LE PARLEMENT EUROPÉEN EN 5 QUESTIONS
Le traité de Lisbonne a donné plus de poids au Parlement européen dans un souci de démocratie et de transparence. Mais parce qu'elle est la seule habilitée à proposer des textes législatifs, la Commission conserve un pouvoir essentiel.
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A LA VEILLE DES ÉLECTIONS EUROPÉENNES, et alors que le Parlement est supposé disposer d'un plus grand pouvoir depuis le traité de Lisbonne (entré en vigueur au 1er décembre 2009), nous avons voulu savoir comment fonctionne vraiment l'Union européenne (UE). Les sites internet sont riches en information sur les institutions, les textes et les objectifs. Mais nous sommes allés voir sur place, à Bruxelles, comment travaille cette grande machine.
Nos interlocuteurs, d'horizons variés, ont tenu à garder l'anonymat. Car si tous ont intérêt à ce que les éleveurs, en tant que citoyens européens, comprennent ce qui s'y passe, tous veulent éviter une mise en avant de leur personne ou de leur organisation qui pourrait bousculer le bel édifice. Dans ce haut lieu de la politique, où l'Union européenne se construit pas à pas via des négociations, des débats, des votes..., chacun joue un rôle précis et tient à préserver ce fonctionnement.
Néanmoins, les analyses sont suffisamment concordantes pour dégager une vision cohérente de la manière dont se prennent les décisions.
1. Qui fait quoi à Bruxelles ?
Le Conseil européen
Il réunit régulièrement les chefs d'États et de gouvernements des vingt-huit États membres. Il donne les impulsions politiques et arbitre. Il nomme le président de la Commission européenne.
La Commission européenne
Elle se compose de 28 commissaires spécialisés nommés pour cinq ans. Le mandat en cours arrive à échéance en octobre 2014. La Commission élabore les propositions législatives, de sa propre initiative ou à la demande d'autres institutions de l'UE, de pays, voire de citoyens. Elle propose aussi des politiques et des programmes d'actions, et met en oeuvre les textes adoptés par le Conseil et le Parlement. La Commission représente l'Union européenne à l'international et possède une compétence exclusive pour négocier des accords commerciaux.
Le Conseil de l'Union européenne
Il rassemble les ministres des États membres et adopte, en codécision avec le Parlement, les propositions de la Commission. Dans certains domaines (politique étrangère...), il coordonne les politiques nationales. Il peut aussi demander à la Commission européenne d'étudier des sujets qui lui semblent pertinents.
Le Parlement européen
Il compte 751 députés élus au suffrage universel pour cinq ans. Il adopte, en codécision avec le Conseil, les textes proposés par la Commission.
Les autres institutions
Le Comité économique et social et le Comité des régions rendent des avis consultatifs. La Cour de justice et la Cour des comptes arbitrent et contrôlent.
Les lobbies
Activité très développée à Bruxelles, le lobbying a pour mission de représenter les intérêts d'acteurs spécifiques auprès des institutions européennes. Ils doivent s'inscrire officiellement et leur action est très codifiée. Si les lobbies d'Europe du Nord et même d'États non européens sont très actifs à Bruxelles, la France a réduit sa présence, notamment dans le secteur agricole. Un retrait que certains considèrent comme une erreur.
2. Quel est le pouvoir du Parlement ? En quoi le traité de Lisbonne l'a-t-il modifié ?
En théorie
Le Parlement adopte les propositions législatives de la Commission. Il peut les amender, voire demander à la Commission de retirer sa proposition. Sa position est transmise au Conseil. Il peut y avoir jusqu'à trois lectures du même texte devant le Parlement. Des délais de réponse sont fixés et la procédure peut être très longue (dix-huit à vingt-quatre mois).
Les députés peuvent aussi, à la majorité des membres de l'assemblée, inviter la Commission à faire une proposition dans un domaine où ils estiment qu'une législation est nécessaire. La Commission peut refuser, mais en motivant sa décision. Le Parlement peut présenter un rapport sur un sujet qui lui semble important. Ce rapport débouche sur des propositions de résolution qui peuvent être adoptées, ou non.
Le Parlement intervient dans la nomination des Commissaires européens. Les candidats sont proposés par les États membres. Ils sont ensuite invités à se présenter devant la ou les commissions parlementaires compétentes pour être évalués. Ces évaluations sont examinées par le président du Parlement et ceux des groupes politiques. À la suite d'un débat et d'un vote en séance plénière, la nouvelle Commission est approuvée, ou non.
De même, le président de la Commission est nommé par le Conseil et cette nomination doit être approuvée par le Parlement. Il existe actuellement un débat pour savoir si le président doit être issu du groupe politique arrivé en tête aux élections européennes, comme le suggère le traité de Lisbonne,
En réalité
Entre la durée de la procédure et le temps dont disposent les députés, le Parlement peut se prononcer sur une centaine de propositions de la Commission chaque année. Or, elle en produit environ 2 500 ! D'où l'existence d'une procédure de « délégation » (actes délégués et actes d'exécution), visant à avancer plus rapidement. Ce type de fonctionnement, qui existait avant le traité de Lisbonne sous le nom de comitologie, a été modifié. En clair, le Parlement et le Conseil délèguent des compétences d'exécution à la Commission.
Ainsi pour les actes délégués, la Commission peut proposer et adopter des actes sans la moindre consultation : le Parlement et le Conseil peuvent s'opposer au texte mais seulement à la majorité absolue de leurs membres et en respectant un certain délai. La liste des produits nocifs sur le plan de l'environnement par exemple, a été fixée de cette manière par la Commission.
Quant aux actes d'exécution, ils concernent l'application des textes législatifs. Les procédures varient selon les domaines. Le droit de regard du Parlement a été augmenté dans le temps. Mais la flexibilité dont jouit la Commission également. Sur l'étiquetage d'origine des viandes fraîches, par exemple, l'acte proposé par la Commission a été adopté malgré l'opposition d'une majorité de parlementaires.
En pratique, l'adoption des actes législatifs sous codécision du Parlement tend à concerner des textes de moins en moins précis afin d'obtenir un consensus. Ils auront vocation à définir un cadre général. La Commission se garde ainsi la possibilité d'intervenir dans un deuxième temps par des actes secondaires (dans l'esprit de l'acte de base) pour éviter que les interprétations nationales de mise en oeuvre ne divergent trop les unes des autres.
Ce système a certes le mérite de permettre d'avancer, mais au risque de s'écarter un peu plus d'une harmonisation stricte dans la mise en oeuvre des règles européennes. On le voit avec la Pac qui, à chaque réforme, perd un peu plus le « c » de politique commune ! Ceci pourrait conduire à un accroissement des distorsions de concurrence entre les États.
3. Comment travaille le Parlement ? Quelle est son organisation ?
Les commissions
Tous les parlementaires sont membres titulaires et suppléants d'une commission spécialisée. Lorsqu'il reçoit une proposition de la Commission européenne, le Parlement la renvoie à la commission concernée. Celle-ci nomme un rapporteur en charge de réaliser le projet de rapport et les éventuels amendements. La désignation du rapporteur fait l'objet d'un jeu politique, chacun voulant tendre à un subtil équilibre entre les postes occupés par les élus de différentes origines (géographique et politique). À l'intérieur des commissions, les différentes couleurs politiques s'expriment peu en tant que telles. Le projet doit être adopté par la commission avant d'être soumis au Parlement en séance plénière. Les clivages s'expriment plus nettement à ce stade.
Les groupes politiques
Les différentes tendances politiques constituent des groupes qui se réunissent, avant la session plénière, afin de définir les consignes de vote pour chacune des propositions à étudier. Aucun n'est capable de parvenir à une majorité de vote. D'où la nécessité d'alliances entre les groupes. Actuellement, le Parlement compte sept groupes politiques dont le PPE (droite), l'alliance socialiste, ou encore les Verts.
Les groupes nationaux
Ils se retrouvent par couleur politique pour discuter des textes proposés, avant la session plénière, afin d'établir une position commune.
4. Politique laitière : qu'est-ce qui est fermement décidé ? Sur quoi le Parlement peut-il encore revenir ?
Le Parlement européen a adopté la réforme de la Pac qui prévoit notamment la suppression des quotas laitiers en 2015. Cette décision ne sera plus remise en cause.
L'observatoire des marchés laitiers a été mis en ligne le 16 avril. Il répond uniquement à un objectif de transparence. Les informations concernent la production, les échanges, les stocks et les prix. Il s'agit d'un outil accessible à tous les citoyens et à tous les acteurs de la filière. À eux de s'en servir pour défendre leurs intérêts.
Ce site d'informations n'a pas vocation à devenir l'Agence européenne réclamée par certains pour gérer les volumes de production. Concernant l'opportunité de créer une telle agence, les députés peuvent demander un rapport à la Commission, mais cela suppose qu'ils obtiennent un vote favorable en séance plénière.
La Commission s'est engagée à présenter au Parlement et au Conseil un rapport sur la mise en oeuvre du paquet lait à la veille de la fin des quotas. Elle le fera en juin 2014. Les parlementaires pourront alors donner leur avis sur le rapport, mais aussi initier des débats sur des sujets laitiers qui les préoccupent. L'instauration d'un système d'assurance sur la marge, comme aux États-Unis, pourrait être mise sur la table. Rappelons que ce système est conditionné à un arrêt des aides directes qui, dans le schéma actuel européen, permettent de stabiliser les revenus. Là aussi, le Parlement peut lancer le débat ou présenter un rapport.
5. Quels sont les grands sujets sur lesquels le nouveau Parlement pourrait peser ?
La Pac
Les parlementaires peuvent demander une révision à mi-parcours. Il pourrait y avoir des pressions de la part des céréaliers, par exemple, dont le montant des aides directes diminue. Oubliés de la Pac 2014, les légumiers pourraient aussi pousser à une nouvelle discussion.
De plus, les débats sur la Pac 2020 vont débuter en 2016. Le nouveau Parlement pourrait être tenté d'anticiper les discussions pour les imprégner de sa marque. Car il sera remplacé en 2019 !
Les accords bilatéraux avec les États-Unis
La négociation est en cours. La Commission pourrait être amenée à proposer de nouveaux textes, pour modifier des normes par exemple, sur lesquels le Parlement et le Conseil se prononceront en codécision.
Les pouvoirs du Parlement sont donc réels, mais les procédures sont longues et incertaines. À moins d'un an de la fin des quotas, il ne faut pas se bercer d'illusions quant à un encadrement plus serré et plus sécurisé pour les éleveurs laitiers.
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