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GESTION DES QUOTAS. L'ÉTAT LAISSE TOMBER

Dans la foulée de la TFA, le ministère supprime tous les outils de gestion publique des volumes, laissant la main aux laiteries. Une décision brutale qui plonge la filière dans le brouillard.

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C'en est fini de l'exception française dans la gestion des quotas. Les éleveurs dépassant leur référence individuelle ne seront pénalisés que si le quota national est dépassé. Cette décision, qui répond à une plainte déposée à Bruxelles par des éleveurs, entraîne des bouleversements en cascade, dont la filière n'a pas encore pris toute la mesure tant ils sont rapides.

Le 17 octobre, le ministère a annoncé qu'au-delà de la TFA, c'est l'ensemble des outils de la gestion administrée qui disparaissent : allocations provisoires, abattement pour les petits producteurs, dons de lait… La raison est double. D'une part, l'État refuse de maintenir tout ce qui s'apparente à une entente concertée sur les volumes. Car une procédure est en cours à Bruxelles (voir encadré) et chacun sait que le système français reposait sur une interprétation discutable des textes européens. De plus, les allocations provisoires, par exemple, n'avaient de sens que quand les éleveurs en dépassement étaient pénalisés.

UN VIDE JURIDIQUE PROBLÉMATIQUE

Ceci place la filière dans une situation inédite : les textes sur lesquels elle s'appuyait vont être abrogés et nul ne sait quand ni comment ils seront remplacés. À cinq mois de la fin de la campagne, les laiteries n'ont plus aucun cadre pour dire à leurs livreurs combien ils peuvent produire. Seule certitude, la France devra payer une pénalité, dite superprélèvement (287 €/1 000 l), si elle dépasse son quota. La mise en musique de cette règle propose plusieurs options sur lesquelles le ministère n'a pas tranché.

Le superprélèvement peut être réparti entre ceux qui produisent plus que leur quota. Dans ce cas, les sous-réalisations des uns compensent en partie les dépassements des autres. Seul l'excédent français est pénalisé. L'autre option consiste à taxer chaque dépassement individuel à 287 €/1 000 l. Le prélèvement excéderait alors le montant dû à Bruxelles. Le surplus pourrait, en toute légalité, servir à financer des actions de restructuration.

Cette disposition technique conditionne l'ampleur du risque que prend l'éleveur dépassant son quota. Faute de savoir ce qui sera décidé, les laiteries hésitent à donner des indications. Elles pourraient annoncer un taux de prêt de quota, à l'image des allocations provisoires. Certaines le font d'ailleurs. Sauf qu'en cas de dépassement, ce sont les livreurs qui paieront. Même si le risque est infime (voir encadré), il ne peut pas être ignoré.

« Cette évolution conduit à bloquer les producteurs au niveau de leur référence, analyse Isabelle Lesage (Coop de France ouest). Ils peuvent prendre un risque à titre personnel, mais ils ne bénéficient plus d'une marge calculée sur les sous-réalisations prévisibles de leurs collègues. » Avec les allocations provisoires, c'est donc un outil d'ajustement des livraisons individuelles à la hausse qui disparaît.

LE MINISTRE PROPOSE DES GROUPES DE TRAVAIL…

Dans l'immédiat, la difficulté majeure pour les laiteries est de couvrir leurs besoins en lait. La collecte est en retard. Dans l'ouest, plusieurs coopératives avaient fixé un taux d'allocations provisoires à 4-5 %. Le vide juridique actuel les prive d'un moyen d'envoyer un signal à leurs livreurs.

« Le ministre appelle les laiteries coopératives et privées et les producteurs à mettre en place rapidement des mesures ayant un effet équivalent à celui de la taxe fiscale sur les dépassements individuels de quotas laitiers », peut-on lire dans le communiqué du ministère annonçant la fin de la TFA. Des groupes de travail doivent se mettre en place pour chercher une alternative à cette taxe. Mais en attendant qu'ils aboutissent, la balle est dans le camp des seules laiteries.

Dans les faits, certaines avaient anticipé ces évolutions en prévision de la fin des quotas. Chez les privés, quelques contrats prévoient une pénalité en cas de dépassement du volume de référence. Cette disposition, dite clause pénale, est légale. Mais se pose la question de l'utilisation des fonds collectés. Enfin, quid des éleveurs qui n'ont pas signé le contrat ?

UN PRIX DISSUASIF POUR LES COOPÉRATIVES

Les laiteries qui n'ont pas prévu cette situation vont modifier leurs contrats. Les coopératives ne peuvent pas instaurer ce type de pénalités sans toucher à leurs statuts. Une procédure longue qui ne peut apporter aucune réponse pour la campagne en cours. « À la FNCL, nous suivons une logique de volume choisi. Il s'agit d'assurer l'approvisionnement nécessaire à nos marchés et de mettre des barrières au-delà, sous la forme d'un prix dissuasif », précise Dominique Chargé, président de la FNCL. Il rajoute que « si on ne gère pas les volumes, on retombe fatalement dans un problème de prix. Il serait dangereux de prendre le risque d'un dérapage de la collecte ».

Mais comment fixer ce prix dissuasif pour qu'il soit efficace ? Les coopératives doivent préciser les modalités de calcul du prix avant que le lait ne soit livré. Celles qui prendront cette voie planchent sur le sujet.

Une autre piste viserait à créer un nouveau dispositif de gestion dans le cadre de l'interprofession. « Puisque les pouvoirs publics passent la main, les acteurs de la filière doivent se prendre en charge, défend Jérôme Chapon, chez les Jeunes Agriculteurs. À nous de décider des objectifs et de l'organisation que l'on souhaite. » Il s'agit de s'appuyer sur le consensus qui a toujours prévalu dans la gestion collective. Mais la marge est étroite car tout ce qui peut orienter le marché est interdit à l'interprofession.

Dans l'attente d'une autre solution, l'avenir des éleveurs mais aussi le niveau de leurs revenus se trouvent dépendants des choix opérés par leurs laiteries. Avec, en corollaire, le recul de l'équité de traitement entre eux. L'actualité récente a montré que les écarts se creusent au niveau des prix. Il en sera de même sur les volumes avec des industriels qui n'offrent aucune marge de progression, quand d'autres visent la croissance. Le manque de dynamisme de certains poids lourds du secteur n'est pas de bon augure pour les éleveurs. Ces dernières années, les industriels privés ont toujours freiné lors des discussions sur les taux d'allocations provisoires. Quelles seront les perspectives des éleveurs qui livrent à une entreprise sans autre ambition que le maintien de sa collecte ? Qu'adviendra-t-il si elle perd des marchés ? Comment résisteront- ils à la prochaine crise ?

« LA GESTION COLLECTIVE EST MORTE »

La disparition de la gestion administrée des quotas éloigne encore les producteurs de leur nécessaire implication dans les débouchés de leur lait « La gestion collective est morte, les entreprises peuvent faire ce qu'elles veulent. Nous sommes démunis, notamment face aux industriels privés. », Avoue Marcel Denieul, secrétaire général adjoint à la FNPL. En effaçant l'organisation existante, le ministère a considérablement réduit la place des producteurs dans la gestion des volumes. Un comble quand on sait que la LMA, votée il est vrai par la majorité précédente, avait pour ambition de rééquilibrer les pouvoirs entre les producteurs et les transformateurs.

Reste le cadre du mini paquet lait, qui autorise les producteurs regroupés en OP à négocier avec les entreprises. La gestion des excédents fait partie des sujets qu'ils peuvent aborder. Mais les OP ne sont toujours pas opérationnelles. À ce jour, le ministère n'a délivré aucun agrément. Les réunions sont régulièrement reportées. L'administration prend toutes les précautions pour éviter de prêter à nouveau le flanc aux critiques bruxelloises. Elle semble craindre une proximité trop grande des OP avec le syndicalisme. « Les OP et, au-delà, les AOP constituent des outils indispensables pour avoir une vision du marché plus large que celle d'une entreprise », poursuit Marcel Denieul.

UN CHOC SALUTAIRE ?

Les coopératives semblent avoir pris la mesure de ce risque de déconnexion avec les producteurs. Elles cherchent à resserrer les liens avec leurs adhérents afin de préserver, voire de restaurer la relation de confiance. « Ce nouveau mode de gestion privée des volumes impose un débat avec nos sociétaires. Il fera l'objet de nos réunions cet hiver », précise Jean-Yves Duplenne chez Maîtres Laitiers du Cotentin.

Au-delà de ces conséquences immédiates pour la campagne en cours, le désengagement de l'État et la suppression des outils de gestion bousculent la filière laitière dans ses fondements. Depuis trente ans, la cogestion a dominé avec un objectif d'aménagement du territoire. Ce beau consensus est chassé brutalement alors que les acteurs ne sont pas prêts. Les régions les plus fragiles risquent de le payer au prix fort. Certes, la contractualisation a permis d'y sécuriser certains débouchés. Mais la restructuration reste nécessaire. Et si les TSST couvriront les besoins de financement des Acal cette année, nul ne peut dire si ce sera encore le cas l'an prochain. La crise du lait UHT a montré le manque d'outils industriels en France. La sortie des quotas implique une vision économique de la filière. Une logique radicalement différente de l'aménagement du territoire. La France sait depuis 2003 qu'elle doit se préparer à la fin des quotas. Elle a perdu du temps en refusant d'y croire et la disparition actuelle des règles l'oblige à accélérer. La précipitation est rarement bonne conseillère. Gageons tout de même que ce choc permettra de rebondir et de prendre conscience des atouts d'une filière qui a la chance de bénéficier de marchés en croissance.

PASCALE LE CANN

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