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BAVIÈRE : LES PRODUCTEURS BIEN ARMÉS FACE AUX LAITERIES

« Le lait est un produit qui circule en Europe. Bayern MeG se verrait bien recevoir un mandat pour négocier le prix pour du lait produit en France », explique Markus Seemüller (à droite), directeur de Bayern MeG, aux côtés de Georg Bauer, président de Milchhof Miesbach (coopérative adhérente à Bayern MeG), et Sigmund Heiss, producteur de lait (au centre).© K. RICHTER

L'objectif de Bayern MeG est de vendre au meilleur prix les deux milliards de litres confiés par ses groupements adhérents. Le rapport de force avec les transformateurs s'est équilibré.

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MA LAITERIE INVITAIT LES ÉLEVEURS À SE RÉUNIR À 9 H. Elle leur offrait un bon repas. Le prix du lait figurait au programme de l'après-midi. Les choses traînaient jusque vers 16 h. C'est à ce moment-là que la laiterie annonçait unilatéralement un prix non négociable. Comme les éleveurs étaient pressés de rentrer pour traire, ils n'avaient d'autre choix que d'accepter ! » Ce type de journée à peine caricaturale, narrée par Sigmund Heiss, producteur de lait bio à Potzenberg, en Bavière, n'est plus d'actualité. « Aujourd'hui, les éleveurs se voient toujours à 9 h, mais pour préparer leurs arguments, définir un objectif et une stratégie. La réunion avec l'acheteur débute à 10 h. Elle peut durer trente minutes ou une demi-journée », poursuit Sigmund Heiss.

UNE ORGANISATION NÉE DANS LA FOULÉE DE LA GRÈVE DU LAIT

Ce nouveau mode de fonctionnement a été mis en place en 2006 à l'initiative du BBV. À l'époque, ce syndicat majoritaire en Bavière et l'une des fédérations régionales du DBV national font face à un contexte délicat. Ils sont chahutés par le BDM. Ce syndicat concurrent et spécialisé, qui déclenchera la grève du lait en 2008, recrute en masse en revendiquant haut et fort un « juste prix du lait ».

Pour faire contrepoids et stopper la fuite de ses adhérents, le BBV reprend la balle au vol en créant un groupe de travail. Sa mission : structurer la commercialisation du lait en prenant garde de ne pas se mêler aux débats sur la politique laitière à mener. Les bases de Bayern MeG sont jetées. Le BBV place à sa direction Markus Seemüller, un homme du sérail. Il raconte : « Il y a quarante ans, une unité du groupe Nestlé, qui payait déjà ses producteurs à un niveau inférieur à la moyenne, avait décidé d'augmenter les dividendes de ses actionnaires sans changer de politique vis-à-vis des éleveurs. Ces derniers ont créé un comité d'action et menacé d'arrêter leurs livraisons. Un compromis a finalement été trouvé. L'épisode a prouvé qu'en étant solidaires, les éleveurs pouvaient obtenir des résultats. Il a été à l'origine de la création des groupements de producteurs bavarois. Bayern MeG les a tout simplement regroupés pour encore davantage massifier l'offre. Cela ne s'est pas fait en un jour. Il a fallu convaincre, affronter le scepticisme des éleveurs et, au début, le boycott de certaines laiteries. Cette expérience a profité à nos collègues qui ont créé MeG-Nord en 2013. »

La Bavière produit annuellement 7,5 milliards de litres : 3,5 milliards sont transformés par des coopératives et 4 milliards par des privés. Les contrats individuels existent, mais sont exceptionnels.

Ici, la loi reconnaît l'existence d'un contrat entre le producteur adhérent à un groupement et sa laiterie, même si chaque livreur individuel n'a pas personnellement apposé sa signature au bas du document.

La majorité des éleveurs a donc délégué aux groupements la négociation des conditions de leur contrat venu à échéance et la fixation du prix du lait réglé par les nombreuses laiteries privées actives dans le sud de l'Allemagne. Trente-sept des quatre-vingt-dix groupements bavarois ont toujours l'habitude de négocier pour leurs propres adhérents en se référant à un prix moyen régional constaté et publié par l'institut statistique fédéral AMI.

UNE CONTRIBUTION DES GROUPEMENTS DE 4 €/100 000 L

Pour sa part, Bayern MeG a reçu mandat de cinquante-trois groupements bavarois et de sept autres des länder limitrophes du Bade-Wurtemberg et de Hesse. Le plus petit pèse 1 million de litres, le plus grand 225 millions. Ils fédèrent au total 10 000 éleveurs et 2,1 milliards de litres. Ces soixante groupements participent au fonctionnement de Bayern MeG moyennant une contribution de 4 €/100 000 l.

Pour vendre ces 2,1 milliards de litres, Bayern MeG revendique une « stratégie active de fixation du prix » et agit comme le ferait un courtier. « Le prix est la seule chose qui nous intéresse. La relation entre laiterie et livreur persiste. C'est toujours la laiterie qui collecte et paye le producteur en fonction du volume livré et du prix sur lequel nous nous sommes entendus. Bayern MeG ne se préoccupe pas de gestion des quotas. Ils n'existent déjà plus dans nos têtes depuis longtemps », précise Markus Seemüller. La structure, qui se limite à un directeur et une secrétaire, est financièrement complètement indépendante du syndicat BBV. Elle représente auprès de chaque laiterie tous les groupements qui lui ont donné mandat de discuter le prix du lait, parfois tous les six mois, mais plus fréquemment tous les trois mois. « Il n'est possible de faire jouer la concurrence entre transformateurs que si le prix est négocié à des dates rapprochées », témoigne Markus Seemüller. Il est l'homme clé du dispositif, celui qui participe à tous les échanges, qui les mène la plupart du temps et, si ce n'est pas le cas, assiste le négociateur désigné. Il se retrouve à ces réunions en compagnie de membres du conseil de surveillance de Bayern MeG, de représentants des groupements adhérents comme des groupements non adhérents ainsi que, depuis cinq ans, des délégués du BDM (à l'origine de la grève du lait !). À l'arrivée, le prix de base négocié avec une laiterie est le même pour tous ses livreurs. « Dans le cas contraire, les tensions seraient ingérables, lance Markus Seemüller. Et si une laiterie fixe unilatéralement son prix, nous l'annonçons dans la presse. Ce n'est pas bon pour son image de marque et cela lui met la pression. » La demande présentée à chaque laiterie prend en compte l'évolution des marchés intervenue pendant le trimestre précédent, et qu'elle soit positive ou négative, l'objectif reste ambitieux.

LE PREMIER À ATTEINDRE LES 400 €/T

« Nous voulons davantage que le prix moyen. Les laiteries connaissent leur valeur ajoutée. Elles ont signé des contrats avec la distribution. Elles savent ce qu'elles peuvent payer aux producteurs. En 2013, Bayern MeG a ainsi été le premier en Allemagne à atteindre le cap des 400 €/1 000 l, explique Markus Seemüller. Pour aboutir, il faut faire preuve de beaucoup de psychologie et disposer du maximum d'informations sur le marché. Ce que je peux apprendre auprès de chaque acteur de la filière est primordial. À la fin d'un round de négociations, je sais précisément où en est chacun. » Les adhérents de Bayern MeG peuvent parler prix entre eux, mais sans déborder. Hors de ce cercle, tout échange est considéré comme une entente illicite sur les prix.

Que pensent les transformateurs de ce fonctionnement ? « La laiterie Bauer a acheté 205 millions de litres à six groupements en 2013. Notre souhait de les voir se réunir pour ne plus avoir qu'un interlocuteur unique n'a pas abouti. Nous continuons à nous retrouver à une bonne vingtaine. Nous avons tous intérêt à nous entendre, confie Bernhard Mitter, responsable des achats. Notre prix est fonction du marché et de celui payé par les laiteries voisines. Il doit tenir la route. Dicter un prix est trop dangereux. Les contrats de trois ou cinq ans sécurisent notre approvisionnement. Mais les éleveurs ont leur moyen de pression. Ils peuvent donner leurs six ou douze mois de préavis. »

Le groupement de producteurs de Winzbach (130 milliards de litres, 800 éleveurs) était prêt à quitter BMI, son acheteur historique. Pour l'éviter, BMI lui a concédé en décembre 2013 un préavis de douze mois qu'il peut faire jouer n'importe quand, alors que BMI ne peut en faire autant qu'en prévision du terme du contrat de cinq ans. « Cela sera seulement envisagé si le prix payé est durablement inférieur de 20 €/1 000 l au prix moyen des dix autres entreprises de notre zone de collecte. C'est une sécurité supplémentaire pour les livreurs », lance Ottmann Rösch, président du groupement. Il arrive néanmoins que cette arme de dissuasion soit mise en oeuvre.

En 2013, 170 millions de litres de lait en quête de meilleures conditions d'achat ont changé de destination. « Changer de laiterie n'est pas un tabou, mais plutôt la première condition

pour avoir une concurrence saine sur le marché de l'accès à la matière première », conclut Jakob Hölzl, président de Bayern MeG.

Que se passera-t-il en 2015 ? « Rien !, répond Markus Seemüller. La fin des quotas ne changera rien au rôle des groupements, des laiteries et du... marché ! Qu'un groupement ait 35 ou 45 millions de litres de lait à vendre n'a aucune importance. Il peut les céder à qui bon lui semble. Inversement, si une laiterie ne veut plus d'un volume de lait donné, elle peut dénoncer la totalité du contrat d'apport. »

Le contexte particulier du sud de l'Allemagne et de sa trentaine de transformateurs facilite aussi cela.

Autant dire que l'on est loin d'une quelconque gestion des volumes. « Certains y ont pensé, concède Bernhard Mitter. Mais les bases légales n'existent pas et c'est beaucoup trop compliqué à mettre en oeuvre et à gérer. L'industriel doit prévoir les volumes qu'il peut transformer et décider s'il renouvelle ses contrats, ou pas. Donner un préavis est vraiment la dernière des solutions. Dénoncer un contrat est dommageable pour l'image de l'entreprise et les relations avec les producteurs. Bauer préfère garder le lait contractualisé et revendre l'excédent. L'accès à la matière première est le plus important. »

KONRAD RICHTER

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