DÉBOUCHÉS : DEUX STRATÉGIES POUR DEUX COOP DE L'OUEST
Maîtres Laitiers du Cotentin ont choisi les produits frais à forte valeur ajoutée, Eurial la mozzarella, moins rémunératrice. Deux stratégies, de la production à la mise en marché.
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COMMENT TIRER SON ÉPINGLE DU JEU sur un marché européen et mondial concurrentiel, alors que l'entreprise n'a pas les moyens de rivaliser avec les géants mondiaux ? C'est le pari que doivent relever les coopératives laitières de l'Ouest alors qu'un certain nombre de leurs adhérents se disent prêts à produire plus après 2015. Doivent-elles occuper des marchés de niche ou se jeter dans la bataille des commodities (produits basiques), moins rémunérateurs ? Deux coopératives, Maîtres Laitiers du Cotentin (Manche) et le groupe Eurial (Pays de la Loire-Poitou) ont tranché.
MAÎTRES LAITIERS DU COTENTIN : 25 ANS DANS LES PRODUITS FRAIS
Les Maîtres Laitiers du Cotentin font partie des petits poucets français des produits frais. Jugeant le marché des produits industriels trop soumis aux aides européennes, la coopérative a investi il y a vingt-cinq ans dans une usine de fabrication de fromages frais et de crème. Objectif : décrocher la meilleure valeur ajoutée sur les volumes livrés par ses adhérents. N'ayant pas les moyens d'imposer ses propres marques, elle a surfé sur le développement de celles des distributeurs. La saturation de son outil de transformation l'a incitée à franchir une nouvelle étape en 2008. Elle a investi 120 M€ pour doubler sa capacité de transformation (200 000 t de produits frais et crèmes). « L'automatisation des process jusqu'à l'emballage et l'expédition des produits nous permet de gagner en productivité et d'abaisser nos coûts de fabrication », explique le président, Christophe Levavasseur. Une arme qu'il juge capitale pour rester dans la course du marché français des fromages frais et se frotter davantage au marché européen, notamment à l'est et au sud. « Nous sommes en constante recherche de productivité. Si cela doit passer par de nouveaux investissements, , nous le ferons. »
Les résultats 2009-2010 sont prometteurs. La coop a atteint les trois quarts de la capacité de la nouvelle usine et a versé un complément de prix de 27 €/1 000 l à son millier de producteurs, « ce qui a permis d'absorber 40 % de la baisse du prix du lait 2009-2010 ». Autre motif de satisfaction : aucun litre de lait écrémé n'a été transformé en poudre. Les excédents saisonniers sont conditionnés en lait UHT et écoulés par la filiale de distribution France Frais, qui assure aujourd'hui 20 % de son chiffre d'affaires. MLC veut continuer sur cette lancée en valorisant, d'ici à 2014, ses 340 Ml de quotas au meilleur prix. En d'autres termes, en rémunérant 100 % du lait de ses adhérents au prix A si un paiement différencié est instauré et assurer aussi régulièrement que possible un complément de prix. Reste à consolider le pilier production. L'implantation dans une région à vocation laitière n'a pas empêché une sous-réalisation record de 15,8 Ml l'an passé, touchant les deux tiers de ses points de collecte. Un signal d'alarme qui incite MLC à réagir. À commencer par une avance sur complément de prix pour soutenir le prix du lait bas du printemps dernier et un accompagnement plus spécifique des éleveurs les plus fragilisés par la crise. La campagne 2010-2011 s'annonce sous de meilleurs auspices, avec une hausse de la collecte de 13 Ml par rapport à octobre 2009.
EURIAL : DES MARCHÉS POUR LE POTENTIEL LAITIER DE L'OUEST
Le groupe Eurial joue plus la carte des volumes sur des marchés moins rémunérateurs. À Herbignac (Loire-Atlantique), il a sorti de terre en 2008 une usine de mozzarella d'une capacité de 30 000 t pour 300 Ml livrés. Avec la possibilité d'en transformer le double avec des investissements complémentaires. « En 2003, année charnière vers la réduction des soutiens européens au beurre et à la poudre, les produits industriels représentaient plus de 40 % du lait collecté. Il nous fallait sortir au plus vite de ce mix-produits sans perturber les marchés PGC déjà occupés ou saturés », explique Pascal Heurtel, vice-président d'Eurial. Au coeur du premier bassin laitier français, le groupe coopératif veut aussi donner la possibilité aux adhérents qui le souhaitent de produire plus. « En 2005, ils ont exprimé leur intention d'augmenter leurs volumes de 100 000 l en cinq ans. Nous y sommes. »
Le lancement de la mozzarella répond à l'ensemble de ces objectifs : une filière française peu présente, un marché planétaire en pleine croissance (3 % par an) capable d'absorber du lait de l'Ouest. Après quelques rebondissements, les dés sont jetés : 53,6 M€ sont investis dont 18,3 M€ d'aides. Piloté à 70 % par le groupe coopératif, le projet est mené avec Bonilait- Protéines (groupe 3A) et Ingredia (Prospérité Fermière) au sein de la filiale Herbignac Cheese Ingredients. Sodiaal et Bonilait s'engagent parallèlement à fournir respectivement 60 Ml et 15 Ml à l'horizon 2012 sur un total de 300 Ml. Enfin, une tour de séchage des coproduits pour des ingrédients agroalimentaires est rénovée, conduisant à une valorisation totale de 450 à 500 Ml dans les prochaines années. « Selon les cotations du moment, nous orienterons le lait vers l'un ou l'autre des outils pour optimiser la valorisation. »
Même si le groupe a donné à la fromagerie un dimensionnement européen, il est conscient que ce marché, intermédiaire entre les produits industriels et les PGC, est soumis à une forte concurrence internationale. Supportera-t-il un prix du lait français supérieur à celui des voisins européens, comme ce fut le cas en 2009 ? Le déficit de 9 M€ enregistré l'an passé et la sortie de la grille interprofessionnelle depuis septembre ont semé le doute dans l'esprit d'un certain nombre de ses producteurs. Le prix de base 2010 versé sera de 291 à 292 €/1 000 l, soit 4 à 5 € de moins que le prix interprofessionnel, flexibilité déduite. « Nous avons débuté la fromagerie au plus mauvais moment, répond, rassurant, Pascal Heurtel. Les cours sont tombés au plus bas niveau depuis dix ans alors que nous ne produisions qu'à un tiers de notre capacité. Malgré tout, nous avons gagné une année sur notre plan de mise en marché. Nous avons commercialisé 3 000 à 4 000 t de mozzarellade plus que prévues en 2009 »
L'année 2010 devrait s'achever à 20 000 t et 2011 s'annonce à 26 000 t. Le groupe s'est engagé à payer la totalité des livraisons au même prix, c'est-à-dire prêt de quota 2010-2011 compris. Grâce à l'amélioration des cours depuis six mois, il promet aussi le retour au prix interprofessionnel pour les livraisons 2011 et des comptes 2010 à l'équilibre. « Le développement de nos débouchés prouve que nous prenons notre part dans la croissance mondiale de mozzarella. Un tiers de nos ventes se fait hors Union européenne. Nous résisterons mieux aux aléas du marché si nous poursuivons le développement de synergies industrielles ou commerciales. Les marchés des commodities obligent à traiter des volumes de lait importants pour abaisser les coûts de production et disposer d'une force de frappe internationale. » Le projet de fusion avec le Glac (Poitou-Charentes) est une première réponse. « Cela n'empêche pas d'élargir les partenariats. À la fin des quotas, il faudra être capable d'écouler le lait de nos adhérents. »
Dans l'immédiat, Eurial réclame le droit de produire toute sa référence alors que la France est en sous-réalisation. Il souhaitait pour 2010-2011 un plafond de rallonge de 10 % au lieu des 5 %. « Deux tiers de nos adhérents sont en demande tous les ans d'un prêt de fin de campagne. Le prix du lait n'est pas la seule réponse à la défense de leur revenu. Il faut saturer leurs outils en lait. L'idéal serait un minimum de 200 000 à 250 000 l par UTH », conclut Pascal Heurtel.
CLAIRE HUE
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