CONTRATS : LES ÉLEVEURS VEULENT NÉGOCIER
Les syndicalistes de tous bords restent farouchement opposés aux propositions de contrats des industriels. Pour pouvoir négocier, ils doivent rassembler.
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SI LES PRODUCTEURS AVAIENT ENCORE DES ILLUSIONS sur la façon dont les industriels privés les considèrent, elles se sont envolées », s'indigne un éleveur. Les propositions de contrat faites fin mars restent en travers de la gorge d'un certain nombre d'entre eux.
Des pénalités en cas de dépassement des volumes contractualisés après les quotas, des objectifs de production trimestriels, une fixation unilatérale du prix du lait en l'absence d'indicateurs interprofessionnels de tendance de marché, l'accord du transformateur pour transmettre le contrat, le paiement mensuel en trois fois, l'interdiction de manifester son désaccord, la référence matière grasse non stipulée, etc. Autant de clauses qui ne trouvent pas leur assentiment.
LES INDUSTRIELS ONT DÉLIBÉRÉMENT PLACÉ LA BARRE TRÈS HAUT
Pourtant, face au discours gagnant-gagnant de la Fnil affiché au lancement du Guide de bonnes pratiques contractuelles interprofessionnelles début mars, on aurait pu s'attendre à une position plus douce des grands groupes laitiers, Lactalis et Bel en tête. Ils donnent l'impression d'avoir délibérément mis la barre haut, dans l'espoir d'obtenir en bout de course un contrat conforme à leurs souhaits.
En voulant jouer la carte du consensus interprofessionnel, la FNPL ne s'est-elle pas laissé berner ? C'est le sentiment qu'expriment des responsables FNPL dans les régions. « En l'absence d'un contrat-type de base négocié entre les producteurs et les transformateurs au niveau interprofessionnel, nous aurions aimé que la FNPL rédige de son côté une proposition nous aidant à entamer les discussions avec nos entreprises », reprochent Emmanuel Lepequet, président du groupement Novandie (Pas-de-Calais), et Thierry Maillard, l'un des responsables de l'ADPL-Pasde- Calais. « Si rien n'est fait au niveau national, la FRPL Nord- Picardie réfléchit à en rédiger un. Nous voulons que les relations producteurs-transformateurs de la région reposent sur des bases identiques. »
« Le Guide de bonnes pratiques est une avancée par rapport au décret lait, répond Henri Brichart, président de la FNPL et du Cniel. L'écriture d'un contrat-type avec les transformateurs était difficile compte tenu des particularités régionales etdes entreprises. » Et de rappeler qu'un certain nombre d'accords interprofessionnels régissent déjà les relations producteurs- transformateurs (qualité sanitaire, composition du lait, inhibiteurs, etc.). À une contreproposition générale, il préfère une formule adaptée à chaque entreprise après expertise. Les groupements de producteurs Danone, qui se sont réunis mi-avril à la FNPL, suivent cette démarche.
« Nous souhaitons un contrat-cadre Danone France, indique Gilles Durlin, président du groupement Danone- Bailleul (Nord-Pas-de-Calais). Chaque région négociera ensuite ses particularités dans les annexes du contrat. Nos systèmes fourragers et nos tailles d'exploitation diffèrent. Certaines se trouvent dans des zones en déprise laitière, d'autres dans des bassins plus dynamiques. » Son groupement veut défendre un pilotage collectif des volumes. « Ce qui est important pour Danone, c'est le lait rendu au quai de l'usine. Il n'y a pas à sanctionner individuellement les producteurs », poursuit-il. Pas question pour Bailleul d'être un groupement potiche. Il se pose comme un véritable interlocuteur de l'industriel. Il s'y prépare depuis un an et demi. Une association loi 1901 a officialisé son existence en décembre 2009. Une assemblée générale extraordinaire en janvier a modifié ses statuts pour lui confier la négociation et la facturation. 60 % des 780 producteurs Danone lui avaient déjà renvoyé, fin avril, leur mandat pour ces deux missions. « Une opération à haut risque, confie Gilles Durlin. Un faible taux de réponse aurait décrédibilisé le groupement. Nous donnerons le mandat de facturation à Danone quand nous aurons la certitude d'avoir négocié un contrat équitable. »
DES CONTREPROPOSITIONS SONT EN COURS
À l'inverse, la toute nouvelle association bretonne des livreurs Lactalis doit aller chercher les adhésions une par une.
Ses fondateurs se lancent dans un fastidieux travail de terrain pour convaincre. « Nous nous rapprochons aussi des autres associations de livreurs de l'Ouest, précise l'un d'entre eux, Frank Guéhennec. L'idée est d'abord de regrouper les forces, d'aboutirà un consensus des éleveurs autour d'un contrat modifié, puis de négocier avec l'entreprise. » La moitié des présidents de groupement Lactalis se sont retrouvés également mi-avril à la FNPL. « Le délai de six mois pour la signature du contrat ne nous fait pas peur, affirme l'un d'entre eux. S'il est dépassé, les producteurs resteront dans le cadre de leur relation contractuelle actuelle. » Avec l'aide de la FNPL, une contre-proposition de contrat unique pour l'ensemble des producteurs Lactalis français sera présentée courant juin aux adhérents. Elle intégrera notamment un paiement mensuel en deux fois et non trois, le retrait des dispositions antisyndicales, la création d'un fonds pour recevoir les pénalités en cas de dépassement des volumes contractualisés après les quotas. « Les négociations avec Lactalis débuteront véritablement en septembre », pronostique-t-il.
De son côté, Lactalis attend et affiche son ouverture. « Nous avons déjà discuté avec les groupements et nous sommes prêts à continuer. Mais pour le moment, nous n'avons pas vu de contreproposition », souligne Michel Nalet, porte-parole du groupe. « Nous entamons le premier round des négociations. Si nous sentons que les entreprises ne veulent pas de ces contre-propositions, nous durcirons le ton », prévient Henri Brichart.
Les syndicats minoritaires refusent eux aussi les propositions de contrats actuelles. Dans le grand Ouest, la Confédération paysanne se rapproche de l'Apli sur ce sujet. « La FNPL s'obstine à refuser toute ouverture vis-à-vis de notre syndicat et nous rejoignons l'Apli sur certaines positions. Notamment sur l'idée de rechercher un engagement européen fort autour de la gestion des volumes », explique Pierre Messager dans les Pays de la Loire. Il souhaite également que Bruno Le Maire ne se contente pas de dénoncer certaines clauses des contrats. « Il doit s'impliquer dans leur renégociation et veiller à ce que les contrats soient équilibrés. »
DIFFICILE DE SAVOIR COMBIEN D'ÉLEVEURS ONT DÉJÀ SIGNÉ
Tout l'enjeu est bien là aujourd'hui : le rapport de force reste à l'avantage des laiteries. La crainte de ne plus être collecté aurait déjà poussé plus d'un millier de livreurs Lactalis à renvoyer leur contrat signé. Si certains industriels (Bongrain, Danone) prévoient la substitution d'un éventuel contrat négocié par une organisation de producteurs à la formulation envoyée fin mars, ce n'est pas le cas partout (Lactalis, Bel). Dans ces entreprises, les éleveurs qui signent aujourd'hui ne profiteront donc pas des éventuelles négociations à venir.
CLAIRE HUE ET PASCALE LE CANN
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