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LACTALIS : UN PRAGMATISME AU SERVICE D'UNE AMBITION MONDIALE

© JEAN-CLAUDE GRELIER

Ange pour certains, grand méchant loup pour d'autres, le groupe mayennais n'en poursuit pas moins son expansion mondiale, avec une dernière prise de choix : l'italien Parmalat.

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FASCINATION ET ADMIRATION, INTERROGATIONS, MÉFIANCE : généralement, on oscille entre ces divers sentiments lorsque l'on songe à Lactalis.

Fascination et admiration si l'on considère avec quelle maestria le groupe familial mayennais a mené sa barque ces dernières années. Voyez plutôt. D'un plateau fromager typiquement français il y a encore vingt ans, l'industriel a évolué vers une large gamme de produits : assortiment international de fromages, lait de consommation, produits frais. Après l'Italien Galbani en 2006, les Espagnols Forlasa, Ebro Puleva et Sanutri en 2010, l'acquisition de Parmalat en juillet met en relief son envie de reculer toujours plus loin ses frontières. Le PDG Emmanuel Besnier continue d'appliquer la stratégie familiale d'absorption d'entités externes. Les acquisitions des années soixante-dix ont donné au groupe une dimension nationale, celles des années deux mille une stature internationale. « Soit nos acquisitions nous ouvrent de nouveaux pays, soit elles consolident nos parts sur les marchés où nous sommes déjà présents, résume Michel Nalet, le nouveau Monsieur Communication du groupe. Grâce à Galbani, nous détenons le leadership sur le marché italien des fromages. Parmalat, dont le chiffre d'affaires est composé à 61 % de lait de consommation, développe notre positionnement sur ce marché et nous ouvre les portes du Canada (35 % du chiffre d'affaires de Parmalat), de l'Afrique du Sud, de l'Australie et de l'Amérique du Sud avec, en particulier, le Venezuela. Jusqu'à présent dans ces pays, au mieux, nous avions une antenne commerciale.»

La filière française tire son chapeau. « On ne peut être qu'admiratif face au développement de Lactalis », salue Henri Brichart, président de la FNPL. « Qu'un groupe laitier français devienne numéro un mondial est un signe de dynamisme », félicite de son côté Dominique Chargé, président de la FNCL et de la coopérative Laïta (pour plus de détails, voir ci-dessous). Admiration confortée par la publication de ses résultats au moment de l'OPA de Parmalat. Jusqu'à présent, on ne connaissait que le chiffre d'affaires du Mayennais, le groupe préférant payer une amende plutôt que déposer ses comptes au tribunal de commerce. En 2010, son résultat net consolidé s'élève à 327,7 millions d'euros (M€) et a progressé de 8,8 % par rapport à 2009. L'Ebitda (équivalent de l'EBE), lui, s'élève à 994 M€ en 2010. Cela représente une rentabilité de 9,5 % (Ebitda/chiffre d'affaires) alors que le groupe sort d'une série d'acquisitions. Par comparaison, la rentabilité de Bel s'élève à 12,5 %, celle de Bongrain à 6,5 % mais sur un périmètre d'activités beaucoup moins grand.

DES SIGNAUX FLOUS ENVOYÉS AUX PRODUCTEURS FRANÇAIS

Interrogations. Derrière ce tableau flatteur, la montée en puissance de Lactalis suscite des interrogations. À commencer par son envie de continuer à s'impliquer en France. La part de son chiffre d'affaires réalisé dans l'Hexagone continue de se réduire. De 39 % avant la reprise de Parmalat, elle tombe à 26 %. « La France reste notre principal marché, oppose Michel Nalet. De plus, si en pourcentage il baisse, en valeur, il continue de progresser. » Le CA réalisé en France a augmenté de 6,8 % entre 2009 et 2010(1). Pourtant, les signaux envoyés à ses producteurs français ne reflètent pas de son désir d'aller de l'avant. Si le Mayennais projette des investissements en France, il n'en laisse rien paraître.

Interpellé sur ce sujet au congrès 2011 de la FNPL, Michel Nalet n'avait pas répondu. Sa réponse n'est pas plus éclairante aujourd'hui, même si elle se veut rassurante. « Nous ne souhaitons pas communiquer sur le sujet mais il n'est pas dans nos projets de nous désengager de nos sites industriels en terme d'investissements. »

Du côté de la production, c'est le statu quo. Il ne propose aujourd'hui aucune allocation provisoire de quota (voir p. X). L'an passé, il s'était fait tirer l'oreille pour une rallonge de 1,5 %. « Ce débat dépasse largement le cadre de Lactalis. Deux visions s'affrontent en France. Celle des grands groupes privés qui limitent leur approvisionnement en lait à leurs stricts besoins pour assurer leurs marchés des PGC à valeur ajoutée. S'ils envisagent de se développer, ce sont par des acquisitions en dehors du territoire national. Ils suivent une logique de rentabilité pour satisfaire leurs actionnaires ou valoriser le capital familial. Dans ce cadre, ils font très bien leur métier avec un véritable savoir-faire, analyse Dominique Chargé. Les coopératives ont une approche différente. Ancrées dans leur territoire, elles positionnent leurs visées internationales par rapport aux projets de leurs adhérents : le développement de leurs activités doit assurer celui de leurs sociétaires. Les coopératives veulent mettre leurs sociétaires en ordre de bataille pour l'après 2015. L'absence d'un projet partagé pour une filière française compétitive m'inquiète beaucoup. »

Peut-être l'implantation de Lactalis en Italie et en Espagne, deux pays en déficit structurel de lait produit à des coûts élevés, deviendra-t-elle une opportunité pour les producteurs français, en particulier ceux du Sud-Ouest, une région en déprise laitière ? Aujourd'hui, Lactalis exporte 400 millions de litres en Italie et 100 millions de litres en Espagne. Il reste discret sur d'éventuelles perspectives.

UN PRAGMATISME « JUSQU'AU-BOUTISTE »

Méfiance. « Nous aurions été plus inquiets si le groupe se développait en Europe du Nord, bassin laitier à la production laitière compétitive, indique Henri Brichart. Ses responsables sont des personnes pragmatiques qui ont conservé une culture laitière. Ils connaissent les producteurs. Ils savent aussi qu'ils ont besoin d'eux. » À tel point que tout est mis en oeuvre pour limiter leur pouvoir mais, attention, de façon habile : location de tanks, fichier des adhérents des groupements de producteurs géré par le personnel de Lactalis, volonté de négocier les contrats avec des organisations de producteurs non-commerciales, etc. À la moindre faille, son pragmatisme l'incite à s'y engouffrer et tourner le point faible de son interlocuteur à son avantage. « En 2006, à la refonte de l'interprofession régionale Nord-Picardie, nous avons négocié un complément de prix de 5,90 /1 000 l pour les 240 producteurs du groupement. Tous les ans, ils reviennent à la charge pour tenter de l'abaisser, confirme Joël Bray, président du groupement Cuincy (Nord). Nous refusons. Nous sommes propriétaires de nos tanks. Le groupement ne reçoit pas de subventions de l'usine. Nous avons les mains plus libres pour négocier. »

En Basse-Normandie, l'AOC Camembert de Normandie enfonce le clou. « Quand les responsables de Lactalis font une proposition, il faut y regarder à deux fois », affirme Patrick Mercier, président de l'ODG et producteur Lactalis. Il critique la nouvelle grille Lactalis de compléments de prix AOC qui couple respect du cahier des charges et résultats sanitaires. « Au deuxième mois consécutif de décrochage sanitaire, l'éleveur perd la prime “cahier des charges” de 15 /1 000 l. Lactalis ne donne pas de sens à l'appellation et encourage les comportements opportunistes. »

Il rappelle qu'en 2015, un quart des vaches laitières et des génisses de chaque exploitation devra être de race normande et la moitié en 2020. « Comment gérer l'appellation avec une telle grille. Lactalis préfère la facilité. Il appose la mention “fabriqué en Normandie” sur ses étiquettes de camembert sans travailler avec les exigences de l'AOC et dans l'illégalité la plus totale. La dernière dérogation à cette mention a pris fin en 2002. L'industriel attend d'être contraint pour la retirer. » L'ODG réfléchit à lancer une procédure juridique pour faire appliquer la réglementation. « Nous sommes présents dans dix-sept appellations fromagères françaises. Nous nous impliquons dans leurs instances. La réalité du terrain, c'est ça », se contente de répondre Michel Nalet. Il préfère ironiser sur « ces coopératives qui ne respectent pas le prix de base interprofessionnel du lait. On nous compare souvent à des grands méchants loups mais nous, nous respectons l'accord interprofessionnel du prix du lait du 18 août 2010 ». Une allusion aux coopératives Coralis et Glac qui ne sont pas dans les clous cet été. « Les coopératives ont un devoir fort sur le prix du lait car Lactalis ne paiera jamais plus que ses voisins », estime Henri Brichart. Le président de la FNPL voit d'un bon oeil le bras de fer qu'a engagé le Mayennais avec l'enseigne Leclerc sur le prix de vente de ses produits. « Face à la grande distribution, leur puissance est un atout pour la défense du prix. » « Le syndicalisme français est attaché à la défense du prix du lait, décrypte un économiste. L'industriel l'a bien compris et la joue “malin” dans le débat sur les prix et volumes différenciés. Il s'engage à payer tous les laits livrés au prix interprofessionnel A, mais en limitant les volumes. Au final, il y a fort à parier qu'il y gagnera. » Encore ce fameux pragmatisme à la sauce mayennaise.

CLAIRE HUE

(1) www.cobra.it, rubrique « documenti opa ».

Lactalis exporte 400 Ml de lait français vers l'Italie et 100 Ml vers l'Espagne, deux pays structurellement déficitaires en lait. L'acquisition de Parmalat cette année et de trois entreprises espagnoles l'an passé ouvrira-t-elle des perspectives aux producteurs français, en particulier du Sud-Ouest, région en déprise laitière ?

© WATIER VISUEL

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