2015 : LES ÉLEVEURS FRANÇAIS TOUJOURS DANS L'INCERTITUDE
Le discours dominant sur un bel avenir laitier, soutenu par l'export, ne convainc pas tout le monde. La volatilité en effraie beaucoup.
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L'HIVER EST PROPICE AUX RÉUNIONS D'ÉLEVEURS et en cette dernière année avant la disparition des quotas, les journées laitières se sont multipliées. Qu'elles soient organisées par les chambres d'agriculture ou les différents syndicats, elles laissent s'exprimer des sentiments variés face aux bouleversements annoncés. On est encore loin de l'enthousiasme qui anime l'Europe du Nord.
Tout d'abord, les constats sur ce qui va se produire ne font pas l'unanimité. Le discours dominant, véhiculé par les intervenants du Cniel ou de l'Institut de l'élevage, décrit une demande mondiale durablement forte, soutenue notamment par la Chine. Des marchés à prendre donc, mais avec un risque lié à la volatilité des prix. « Hors crise économique, la demande mondiale de produits laitiers progresse d'environ 2,5 % par an », affirme Benoît Rouyer du Cniel, en Mayenne. Il ajoute que le déséquilibre actuel vient d'un dynamisme trop soutenu de la production en Europe et en Nouvelle-Zélande.
Cette hausse récente de la demande des pays émergents a modifié les fondamentaux des marchés laitiers. Les perspectives de développement, mais aussi de valorisation, ne sont plus sur le marché intérieur français qui stagne, mais à l'export. La progression des coûts de production en Nouvelle-Zélande, notamment à cause du prix du foncier, a amélioré la position concurrentielle de la France et de l'Europe. De plus, si la production se développe en Chine, elle consomme des intrants importés coûteux qui font exploser ses coûts de production. Le lait chinois est aujourd'hui payé autour de 500 €/t, contre 200 € en 2007. Il n'est donc pas compétitif par rapport aux importations.
LE MARCHÉ HEXAGONAL EST MOINS SÛR QU'AVANT
Mais comme d'autres, Aurélie Trouvé, maître de conférence à AgroParis Tech et invitée à l'assemblée générale de l'Apli, ne croit pas en cet avenir porteur. Pour elle, la Chine se met en position de développer sa production. Et elle dénonce la concentration des élevages, leur spécialisation et, au final, la restructuration féroce que provoque la dérégulation.
Cette moindre valorisation du marché intérieur bouscule les repères et réduit la sécurité qu'il a longtemps offerte aux industriels comme aux éleveurs. Et l'on peut supposer que cette situation est durable. La dureté des négociations avec la grande distribution montre bien toute la difficulté que rencontrent les industriels pour répercuter la hausse des prix dans les rayons français. Ce n'est pas un hasard si les investissements des grands leaders internationaux s'effectuent aujourd'hui partout dans le monde, et plus seulement dans les bassins laitiers réputés les plus compétitifs. En France, la moitié des investissements industriels réalisés entre 2012 et juin 2014 concerne les ingrédients. Autrement dit, l'export. Entre 2009 et 2013, les ventes françaises à l'export ont progressé de 2 md€ quand elles n'augmentaient que de 600 M€ sur le marché intérieur.
Bien des éleveurs hésitent à investir sur leur exploitation pour des marchés qu'ils savent volatils et incertains. L'embargo russe montre bien l'importance des aléas. Et cette réorientation des marchés renforce la dépendance des éleveurs vis-à-vis de leur collecteur. Certains cherchent à se développer via ces marchés, d'autres non. L'engagement des éleveurs nécessite une confiance dans la transformation qui n'est pas la règle. Le manque de transparence des laiteries n'y est pas pour rien. Et le traditionnel combat du syndicalisme pour défendre le prix du lait a entretenu un climat de méfiance. Le manque de concertation qui a prévalu dans la rédaction des contrats des industriels privés a renforcé ce sentiment. Imposer la rédaction des contrats avant de donner le cadre de la création des OP était un non-sens qui a laissé des traces.
Ainsi, les marchés à l'exportation imposent leurs contraintes en matière de variations de prix et de souplesse dans les volumes. Les industriels répercutent cette nouvelle donne sur leurs livreurs qui ne voient pas très bien ce qu'ils peuvent y gagner. Des perspectives de développement peut-être, variables selon les laiteries, mais couplées à une prise de risques plus importante.
DES ÉLEVEURS PRUDENTS
Les enquêtes réalisées auprès des éleveurs traduisent bien cette diversité. En Mayenne, au printemps 2014, 52 % des éleveurs envisageaient de produire plus que leur quota sur la campagne en cours, quand 38 % prévoyaient de respecter leur référence. Et 60 % annonçaient leur volonté de produire davantage d'ici à 2020. L'enquête montre aussi que ce sont ceux qui produisent le plus aujourd'hui qui souhaitent augmenter encore à l'avenir. Mais les éleveurs ont analysé les facteurs limitant de leur développement. Le manque de place dans le bâtiment intervient pour 60 %. Prudents, ils misent plus sur une hausse de la production par vache que sur des investissements pour augmenter leurs livraisons.
Et puis, la disparité des résultats économiques des éleveurs explique aussi la diversité des comportements. Les 25 % qui dégagent moins de 50 € d'EBE/1 000 l savent qu'une baisse du prix du lait les fera basculer dans le rouge.
Au niveau de la filière, un développement harmonieux repose clairement sur un dialogue de qualité entre éleveurs et industriels. Or, même s'il existe une variabilité selon les laiteries, la confiance n'est pas vraiment installée.
PASCALE LE CANN
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