ABANDON DE COLLECTE : CES PRODUCTEURS QUE L'ON BOUDE
Sur tout le territoire, des producteurs se retrouvent sans acheteurs. Commence alors une quête pénible où l'on vous fait comprendre que votre lait n'est pas indispensable.
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CONTRATS NON RENOUVELÉS, FAILLITES, plusieurs centaines d'éleveurs ont appris récemment que leur lait ne sera plus transformé. Les plans de reprise qui s'engagent ensuite avec les transformateurs présents dans la région sont souvent longs et difficiles et les entreprises privées ne sont pas les dernières à bouder les volumes qui leur sont proposés.
Ex-URCVL. Rhône-Alpes et Haute-Loire 290 Ml, 1 600 exploitations
Comment en est-on arrivé là ? « Aucun éleveur ne sera laissé au bord de la route » : la promesse faite il y a un an et demi en Rhône-Alpes et Haute-Loire, à la suite du démantèlement de l'URCVL (290 millions de litres de lait collectés, dont 75 % en zone montagneuse), a été tenue. La dissolution de l'union des seize coopératives de vente de lait se réalise sans arrêt de collecte. Mais les grands groupes nationaux privés se sont fait priés pour participer au plan de reprise. Avec une proportion accrue de lait non contractualisé, l'URCVL ne pouvait pas éternellement répercuter les pertes subies à ses producteurs. Fin 2008, 100 Ml de lait, soit un tiers du volume collecté auprès de 1 600 producteurs, étaient bradés sur les marchés Spot. Mal en point financièrement depuis 2005, malmenée par la dérégulation des marchés laitiers, l'URCVL a jeté l'éponge en juillet 2009. Après l'échec de sa stratégie de diversification industrielle, elle a acté son démantèlement.
Comment a-t-on géré le problème ? Un plan de reprise des producteurs par les opérateurs régionaux a été élaboré début 2010, sous l'égide de l'interprofession régionale. La répartition a été faite sur la base des contrats historiques. Il a aussi été fait appel à la solidarité des producteurs : pour alléger les volumes à répartir, 27 Ml de lait, libérés en 2009- 2010 dans le cadre des cessations laitières (Acal), ont été gelés. Plus long à finaliser que prévu, le plan de reprise n'a été bouclé que fin décembre.
Bien que les grands groupes privés, Lactalis en particulier, se soient fait tirer l'oreille, des solutions ont finalement été trouvées pour assurer la pérennité de l'ensemble de la collecte. « À partir du 1er janvier 2011, nous serons tous producteurs Danone, se félicite ainsi Didier Blanchon, président de l'ancienne coopérative de base de l'URCVL, Rhône Monts Loire. Nous sommes contents d'avoir tenu pour que l'ensemble des 87 exploitations adhérentes soient reprises. Initialement, en effet, Danone ne souhaitait reprendre que 10 millions des 16 millions de litres que nous collections déjà pour elle. Même si nous avons dû faire une croix sur certaines primes pendant trois ans, intégrer un grand groupe est aujourd'hui rassurant. »
Une sérénité que n'ont pas les éleveurs ex-URCVL repris par des PME positionnées sur des marchés plus difficiles. C'est le cas, par exemple, des producteurs de l'Ain dont le lait est collecté par l'emmentaliste Dominici, ou ceux de la zone Forez Fourme, dans la Loire (voir témoignage). En Haute- Loire, sur le plateau de Saugues, un accord récent entre 3A et Sodiaal a mis un terme à des mois d'incertitude pour 104 producteurs. Les 13,5 Ml sous contrat 3A jusqu'au 31 décembre 2010 seront finalement repris par Sodiaal à partir du 1er avril prochain. Dans cette région aux exploitations diversifiées et aux petits quotas, un programme d'échanges quotasprimes vaches allaitantes sera mis en oeuvre pour encourager les petits producteurs à se reconvertir.
Pour aider à finaliser l'accord 3A-Sodiaal, un nouveau programme de gel des cessations portant cette fois sur 7,5 Ml a été entériné en Haute-Loire et dans le Massif central. À l'issue du démantèlement de l'URCVL, Sodiaal renforce son poids dans la région Sud-Est
GIE Sud lait. Sud-Ouest 62 Ml, 240 exploitations
Comment en est-on arrivé là ? Le GIE Sud Lait a été fondé par des producteurs en 1994 pour approvisionner l'industriel espagnol Leche Pascual, installé à Montauban (Tarnet- Garonne). Ayant perdu des marchés, il annonce en 2009 qu'il rompt ce contrat avec le GIE. À partir d'avril 2010, les 240 producteurs et leurs 62 Ml de lait répartis sur cinq départements n'avaient plus d'autres débouchés que le lait Spot.
Dans la région, cinq grands collecteurs sont présents, et pas des moindres : les privés Lactalis, Danone et Bongrain et les coopératives Sodiaal et 3A. Pas un n'a pris l'initiative de reprendre ces producteurs à la dérive. Certes, la conjoncture n'est pas favorable : impossible de valoriser ces litrages supplémentaires au prix interprofessionnel. On parle alors d'une perte de plus de 100 €/t pour qui collecterait ce lait. Paradoxalement, le Sud-Ouest est en sous-réalisation chronique de 20 % par rapport à son quota. Au-delà de cette réalité économique, certains soupçonnent un esprit revanchard. Au début des années quatre-vingt-dix, ces adhérents du GIE avaient quitté leurs collecteurs régionaux, dont Lactalis, pour tenter fortune chez les Espagnols qui arrivaient avec des offres de prix attractives. Dans le Sud- Ouest, on se souvient aussi de l'automne 2007 et de la flambée des prix beurre-poudre. Plusieurs industriels avaient dû ajouter 30 €/1 000 l à leurs paies pour contrer la surenchère espagnole. Alors, pourquoi se précipiter aujourd'hui pour sauver ces « francs-tireurs » ?
Comment a-t-on géré le problème ? Il a fallu la présence d'un médiateur, nommé par le ministre de l'Agriculture, pour débloquer la situation. Pendant les trois ou quatre mois de négociations, les adhérents du GIE ont été payés 100 €/t en dessous de leurs collègues : punition ou dure réalité économique ? Le dossier a fini par être réglé au niveau de l'interprofession régionale. Le 30 septembre, il est annoncé comme bouclé, mais non sans grincements de dents. Sodiaal et 3A ont rapidement annoncé qu'elles participeraient au prorata de leur poids régional pour, au final, s'engager chacune sur environ 15 Ml de lait. Les groupes privés ont fait la sourde oreille : Bongrain et surtout Lactalis sont restés inflexibles. Seul Danone a repris l'équivalent de 7,5 Ml et l'étonnante Fromagerie Broc du Lot-et-Garonne qui, avec 6 Ml de lait supplémentaires, aura quasiment doublé sa collecte. Il faut citer aussi ces 28 éleveurs (9 Ml) qui ont préféré se prendre en main pour vendre leur lait en direct. Mais 40 producteurs ont arrêté la production laitière. Certains de leur plein gré, d'autres contraints car trop petits, trop âgés ou trop loin.
Les laiteries qui ont participé à ce règlement ont signifié les limites de leur altruisme. Reprendre ce lait devait au minimum servir à densifier les zones de collecte à proximité des outils de transformation avec des exploitations jugées suffisamment dynamiques. Pas question de plomber des coûts de collecte déjà trop élevés dans la région. Face à la conjoncture incertaine, 3A a imposé à ses nouveaux arrivants un prix du lait inférieur à la grille jusqu'en janvier 2011.
Quant à la laiterie Broc, qui certes a fait un gros effort, elle a démontré noir sur blanc que ses débouchés ne lui permettent pas de payer ses nouveaux litrages au tarif interprofessionnel. C'était ça ou rien ! D'autres difficultés s'annoncent déjà dans le Sud-Ouest. Leche Pascual abandonnera 48 de ses producteurs en septembre prochain. Des rumeurs courent sur d'autres groupements ou coopératives qui ne seraient pas en très grande forme. Une chose paraît certaine : l'eldorado espagnol s'est évanoui pour le Sud-Ouest. Avec l'affaire du GIE, les producteurs de lait ont pu toucher du doigt la fragilité de leur position dans cette filière régionale.
Ex-Benedetto. Normandie 7 Ml, 25 exploitations
Comment en est-on arrivé là ? Il faut remonter à quatre ans. Les GIE et coopératives de collecte assistent, impuissants, au non-renouvellement de leurs contrats avec les laiteries. Parmi eux, la Coopérative agricole laitière interdépartementale et le GIE Lieuvin-Pays d'Auge. En 2006, à la liquidation judiciaire de la fromagerie Di Benedetto, implantée à Sacquenville (Eure), les 50 producteurs pour 15 Ml n'ont pas d'autre choix que de reprendre son activité, qui constitue leur principal débouché. Ils créent la Société nouvelle Benedetto, conservent les 41 salariés et poursuivent la fabrication de mozzarella et de spécialités italiennes.
« Nous n'avons jamais réussi à dégager un résultat positif », confie Jacques Enos, président de la SAS depuis septembre. La concurrence des gros faiseurs de mozzarella, des ajustements structurels insuffisants et l'effondrement des prix des fromages ingrédients en 2009 ont mis l'entreprise à genoux. L'obligation de mettre l'outil industriel aux normes a été le coup de grâce. « Les 25 producteurs restants auraient dû financer 1,8 million d'euros pour le plan social de 20 salariés, la mise aux normes et l'achat des murs de la fromagerie. Nous avons décidé de jeter l'éponge. » La société a déposé le bilan le 9 novembre avec 2 M€ de passif. Les producteurs vont probablement perdre 600 000 € de parts sociales et quatre mois de lait impayés sur quatre ans.
Comment a-t-on géré le problème ? Le 1er janvier, les 25 producteurs deviendront adhérents du groupe coopératif bas-normand Agrial qui collecte 500 Ml pour CLE-Bongrain. « C'est un soulagement. » Ils conforteront la zone de ramassage de la coopérative Elle-et-Vire, dont la fusion-absorption avec Agrial est programmée pour 2011.
En novembre et décembre, ils ont été collectés par la fromagerie Graindorge (Calvados) et payés au prix beurre-poudre. « En fin d'année, les industriels ont moins besoin de lait. Nous n'avions pas de débouchés pour ces deux mois », explique Agrial qui ne possède pas d'outils de transformation. Reste à trouver une solution pour les cautions qu'ont apportées les cinq administrateurs-éleveurs de la SAS, en contrepartie des emprunts qu'elle a contractés. La Normandie devra également résoudre dans les dix-huit prochains mois l'avenir de la collecte de la coopérative haut-normande CLHN (220 Ml). Ses contrats arrivent à échéance le 31 décembre 2012, dont 85 Ml avec Danone. Ce dernier étudie trois scénarios de renouvellement de contrat, variant entre 40 et 85 Ml, selon le prix du lait proposé. « Ce lait approvisionne essentiellement notre usine du Nord. Nous devons tenir compte de notre coût d'acheminement », avance l'industriel.
Coop de la Basse-Vingeanne. Côte-d'Or et Jura, 8,5 Ml, 29 exploitations
Comment en est-on arrivé là ? La coopérative de vente de lait de la Basse Vingeanne travaille depuis une vingtaine d'années avec le groupe Danone. Elle est, avec la coopérative de vente de lait de Beaune (Côte-d'Or), dans la zone de collecte la plus éloignée de son usine de Saint-Just- Chaleyssin (Isère). Fin 2006- début 2007 déjà, Danone lui fait comprendre que le groupe collecte bien plus de lait que ses besoins et qu'il pourrait ne pas renouveler son contrat. C'était juste avant la fin 2007- début 2008 où les laiteries ont réalisé qu'elles pouvaient manquer de lait. Danone enterre alors son projet de rationalisation et réorganisation de sa collecte. Changement de stratégie un an plus tard. Le groupe remet son ouvrage sur le métier. Il dénonce, avec les dix-huit mois de préavis requis, le contrat qui le lie à la coopérative de la Basse Vingeanne. Les 8,5 Ml et les 29 exploitations concernées seront le bec dans l'eau au 1er avril 2011
Comment a-t-on géré le problème ? Des contacts sont noués avec les rares laiteries privées qui subsistent en Côte-d'Or. En vain. Les besoins de ces PME sont inférieurs à la collecte de la Basse Vingeanne ou déphasés par rapport à l'offre. Une solution s'ébauche avec l'appui de Danone qui, de son côté, a demandé celui du représentant de la Fédération nationale des industriels laitiers dans le grand Est. Elle est aujourd'hui concrète. La moitié de la collecte et des producteurs ira chez Milleret, PME haute-saônoise (80 Ml), spécialisée dans la fabrication de fromages à pâte molle. L'autre moitié rejoindra la laiterie Mullin (groupe Le Centurion, 45 Ml), dans le Doubs, fabricant de pâtes pressées cuites. Point commun de ces deux entreprises : une volonté de sécuriser leur approvisionnement dans une zone où certains de leurs producteurs pourraient, à l'avenir, choisir des grandes cultures. Pour autant, elles n'étaient pas prêtes à continuer de collaborer avec une coopérative de vente de lait (qui sera dissoute), mais avec des producteurs individuellement (des contrats leur ont été proposés). Autre partenaire de longue date en Côte-d'Or du groupe Danone, les 60 producteurs de la coopérative laitière de Beaune et leurs 20 Ml risquent-ils de vivre le même scénario que ceux de la Basse Vingeanne ? « La question ne se pose pas pour l'instant. Notre contrat de cinq ans n'arrivera à terme qu'en décembre 2012 », explique son président. Pour autant, il serait étonnant qu'à l'instar de la CLHN, son renouvellement ne soit pas aussi l'occasion pour Danone de limiter la facture.
ANNE BRÉHIER, DOMINIQUE GRÉMY, CLAIRE HUE ET JEAN-MICHEL VOCORET
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