COLLECTE : CE LAIT DONT PLUS PERSONNE NE VEUT
Partout, en France, des producteurs s'inquiètent de la pérennité de leur collecte. C'est le signe d'un certain désordre chez les transformateurs français, qu'il faudra régler avant 2015.
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PRODUCTEURS DONT LA COLLECTE EST MENACÉE, ruptures de contrat, transformateurs qui baissent unilatéralement le prix du lait, et ces laits dits « flottants » dont on se débarrasse sur le marché Spot : en quelques mois, les signes d'alerte se multiplient dans la filière laitière française.
L'année faste de 2011 est-elle déjà si loin ? Il faut savoir que tous les transformateurs n'en ont pas profité à l'identique. Les marchés internationaux des produits industriels étaient certes bien orientés, mais tout le monde n'avait pas la capacité à y accéder. Et le revirement du printemps a eu tendance à réorienter les transformations sur le marché intérieur des PGC, provoquant des déséquilibres majeurs.
Ce sont les PME aux mix-produits sensibles et les coopératives en manque de restructuration qui en font les frais. Elles sont incapables de digérer la forte hausse de production de leurs éleveurs. Acheter du lait à 320 €/t pour en revendre une partie sur le marché Spot à 220 €/t ne constitue pas, bien évidemment, un modèle économique durable. Deux ans après le rapport McKinsey qui pointait la faiblesse des outils de transformation français, on ne distingue pas de mouvements de restructuration de grande ampleur.
Il est une autre question : avons-nous trop de lait en France ? C'est le signal donné quand personne n'est candidat pour reprendre les producteurs en errance. Les différents GIE qui, à une époque, ont pu jouer la carte de l'opportunisme se retrouvent en grandes difficultés quand leurs contrats prennent fin. Et les laits flottants, estimés à 500 millions de litres (Ml), qui en résultent participent à déséquilibrer l'ensemble de la filière. Car soyons sûrs qu'ils profitent à d'autres pour s'approvisionner à bon prix en matière première. Faudra-t-il une bonne purge à la filière pour repartir d'un bon pied ? Un diagnostic interprofessionnel est en cours. Souhaitons qu'il soit pertinent et aboutisse à un plan de restructuration courageux. Car force est de constater que les points chauds que nous énumérons ci-après sont, pour la plupart, des reliquats de vieilles affaires (URCVL, ULN, etc.) mal réglées.
Forez Fourme. Loire : 10 Ml et 70 producteurs
Déjà très affectés par le démantèlement de l'URCVL en 2010, puis par la liquidation de leur partenaire industriel Forez Fourme fin janvier, les 70 éleveurs de la coopérative des Monts du Forez se retrouvent à nouveau sans débouchés. Le contrat qu'ils étaient parvenus à signer avec la société italienne Inalpi, début 2012, a été rompu fin mai. Sans salarié, les administrateurs doivent gérer eux mêmes à la semaine la collecte et la vente de leur lait sur le marché Spot. Ils recherchent un débouché durable. Une filière UHT « lait de montagne » avec une déclinaison « Monts du Forez » est en cours de création. Les GMS de la région se sont déclarées intéressées. 8 Ml pourraient ainsi être commercialisés. « Pas question de faire une croix sur le lait du Haut-Forez, affirme Jean-Claude Rabany, président de la FRPL. Face aux refus catégoriques de reprise des grands groupes laitiers présents dans la région (Sodiaal et Lactalis en particulier), la marge de manoeuvre est restreinte : mieux vaut du lait UHT que du lait Spot. » Pour soutenir financièrement les producteurs, une caisse de solidarité est en cours de création. Les éleveurs du bassin Sud-Est ont été sollicités début août pour verser une cotisation volontaire pendant six mois (1 €/1 000 l). « La caisse servira aussi à soutenir les producteurs de la coopérative de Leyment (Ain), dont la situation est très difficile », souligne-t-il.
Lacopab. Ain : 52 Ml et 150 producteurs
Fin 2011, le non-renouvellement des contrats d'achat de lait et de location-gérance, qui liaient l'emmentaliste Dominici à la coopérative Lacopab, a obligé cette dernière à reprendre en direct la gestion de sa fromagerie. La dizaine de contacts pris pour trouver un nouveau partenaire n'a pas abouti pour l'instant. La médiocre valorisation de l'emmental blanc (non affiné) et la vente de lait Spot s'en ressentent sur la facture de lait : 290 €/1 000 l en avril et mai, moins de 280 € en juin
Fromagers de Bourgogne. Saône-et-Loire : 12 Ml et 28 producteurs
Dans le nord du département, les 28 producteurs livrant leur lait aux Fromagers de Bourgogne, à Verdun-surle- Doubs, sont assurés d'être collectés jusqu'au 31 mars 2013. L'annonce faite au printemps par la filiale du groupe Centurion était intervenue après le refus des éleveurs d'une baisse du prix de leur lait de 13 €/1 000 l. « Au-delà du 31 mars 2013, Centurion s'est engagé à nous collecter encore six mois, mais avec un prix désolidarisé de toute grille », précise Jean-Luc Mauchand, vice-président de l'OP. Très présent dans ce secteur, Danone a fait savoir qu'il n'avait besoin ni de producteurs ni de litrages supplémentaires. Trois mois plus tard, on en est au même point. « Personne ne veut de notre lait. Le fait d'avoir la plus belle zone de collecte du département, en plaine et près de l'autoroute A6, n'y change rien.
Grand Est. Pas d'incertitudes de collecte mais des laits sous-valorisés
Si la grande région Est n'a pas à gérer d'arrêt de collecte, elle connaît des entreprises qui payent le lait à un niveau très en dessous du prix moyen régional. C'est le cas des Fromageries de Blamont qui ont annoncé 315 €/1 000 l en juillet-août, puis 310 € en septembre, soit entre 20 et 30 € de moins que le prix interprofessionnel. En début d'année, le conseil d'administration de la coopérative a voté une résolution qui annonçait qu'en cas de déséquilibre des comptes, la variable d'ajustement serait le prix du lait payé aux producteurs. C'est ce qui s'applique actuellement. Car la coopérative peine à valoriser correctement ses 150 Ml collectés. Selon nos sources, au-delà de l'emmental et du munster, 25 à 30 Ml partiraient encore sur le marché Spot. Et pourtant, les Fromageries de Blamont ont alloué 7 % d'allocations provisoires sur la campagne 2011-2012, certes payées 50 € en dessous du prix interprofessionnel.
Leche Pascual. Gironde : 7 Ml et 13 producteurs
Depuis deux ans, les éleveurs sont régulièrement confrontés à la menace d'arrêts de collecte. La région est pourtant en forte déprise laitière. Cela a commencé en 2010 avec l'annonce du désengagement de l'Espagnol Leche Pascual. Le GIE Sud lait et ses 270 producteurs ont vu leur contrat de 70 Ml disparaître en avril 2010. Après de lourdes négociations, Sodiaal, 3A, Danone, le Glac et la Fromagerie Baechler, dans le Lot-et-Garonne, ont repris la majorité des producteurs. Un an plus tard, Leche Pascual annonce qu'il cesse toute collecte en France en avril 2012, abandonnant ainsi 110 producteurs supplémentaires. La solution a été encore plus délicate à trouver avec, cette fois, l'absence de 3A et toujours sans Lactalis. Aujourd'hui encore, 13 producteurs de Gironde n'ont pas de laiterie pour leurs 7 Ml de lait. Transitoirement, ils sont collectés par la Laiterie Baechler qui a obtenu de Leche Pascual, un contrat jusqu'à la fin 2012. Ces éleveurs se trouvent sur un même canton avec les camions de Lactalis et 3A qui passent à leur porte. Dans la conjoncture actuelle, leur sort sera très difficile à régler. Lactalis s'en tient à sa stratégie de ne reprendre personne et 3A se débat déjà avec des laits d'excédent. Réponse d'ici à fin 2012.
Maugilait. Maine-et-Loire : 50 Ml et 87 producteurs
Le groupement de producteurs a connu de sérieuses difficultés en début d'année 2012. Plusieurs pertes de contrats en 2011 (Senoble, Terra Lacta…) ont mis l'entreprise en difficulté. Impossible dans ces conditions de payer aux adhérents le prix du lait sur une base moyenne régionale. Le décrochage a été de plus de 40 €/1 000 l pendant plusieurs mois. Aujourd'hui, la situation commence à se rééquilibrer « avec 85 % du lait qui seraient à nouveau sous contrat », affirme Patrice Gautier, président. Pour assurer son avenir, le GIE a investi dans un outil de pré-transformation de son lait pour fournir en ingrédients l'industrie alimentaire. Montant de l'investissement : 2,5 M€. L'atelier fonctionne depuis février et monte en puissance. Une fromagerie serait prévue en 2014-2015 pour un potentiel de transformation de 60 à 70 Ml de lait. « Après des moments difficiles, nous commençons à refaire surface. »
CLHN et Coralis. Grand Ouest : les reliquats de la chute de l'ULN
La Coopérative laitière de Haute- Normandie (CLHN) collecte 230 Ml. Le 30 juin 2012, les contrats qu'elle avait avec le montage Compagnie laitière européenne-Novandie (135 Ml), d'une part, et Danone (88 Ml), d'autre part, ont pris fin. Les nouveaux contrats signés influencent le prix du lait. Depuis le 1er juillet, il est établi à partir des indicateurs Cniel sur 73 % des volumes et d'une valorisation poudre sur les 27 % restants. Les 520 producteurs ont perçu un prix de base de 311 €/1 000 l en août. 306 € sont annoncés pour septembre, soit 24 à 27 € de moins que la grille Criel. « Le volume qui dépassera le quota individuel en mars 2013 sera payé au prix beurre-poudre », précise le président Pierre Poixblanc. Le montage CLE-Novandie remonte à la chute de l'Union laitière normande en 1992. La CLHN figurait parmi les coops adhérentes dont la collecte avait été reprise par la filiale de Bongrain pour un contrat de vingt ans. Sur les 135 Ml qui résultaient de cette histoire, la CLE en avait contractualisé 95 Ml avec Novandie. Elle valorisait les 35 Ml restants dans ses outils de l'Ouest. Seulement, à l'occasion de cette fin de contrat, l'appel d'offres de Novandie en début d'année s'est conclu, pour la CLHN, par 30 Ml en moins (66 Ml durant cinq ans en contrat direct). Sodiaal et Maugilait ont aussi reçu une réponse favorable de Novandie. De même, Danone a révisé à la baisse son approvisionnement, de 88 à 60 Ml, là aussi pour cinq ans. De son côté, CLE s'est engagée tembre, soit 24 à 27 € de moins que la grille Criel. « Le volume qui dépassera le quota individuel en mars 2013 sera payé au prix beurre-poudre », précise le président Pierre Poixblanc. Le montage CLE-Novandie remonte à la chute de l'Union laitière normande en 1992. La CLHN figurait parmi les coops adhérentes dont la collecte avait été reprise par la filiale de Bongrain pour un contrat de vingt ans. Sur les 135 Ml qui résultaient de cette histoire, la CLE en avait contractualisé 95 Ml avec Novandie. Elle valorisait les 35 Ml restants dans ses outils de l'Ouest. Seulement, à l'occasion de cette fin de contrat, l'appel d'offres de Novandie en début d'année s'est conclu, pour la CLHN, par 30 Ml en moins (66 Ml durant cinq ans en contrat direct). Sodiaal et Maugilait ont aussi reçu une réponse favorable de Novandie. De même, Danone a révisé à la baisse son approvisionnement, de 88 à 60 Ml, là aussi pour cinq ans. De son côté, CLE s'est engagée à acheter à la cotation poudre 40 Ml de lait écrémé jusqu'au 30 juin 2013, expédiés à Pontmain (Mayenne). La CLHN et CLE ont signé un deuxième contrat pour 10 Ml de crème jusqu'à la fin 2019.
Pour boucler la boucle, la CLHN cherchait des débouchés pour 50 Ml. C'est chose faite avec la coopérative belge Solarec qui transforme 30 Ml en poudre, avec des contrats renouvelables de six mois. Un dernier contrat de 20 Ml vient d'être signé avec un courtier au prix de la poudre jusqu'en décembre. « Notre premier objectif qui était d'assurer la collecte de tous les producteurs est atteint. S'il y a un décrochage important du prix du lait en août et septembre, nous estimons que le prix moyen de base 2012 de la CLHN sera inférieur de 5 à 10 € par rapport à celui fixé via les indicateurs Cniel. Il faut travailler maintenant à la valorisation et la sécurisation de notre collecte. »
La cousine bretonne Coralis (issue de l'ULN) vit la même situation. Son contrat de 92 Ml avec CLE a pris fin le 30 juin 2012. Cette même CLE avait un contrat équivalent avec Sodiaal-Entremont. Ces deux partenaires historiques continuent de prendre le lait mais payé au prix beurre poudre, le temps pour Coralis de mener à terme son projet de tour de séchage (15 M€). La coop (280 Ml) souffre aussi des prix tendus sur le lait de consommation qui représente la moitié de son mix-produits. Elle a payé le lait de juin et juillet 280 €/1 000 l, moins 10 €/1 000 l de participation à l'investissement de la tour.
Laiterie Dischamp. Cantal : 20 Ml et 94 producteurs
La menace d'arrêt de collecte à compter d'avril 2013 inquiète de plus en plus.« Nous avons cette épée de Damoclès sur la tête depuis quatre mois sans qu'aucune solution n'apparaisse, explique Michel Lacassagne, au nom des producteurs livrant à Dischamp. Nous avons alerté les Pouvoirs publics et nous rencontrerons à nouveau notre interprofession début septembre. » Gérard Brunhes, directeur de la laiterie installée dans le Cantal, confirme le statu quo du dossier et les difficultés de commercialisation du lait standard. « Nous vendons le lait Spot 240 €/1 000 l alors que les prix durant les mois d'été se situent habituellement vers 350 €. » Depuis janvier, la laiterie souffre de la rupture d'un contrat de 20 Ml standard avec le Glac. Sur les 170 producteurs de la laiterie, seule la centaine non engagée dans l'AOP cantal a reçu le préavis d'arrêt de collecte. La construction d'une tour de séchage collective au niveau régional serait peut-être la solution pour dégager les excédents de lait standard.
GIE de la Châtaigneraie. Cantal : 20 Ml et 70 producteurs
Les producteurs du GIE de la Châtaigneraie sont avertis depuis un an que leur contrat de collecte par 3A ne sera pas renouvelé en avril 2013. Ils ont décidé de relever le défi de commercialiser eux-mêmes leurs 20 Ml. « Nous sommes partis sur une gamme de produits de qualité pour valoriser notre image et notre travail », explique Joël Guillemin, responsable du GIE, qui emploie onze salariés. Premier né : une mozzarella, commercialisée depuis mai, est référencée dans les 24 Leclerc et les 130 Intermarché de la région Midi-Pyrénées. L'objectif est d'écouler ainsi 3 Ml. 8 Ml sont transformés en AOP cantal au lait cru et affiné quatre mois. Le GIE se prépare à commercialiser parallèlement une tomme fraîche avec le label Montagne et une crème fraîche. 2 Ml sont collectés en bio, deux autres vont être cédés par des départs en préretraite ou des échanges de droits vaches allaitantes. « Il nous restera 5 Ml à vendre en lait Spot. Nous y arriverons. »
Laiterie Garmy. Puy-de-Dôme : 7,5 Ml et 5 producteurs
Pour Alain Garmy, directeur de la laiterie familiale, installée à Thiers (Puy-de-Dôme), la situation peut encore être redressée malgré les problèmes financiers de l'entreprise, dus à des impayés et à la difficulté de valoriser le lait Spot. De fait, seule la moitié des 7,5 Ml est transformée en fromages. « Nous avons commencé à restructurer en licenciant 8 personnes sur les 35 employés de la laiterie. » La laiterie est en redressement judiciaire depuis le 22 juin dernier. Depuis, le lait est réglé par décades aux producteurs. Ces derniers ont manifesté mi-août. « Nous subissons des baisses de prix depuis décembre 2011 et n'avons pas été payés du 1er mai au 22 juin. Les créances s'élèvent à 500 000 € », souligne Sabine Tholoniat, présidente de l'Association des producteurs. Une nouvelle audience est prévue le 31 août au tribunal de commerce de Clermont-Ferrand pour décider de l'avenir de la laiterie. Pour les producteurs, la solution serait dans la reprise de l'entreprise par un groupe coopératif. Sodiaal a fait une proposition en juin dernier.
ANNE BRÉHIER, DOMINIQUE GRÉMY ET CLAIRE HUE
Dès que la collecte s'emballe, l'outil de transformation apparaît dépassé. Les premières à trinquer sont les PME et les coops en manque de restructuration. © STÉPHANE LEITENBERGER
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