont devenus, à l'échelle de l'Europe, l'équivalent des Néo-Zélandais en matière de déstabilisation des marchés mondiaux. Et on laisse faire, sans doute parce que le commissaire européen à l'agriculture est un Irlandais libéral, un certain Phil Hogan. Il doit bien se marrer. En nous donnant non pas une carotte pour ne pas produire mais plutôt une banane, il espère qu'après l'avoir mangée, nous allons glisser sur la peau et libérer des marchés. C'est que le libéral n'a pas d'état d'âme. Il accepte des sacrifices passagers car il croit en son système et espère que son voisin va craquer avant lui. Dans une compétition sportive opposant deux athlètes avec les mêmes capacités et le même matériel, celui qui gagne est, au final, celui qui y croit plus que l'autre. Les Irlandais ont un moral de gagneur et les Français de perdant. Aujourd'hui, les pays du Nord font le pari de nous enterrer. Se replier sur notre marché intérieur, c'est diminuer de moitié notre potentiel. La France, pays des libres-penseurs et des grandes idées, mais pour ce qui est de l'efficacité...

Nos transformateurs n'ont pas d'état d'âme. Emmanuel Besnier est le champion de l'intox et de la manipulation, mais sa fortune personnelle a doublé entre 2011 et 2016. Comme il ne publie pas ses comptes, impossible d'approcher la valorisation de notre lait. Mais pour avoir une idée sur la question, il suffit de consulter un site de bourse en ligne. Le bénéfice net par action de Savencia a évolué de 4,73 € en 2015, 5,76 € en 2016, et 6,46 € pronostiqués en 2017. Les dividendes versés aux actionnaires suivent la même tendance, soit un rendement de, respectivement, 1,68 %, 2,05 % et 2,36 %. Les analystes prévoient ces bons résultats en grande partie grâce à la baisse des matières premières. Avec une action Savencia autour de 58 €, cette année, il vaudrait mieux investir en actions chez le transformateur plutôt que dans sa ferme. Et chez Danone, le bénéfice net a plus que doublé au premier semestre 2016.

Alors les libéraux ont-ils toujours raison ? Certainement pas, mais leur capacité à dynamiter le système, leur vision à court terme pour dégager du profit immédiat, leur mépris des autres en font des francs-tireurs ingérables. Réguler collectivement la production au niveau de l'Europe et optimiser individuellement son exploitation : ce sont là deux notions complémentaires, mais pas antinomiques.

PASCAL POMMEREUL

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