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De Paname à Panama

Je viens d'apprendre que les bénéfices de mon lait atterrissent au Panama !

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Je savais que mon lait et ses produits dérivés passaient les frontières, mais je n'imaginais pas que les bénéfices atterrissaient au Panama. C'est ce que révèle le journal Le Monde dans l'affaire des Panama Papers. On y apprend qu'Alex Bongrain, propriétaire du groupe Savencia (deuxième privé français après Lactalis), est domicilié en Belgique depuis 1988. Il y a créé sept holdings pour gérer le patrimoine familial. Six autres sociétés offshore, dans quatre paradis fiscaux, ont été utilisées par les Bongrain. Depuis les années quatre-vingt-dix, ce sont plusieurs millions d'euros qui ont transité par les Antilles néerlandaises et les îles Vierges britanniques vers la holding Soparind, elle-même détentrice de 66 % des actions Savencia. La société ESF liée à Bongrain apparaît dans les dossiers du cabinet Mossack Fonseca mis en cause dans l'affaire. Le résultat net de Savencia croît de 46 % en 2015 pendant que son chiffre d'affaires diminue de 3,6 %. Pendant ce temps, la famille Besnier, propriétaire de Lactalis, refuse de publier ses comptes au mépris de la loi pour que l'on ne connaisse pas la rentabilité de ses usines. L'action Bel a doublé de valeur. La coop néerlandaise Friesland Campina redistribue 35 €/t à ses adhérents sur 2015.

Au travers de la loi Sapin 2, notre gouvernement veut interdire la commercialisation des contrats laitiers sous la pression des syndicats et des JA. La vente et donc l'achat de ces contrats renchériraient le coût de production de notre lait en ces moments difficiles. Le contrat passé avec notre laiterie est commercial, au même titre que ceux d'autres entreprises, tous secteurs confondus. Il est donc négociable. Pourquoi faire une exception pour le secteur agricole, et surtout laitier ? Pour diminuer nos coûts de production et permettre aux industriels d'acheter notre lait encore moins cher ? Parce que nos voisins et concurrents ont obtenu la fin des quotas au nom du libéralisme et qu'ils produisent à outrance ?

Du temps des quotas, le volume de lait restait lié à la terre, donc au producteur. Présentement, nous ne serions plus propriétaires de notre contrat puisque l'on ne pourrait plus le vendre. Preuve supplémentaire, Lactalis, toujours à l'affût d'une provocation, prélèverait 20 % sur tous les transferts. Aujourd'hui, il faut céder son droit à produire pour permettre aux autres de survivre. Demain, il faudra laisser gratuitement ses bâtiments pour aider un jeune à s'installer. Après-demain, on lui mettra le troupeau par-dessus le marché ? Tout cela pour permettre à des familles nanties de défiscaliser au Panama.

Le lait est vendu au même prix qu'il y a trente-cinq ans. Non seulement on ne se rémunère plus à hauteur des capitaux engagés mais, en plus, notre capital se déprécie de jour en jour. Où est la valorisation de notre travail, de nos compétences, de notre engagement ? Un producteur qui a sué sang et eau pendant sa carrière doit pouvoir récupérer le fruit de son travail. Quelqu'un qui décide de se réorienter en milieu de carrière doit valoriser son entreprise et repartir avec un capital qui lui permette un nouveau départ.

Interdire la vente des contrats n'est qu'une fuite en avant qui va appauvrir une génération de cédants, qui a pourtant bien mérité, sans pour cela résoudre le problème de la surproduction et de la rentabilité. Collectivement, au niveau de l'Europe, nous devons réguler la production mais individuellement, dans nos exploitations, nous devons optimiser. Pour cela, le contrat cessible et divisible à un prix raisonnable est un outil de gestion. Acheter une tranche de 100 000 litres tous les cinq ans est plus pertinent que d'attendre que son voisin mette la clé sous la porte ou prenne sa retraite.

PASCAL POMMEREUL

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