MARCHÉ MONDIAL : UNE OPPORTUNITÉ POUR L'EUROPE
L'augmentation de la demande mondiale est une tendance lourde dont pourrait profiter la production européenne. Effrayée par la volatilité inhérente à ce marché, la France tarde à s'y intéresser.
Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.
NOUS SOMMES INCONTESTABLEMENT ENTRÉS dans un nouveau cycle de hausse des prix des produits laitiers. Comme en 2008 ? Peut-être plus fort encore. Déjà les cours mondiaux du beurre ont crevé leur record de décembre 2007. « Est-ce durable ? Vais-je en profiter ? Que se passera-t-il ensuite ? » Voilà toutes les questions qui gâchent la joie des éleveurs français dans cette conjoncture pourtant très favorable. Car 2009 et son prix du lait catastrophique sont passés par là, et les dégâts sont encore visibles.
Conséquence d'une dérégulation européenne entérinée par les pouvoirs politiques en 2004, la volatilité des marchés est désormais une réalité pour les producteurs de lait. Elle amènera inexorablement son cycle de crise que l'on sait toujours plus long que l'embellie.
Alors, défaitisme, absence de perspective ? Et si producteur de lait était un métier d'avenir, bien plus que d'autres professions dans ce pays ? J'entends les ricanements, compréhensibles, de ceux qui se souviennent des mêmes prévisions optimistes de 2007 par des économistes incapables de prévoir la chute du marché qui a suivi. Soyons clairs : personne aujourd'hui n'oserait garantir un prix du lait pour 2012 plus élevé qu'en 2011. Quoi qu'il en soit, la filière laitière reste exposée à une forte volatilité des prix. Mais de façon tout aussi indiscutable, des indicateurs laissent augurer des perspectives favorables pour la production européenne.
UN FORMIDABLE DÉBOUCHÉ
Premier élément : l'Europe est l'un des poids lourds de la production mondiale (31 %), juste derrière l'Asie (36 %), loin devant les États-Unis (13 %) et l'Océanie (4 % seulement) qui fait figure de nain.
Deuxième élément : cette production mondiale progresse de façon continue, mais moins vite aujourd'hui qu'il y a quelques années et, en tout cas, moins vite que ne le fait la population mondiale. Tiens donc, y aurait-il un risque de pénurie à terme ? Cette croissance de la production mondiale s'opère essentiellement en Asie et en Amérique du Sud : 7 % par an en Chine, 4 % au Brésil et en Inde depuis 2005. Des pays qui produisent toujours davantage pour répondre à la demande croissante de leurs consommateurs, et non pas pour vendre sur le marché mondial. L'Asie consomme moins de 100 kg de produits laitiers par an (la moyenne mondiale est à 104 kg/habitant), les Européens sont à 290 kg (record mondial). Certes, les Chinois ne mangeront pas demain autant de camembert que les Français, mais la mutation de leur régime alimentaire est en marche avec, au menu, moins de céréales mais davantage de protéines animales, dont le lait, les crèmes glacées, les yaourts, etc. Le potentiel de consommation est énorme. La même tendance s'observe en Inde, au Pakistan et au Brésil. Et malgré leurs efforts à produire davantage de lait, la plupart de ces pays voient leur déficit se creuser, la consommation de produits lactés progresse plus vite que la production.
Pour le continent asiatique, ce déficit était de 9 millions de tonnes en 1980, il est de 20 millions de tonnes en 2010 (voir infographie). La hausse des importations de produits laitiers d'Asie est passée de 2,9 % par an au début des années 2000 à 4,5 % depuis cinq ans.
C'est donc un formidable débouché pour les pays exportateurs. Et ils sont peu nombreux : six au total (voir liste ci-contre). Parmi ces fournisseurs, deux d'entre eux assurent plus de la moitié des livraisons avec, en tête, la Nouvelle-Zélande (33 %). Or, ce premier pourvoyeur des marchés asiatiques s'essouffle (voir infographie).
La belle croissance de la production océanienne, de 2,5 % par an depuis vingt années, se tasse à + 0,8 % depuis 2005.
« L'Océanie ne pourra pas subvenir aux besoins croissants des Asiatiques dans les prochaines années », affirment les économistes. Cette tendance est lourde, il y a peu de chances qu'ils se trompent sur ce point.
Qui fournira ce lait ? L'Europe ? Les États-Unis ? La production laitière est en progression aux États-Unis (2 % par an depuis 2005). Celle de l'Union européenne, encore sous le régime des quotas, est plus timide : 0,7 % par an depuis 2007.
Vues de France, ces occasions sur le marché mondial n'ont rien d'un Eldorado. C'est plutôt un sentiment de méfiance qui prévaut dans la filière. Pour une grande majorité des producteurs, il n'y a pas d'autre issue qu'un marché régulé sur la demande européenne, la seule capable d'assurer un prix du lait rémunérateur. « Le reste est trop volatil, ce n'est pas notre problème. » Une stratégie que semblent partager nos transformateurs nationaux, bien assis sur leur marché européen des PGC et qui affirment « ne pas être là pour faire des coups sur le marché mondial ». Ils s'y sont brûlé les doigts en 2008, quand la collecte française a explosé à contretemps, alors que les cours mondiaux s'effondraient. Un discours qui cache aussi une préférence à l'internationalisation plutôt qu'au développement de leurs outils sur le territoire national.
« NOUS N'AVONS PAS LES OUTILS INDUSTRIELS »
Petite comparaison avec l'Allemagne : les industriels d'outre- Rhin transforment l'équivalent de 5 % de leur collecte nationale hors de leurs frontières. Pour les industriels français, c'est environ un tiers de la collecte.
Les coopératives, surtout dans l'Ouest, auraient plus de velléité à s'engager sur ce marché mondialisé des produits laitiers et à en faire profiter leurs adhérents. Mais ont-elles des outils industriels à la hauteur de leurs ambitions ? La réponse est non. Souvenons-nous du rapport Trédé de 2004, commandé par le ministère de l'Agriculture pour analyser les conséquences de la réforme de la Pac sur la filière laitière française. Il était censé donner les grandes orientations à suivre. La première d'entre elles a été de s'éloigner le plus possible des produits industriels pour se recentrer sur nos marques PGC. Notre filière aurait bien pris ce chemin. Malheureusement, les perspectives de croissance actuelle ne concernent pas notre « plateau de fromages ». Nous sommes donc très loin des stratégies qui se dessinent en Europe du Nord où les libéraux qui ont démantelé la Pac se réjouissent aujourd'hui de cette explosion de la demande mondiale.
LE POTENTIEL DE PRODUCTION EST DANS L'OUEST
N'avaient-ils pas raison en 2004 d'affirmer que nous exporterions du beurre sans restitution ? Ce recroquevillement prudent de la filière française ne nous conduit-il pas sur une voie de garage après 2015 d'où nous regarderons passer les trains ? Voilà quelques questions qui méritent d'être posées et un nouveau rapport sur l'avenir de la filière française ne serait pas de trop. « Qui, en Europe aujourd'hui, peut produire pour satisfaire la demande mondiale : les Danois, les Allemands et les Néerlandais sont au taquet, au moins jusqu'en 2015, car bloqués dans leurs quotas. Le potentiel ? Il est dans l'ouest de la France, avec des éleveurs qui savent produire du lait avec des fourrages, donc de façon plus économe qu'ailleurs en Europe. Mais personne ne leur présente cette perspective », nous confiait un économiste de la filière.
DOMINIQUE GRÉMY
Pour accéder à l'ensembles nos offres :