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MUH : UN OGRE INSATIABLE

Source : MUH

La coop allemande, qui a taillé des croupières aux industriels français du lait UHT, investit aujourd'hui dans des tours de séchage. Reste à savoir si sa stratégie, fondée sur une course aux volumes et un prix du lait bas, est durable.

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IMPLANTÉE AU COeUR DU BASSIN LAITIER DE L'EUROPE DE L'OUEST et positionnée sur le marché très concurrentiel des produits UHT vendus sous MDD (marques de distributeur), la coopérative Milch Union Hocheifel (Muh) est considérée, en France, comme un géant qui tire le prix du lait de consommation à la baisse. La stratégie de croissance par les volumes (1,23 mdkg en 2010, soit 7,8 % de plus que l'année précédente) et la dynamique à l'export de la coopérative (près de 40 % de son résultat) irritent les industriels français auxquels la Muh taille des croupières depuis 2009.

En Allemagne où son image est plus mitigée, certains estiment que cette coopérative, implantée sur un marché en perte de vitesse, pourrait être absorbée un jour ou l'autre par plus grand qu'elle. Pour l'instant, elle s'apprête à investir 60 M€ dans la construction d'une tour de séchage et d'une beurrerie. Un investissement stratégique dont il est difficile de prédire la réussite ou l'échec tant il dépend de la tenue des marchés internationaux.

Spécialiste du lait UHT et des produits laitiers de longue conservation, la Muh ne possède qu'un seul et unique site de production, à Pronsfeld, au coeur du massif de l'Eifel, le prolongement des Ardennes françaises. Desservi par un bon réseau autoroutier, il est situé à proximité des frontières belge, luxembourgeoise et française. La performance de ce site industriel ultramoderne est unanimement reconnue. Construite en 1967 et agrandie à plusieurs reprises l'usine très automatisée est entièrement dédiée à la production de briques de lait, de crèmes et de boissons lactées de différents formats.

Dans son secteur d'activité, c'est l'usine la plus moderne d'Europe et la deuxième par la taille. Équipée de cinquante lignes de conditionnement et dotée des technologies dernier cri, l'entreprise fonctionne 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Les Tetra et Combiblock y testent leurs dernières innovations. Alors que les plus anciennes lignes d'embouteillage ont quinze ans et vont être renouvelées, la plus récente, actuellement à essai, sort 24 000 petites briques de crème UHT (25 cl) à l'heure. Le site fait l'objet chaque année d'investissements importants (près de 29 M€ en 2010, 33 M€ et 18 M€ les deux années précédentes). En témoigne la robotisation des trois entrepôts de stockage des palettes d'une capacité de 40 000 unités.

Impressionnant ! Le niveau de productivité de l'usine constitue un atout indispensable dans la stratégie de conquête des marchés. « Nous voulons être leader dans l'innovation technologique et dans la réduction des coûts », souligne Wolfgang Rommel, responsable du marketing et de la communication. Et la Muh ne compte par en rester là. Pour suivre l'augmentation de la production de ses adhérents alors que s'approche la fin des quotas, le groupe coopératif a annoncé sa volonté de poursuivre sa politique de croissance.

« Nous comptons travailler 1,8 mdl d'ici cinq à sept ans. » Malgré le développement du biogaz qui génère une concurrence sur le foncier disponible, la ressource lait est assurée, estime-t-on à la Muh.

PREMIÈRE TOUR DE SÉCHAGE PRÊTE POUR 2013

« Nous sommes implantés dans le bassin laitier du nord-ouest de l'Allemagne, le plus dynamique, poursuit Wolfgang Rommel. Même si nous n'avons repris aucun nouvel adhérent ces derniers temps, il y a toujours des producteurs en phase avec notre stratégie, qui sont prêts à livrer leur lait chez nous. Je pense à des producteurs du Niederrhein (Basse-Rhénanie, au nord de Cologne, à proximité de la frontière hollandaise), de la région d'Aixla- Chapelle, et de la Belgique. » 60 M€ vont être investis pour valoriser en poudre de lait et en beurre une partie de ces volumes supplémentaires. « Être spécialisé dans la production de lait et de produits laitiers UHT représente une force et une faiblesse. Après avoir assuré à nos producteurs l'un des meilleurs prix d'Allemagne pendant dix ans, nous souffrons depuis 2009 de l'évolution du segment du marché sur lequel nous sommes positionnés. Depuis la crise du lait, nous avons un problème sur le lait liquide, alors que le marché des fromages, tiré par la demande russe, est mieux placé », déclare-t-il.

À Pronsfeld où les travaux sont en cours (voir photo), la première tour de séchage devrait être opérationnelle en 2013. D'une capacité de transformation de 5 t de poudre à l'heure, elle doit permettre de valoriser 450 Ml de lait par an. L'objectif est de prospecter les marchés de la poudre de lait infantile en Asie, surtout en Chine et en Inde. Le financement du nouvel outil est assuré par un consortium de banques allemandes régionales qui croient à la stratégie de la Muh. « Aucune subvention ne nous sera versée pour cette construction, souligne Wolfgang Rommel. Nous pouvons investir 60 M, car la situation financière de notre entreprise est saine : nous avons suffisamment de capitaux propres. » Le choix d'investir autant d'argent dans ce projet est diversement apprécié par les producteurs dont le prix du lait se retrouve actuellement parmi les plus bas d'Allemagne. « Le prix du lait ne fait pas tout. La Muh est une entreprise qui investit pour l'avenir. C'est aussi un élément à prendre en compte. »

UNE POLITIQUE QUI NE CONVIENT PAS À TOUS LES ADHÉRENTS

Ce point de vue est partagé par Peter Meutes, l'un des 2 550 producteurs qui livrent à la Muh. « Je crois à la stratégie menée par les dirigeants de la Muh que j'ai contribué à faire élire », explique l'éleveur de Rommersheim (1,7 Ml avec 185 vaches sur 170 ha). Prendre quelques risques financiers en investissant dans l'avenir semble normal à ce père de deux garçons de 13 et 16 ans, qui pourraient le rejoindre sur l'exploitation. Lui-même s'apprête, d'ici deux à trois ans, à construire une nouvelle étable pour héberger 350 vaches supplémentaires.

« Le bon niveau de prix payé par la Muh jusqu'en 2009 m'a permis d'investir dans l'exploitation et de la hisser là où elle est aujourd'hui. Mon souhait pour les dix prochaines années est que le prix de la Muh se situe dans la moyenne de celui payé par les entreprises allemandes. »

« Au final, c'est aux producteurs, propriétaires de la coopérative, que revient la responsabilité de choisir telle ou telle stratégie, souligne Wolfgang Rommel. Lors de la dernière assemblée générale, ils ont dit oui au projet poudre et beurre à une largemajorité (plus de 75 % des voix). D'autres projets alternatifs leur avaient été présentés, telle que la construction d'une fromagerie. Mais il fallait investir deux fois plus de capitaux. Nous avons aussi discuté de l'opportunité d'une fusion avec d'autres laiteries, dont celle de la coopérative voisine Hochwald (Thalfang). Mais la poudre a été considérée comme la meilleure voie. Notre investissement constitue un risque, mais il nous place aussi dans une position favorable si un jour, une plus grosse entreprise s'intéressait à la Muh. »

Ces arguments n'ont pas convaincu tout le monde. 108 exploitations allemandes de la région de l'Eifel et du Bergisches Land, à l'est de Cologne, ont annoncé leur départ de la coopérative. Ils représentent 55 Ml. S'y rajoutent 15 Ml produits par des éleveurs belges qui ont entamé une démarche similaire. En Allemagne, les éleveurs se sont organisés collectivement pour trouver de nouveaux débouchés. « Hochwald, la coopérative voisine et concurrente de la Muh, a annoncé qu'elle était prête à reprendre notre lait, précisent Stefan Hagen et Rudi Schwamborn. Mais des contacts ont aussi été pris avec Friesland Campina, DMK (Deutsche MilchKontor) et BMG (Berliner Milch Gesellschaft, un groupement de vente de lait). Notre lait est un produit recherché par les entreprises qui veulent toutes saturer leurs outils. » Les trente premiers producteurs, représentant 17 Ml de lait, quitteront la Muh en janvier 2012.

AUSSI DU « LAIT ISSU DE FERMES FRANÇAISES »

Le prix payé par la Muh à ses producteurs a remonté entre janvier et octobre 2011 et se situe, sur cette période, à 32,63 c/kg (lait à 37/34, primes qualité et quantité comprises). Mais il reste inférieur à la moyenne des entreprises allemandes (33,51 c/kg). Ce fossé qui se creuse encouragera-t-il d'autres producteurs à proposer leur lait ailleurs ?

Quoi qu'il en soit, la filière française, beaucoup moins bien structurée qu'outre Rhin (cinquante-deux sites de production pour 3,6 milliards de litres de lait UHT), risque d'avoir à affronter la concurrence de la Muh encore un moment. En effet, la France constitue l'un de ses principaux marchés. Le lait de la Muh y est commercialisé par les discounters mais également par des « Leclerc » ou des « Intermarché ». Le lait collecté dans le cadre du partenariat avec l'ULM est traité à Pronsfeld et vendu en France sous l'étiquette « Lait issu de fermes françaises ».

37 % DE SON CHIFFRE D'AFFAIRES 2010 DANS QUARANTE-CINQ PAYS

Le chiffre d'affaires réalisé dans l'Hexagone par la Muh a atteint 56 M€ en 2010, soit 25 % de plus qu'en 2009. « Cette progression s'est poursuivie en 2011 sur la base d'une croissance à deux chiffres », précise-t-on à la Muh. Le développement des ventes à l'étranger (quarante-cinq pays) s'inscrit dans une stratégie globale, initiée pour compenser les pertes subies sur le marché allemand contrôlé par les discounters. Depuis 2009, la croissance de la Muh est tirée par l'export, comme c'est le cas pour de nombreuses entreprises outre-Rhin. La Muh, qui ne réalisait que 20 % de son chiffre d'affaires à l'export au début des années 2000, en était à 37 % en 2010. Interrogé sur les raisons qui incitent les distributeurs français à s'approvisionner auprès de la Muh, le porte-parole de la coopérative explique que « la Muh fournit, la plupart du temps, une qualité constante et élevée de produits et de services à un prix sensiblement plus compétitif. Lorsque notre prix est égal à celui de nos concurrents français, ce qui semble être le cas de plus en plus souvent, nos clients ont tendance à nous rester fidèles car la Muh s'est révélée être un partenaire fiable (notamment du point de vue du respect des horaires et des volumes de livraison) et compétitif en tant que producteur de lait MDD (savoir faire, flexibilité et réactivité). » Pour mieux satisfaire la demande de ses clients, la Muh développe des segments plus porteurs, tels que les laits UHT délactosés, micro filtrés pasteurisés (4 % du total des unités consommateurs vendues en 2010, contre 3 % en 2009) et biologiques.

ANNE BRÉHIER

Installation de production de la Muh.

© THOMAS OTT

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