EUROPE DU NORD LA COURSE À LA VALEUR AJOUTÉE
Aux Pays-Bas, la fin des quotas libère les envies d'entreprises qui veulent leur part d'un gâteau laitier mondial promis en expansion par tous les experts. Les producteurs, eux, se frottent les mains.
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LES DÉLAIS DU CHANTIER ONT ÉTÉ RESPECTÉS. En ce mois de décembre 2014, la fromagerie d'A-Ware Food Group réceptionne, comme prévu, ses premiers litres de lait. Une fois à plein régime, son objectif est de produire 60 000 t de fromages au minimum, mais plus probablement 80 000 t. La construction de cette usine en bordure de l'autoroute A7 à Heerenveen, dans le nord des Pays-Bas, marque l'arrivée en fanfare dans l'industrie laitière, d'un groupe à capitaux familiaux qui se cantonnait jusque-là dans l'affinage, le conditionnement et le stockage de fromages divers, fabriquant 300 millions de portions consommateurs par an pour un chiffre d'affaires de 1,2 milliard d'euros.
Quelle raison peut bien avoir incité A-Ware à se lancer dans le métier ? « Cette fromagerie est un élargissement logique de notre secteur d'activité. Avec une unité en propre, nous pourrons développer des recettes spécifiques pour nos clients dans toute l'Europe et ainsi leur proposer des produits sur mesure, comme ils en ont l'habitude », peut-on lire sur le site de l'entreprise qui a refusé un entretien à L'Éleveur laitier. L'explication est un peu courte. Car A-Ware ne s'est pas embarqué seul. Dans son sillage, le nouveau venu draine un gros poisson de l'industrie laitière mondiale : Fonterra. C'est sous son impulsion qu'A-Ware quadruple la taille d'une fromagerie initialement prévue pour « seulement » 20 000 t. L'accord conclu en 2012 entre les deux partenaires prévoit que le Néerlandais cède le lactose et le lactosérum, issus de la fabrication de fromages, au Néo-Zélandais Fonterra qui les traitera sur place, dans une partie de la nouvelle unité et produira une palette d'aliments infantiles. Il profitera ensuite d'une bonne logistique et de la proximité des ports pour viser, entre autres, le marché asiatique.
« À CE PRIX-LÀ, ON PEUT PRODUIRE MALGRÉ LES PÉNALITÉS »
Cette alliance ne doit rien au hasard. Elle trouve sa source dans la fusion entre... Campina et Friesland fin 2008.
À l'époque, le nouveau géant coopératif se sépare de Theo Spierings, directeur général de Friesland. Ce dernier retrouve, en 2011, le poste équivalent chez Fonterra ! Alors que le Canadien Andrew Ferrier, qu'il remplace, n'avait jamais voulu accorder le moindre rôle à l'Europe dans sa stratégie mondiale d'approvisionnement, Theo Spierings voit les choses différemment. « Il connaît bien l'Union européenne et ses marchés. Il sait aussi que la production néo-zélandaise est au taquet. Il n'y a plus de réserve de productivité, excepté d'augmenter le nombre de traites par jour, observe Wilhelm Neu, vice-président du RLV, le syndicat régional allemand à la frontière néerlandaise. Il juge que l'Europe a des excédents de lait. En prenant pied dans le nord des Pays-Bas, Fonterra a certainement d'autres projets en tête car il s'installe dans une zone à forte densité de production. » Les éleveurs néerlandais ne se feront pas prier pour livrer davantage. En 2013, le pays a dépassé son quota de 5 %. En 2014, les livraisons devraient encore progresser de 3,5 %. « FrieslandCampina devrait, par exemple, payer le lait à plus de 395€/1 000 l en moyenne sur 2014 (hors ristournes). À ce prix-là, on peut produire malgré les pénalités. La prévision pour après 2015 chiffre l'augmentation de la collecte à 20 %. Beaucoup d'éleveurs ont déjà construit. Il y a des places de logettes libres. Cette hypothèse est réaliste », estime Jakob Mulder, de la section lait régionale du LTO, le principal syndicat agricole néerlandais. Cette évolution devrait avant tout concerner le nord des Pays-Bas, la zone la plus laitière. Le seul frein à la hausse semble être la limite en phosphate du lisier, fixée par une réglementation en projet. « Le problème pourrait se régler par l'exportation et le traitement du lisier ainsi que l'amélioration de l'efficacité alimentaire. Une solution est de mieux gérer l'herbe et de diminuer le phosphore dans le concentré. Mais c'est délicat car la santé des vaches est en jeu », précise Jakob Mulder.
Pas encore préoccupé par cet écueil potentiel futur, A-Ware a estimé les besoins en lait de sa fromagerie à 750 millions de litres (Ml), ce qui ferait d'entrée de l'unité la troisième du pays par sa taille. D'où viendra ce lait ? Essentiellement des Pays-Bas. L'autorité de la concurrence néerlandaise a imposé la création d'un pool laitier auprès duquel A-Ware pourra s'approvisionner. Il est alimenté par quatre sources. 300 Ml sont mis à disposition par FrieslandCampina à des conditions prédéfinies, eu égard à sa position dominante du marché. 200 Ml sont livrés par des éleveurs directement recrutés par A-Ware. Près de 120 Ml sont contractualisés avec la coopérative Noordlanmelk. Le solde est acheté sur le marché spot ou local, voire à l'étranger, en fonction de la situation des marchés. Sur le terrain, A-Ware a surtout démarché des livreurs du fromager DOC, qui avaient dû se satisfaire en 2013 d'un prix en retrait de quelque 30 €/1 000 l sur celui payé par FrieslandCampina. La principale entreprise du pays continue d'être la référence, au point qu'A-Ware a proposé 10 €/1 000 l de plus que le prix FrieslandCampina, hors ristourne annuelle (soit tout de même un peu plus de 30 € en 2013). Faites le calcul : à1 Ml, le moindre cent de plus, c'est 10 000 € de recette supplémentaire... « A-Ware a ciblé les grands élevages proches de son usine. C'est la solution pour compenser sa meilleure offre par des frais de collecte moins élevés », relève Jakob Mulder.
Le prix promis n'a cependant pas convaincu tout le monde. FrieslandCampina ne s'inquiète pas. Ses adhérents sont fidèles. Jakob Mulder en est un lui-même. « Ils ont confiance. L'entreprise leur paye depuis toujours un bon prix. En 2013, c'était le troisième meilleur prix des laiteries de l'UE. FrieslandCampina a investi dans les produits infantiles pour après 2015. Elle garantit à tous ses adhérents qu'elle acceptera tous les volumes qu'ils lui livreront. C'est rassurant. Pour les éleveurs, la relation avec leur laiterie est essentielle. A-Ware peut donner les garanties qu'il veut. On ne sait pas si l'entreprise tiendra le choc. La première année sans doute, mais après... »
S'il est un acteur de ce projet qui est confiant dans l'avenir d'A-Ware, c'est Noordlandmelk. La coopérative a été créée en 2006 pour pallier le désengagement de la laiterie privée Hoogwegt vis-à-vis des 180 élevages dont elle ramassait les 120 millions de litres.
POUVOIR DE CODÉCISION PARTAGÉ AVEC UNE COOPÉRATIVE DE COLLECTE
À l'époque, la jeune structure se met à vendre « un peu à droite et à gauche » selon l'expression de son président, Ad Van Velde. Mais en 2009, l'un de ses acheteurs fait faillite et un autre traverse une passe délicate. Échaudée par ces épisodes, Noordlandmelk cherche à nouer une relation contractuelle stable. Elle négocie avec A-Ware, « pour une somme raisonnable », un partenariat qui lui procure un pouvoir de codécision. Noordlandmelk est en effet présente aux côtés d'A-Ware dans la structure Milk bv qui décide des projets à long terme, fixe le prix du lait et arbitre la destination du lait arrivant dans le pool. « Dans l'hypothèse d'une moindre valorisation du lait en fromages, les gestionnaires du pool peuvent décider de l'orienter vers d'autres unités qui payent mieux. Mais l'objectif de Noordlandmelk est bien qu'A-Ware devienne rapidement son premier acheteur », indique Ad Van Velde. L'ambition finale de Noordlandmelk est encore supérieure.
« PRÊTS À PRODUIRE DES LAITS POUR DES PRODUITS SPÉCIFIQUES»
« Cette fromagerie va fabriquer une large gamme de produits qui nécessiteront des laits de qualités différentes. Les adhérents de Noordlandmelk veulent livrer le lait qui servira à fabriquer des produits de marque, mieux valorisés. Leur lait sera donc un peu mieux payé que les autres laits traités par cette usine, assure Ad Van Velde. Nous pouvons envisager à l'avenir de livrer, par exemple, des laits produits sans antibiotique ou présentant moins de matière grasse avec, à chaque fois, des primes à la clé. »
Ad Van Velde reste discret quant aux débouchés de Noordlandmelk. « La coopérative a vendu son lait à plusieurs entreprises en 2014 », se contente-t-il de dire.
« DES INDUSTRIELS ENCORE EN QUÊTE DE LAIT, ICI »
Entre janvier et septembre 2014, ses adhérents ont touché, en moyenne, 403,08 €/1 000 l, soit à peine 5 € en dessous du meilleur prix payé par le privé Nemelco (408,54 €/1 000 l), très proche de la référence que constitue FrieslandCampina (403,90 €) et nettement devant DOC (383,40 €). Noordlanmelk n'accepte plus de nouveaux adhérents. Mais ses membres actuels pourront produire sans limitation de volume à partir d'avril 2015. Dans les deux à trois ans, leurs livraisons pourraient augmenter de 5 à 10 % si la conjoncture est favorable !
Dans la même zone industrielle où démarre la fromagerie d'A-Ware, il suffit de parcourir quelques centaines de mètres pour voir un autre chantier, un peu moins avancé celui-là. C'est le futur site de produits infantiles d'Ausnutria-Hyproca, une entreprise néerlandaise rachetée en 2011 par des capitaux chinois. La quasi-totalité de la production partira pour la Chine, mais la matière première sera néerlandaise. Pour Ad Van Velde, cet autre acteur « n'est pas un concurrent. C'est le signe que des industriels sont encore en quête de lait dans le nord des Pays-Bas. Pour les éleveurs, la situation ne peut pas être plus favorable. » CQFD.
KONRAD RICHTER
La fromagerie d'A-Ware Food Group, née de la collaboration d'un affineur-préemballeur néerlandais de pâtes pressées cuites et de la coopérative néo-zélandaise Fonterra, a commencé a réceptionné ses premiers litres de lait. Ses besoins sont estimés à 750 millions de litres, ce qui en ferait la troisième unité des Pays-Bas. © ROBERT KNOTH
Ad Van Velde, président de la coopérative Noordlandmelk : « Après la défaillance d'un de nos acheteurs, nous avons voulu nouer un partenariat solide qui garantisse la sécurité de notre débouché et l'un des plus hauts prix du lait aux Pays-Bas. » © K. RICHTER
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