CRISE 2009 : LES PLUS FRAGILES PEINENT À SE RELEVER
La reprise de la conjoncture assainit les trésoreries. Il faudra pourtant du temps aux structures les plus affaiblies pour remonter la pente. Enquête dans les régions.
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L'HIVER A ÉTÉ RUDE. DES PRÉLÈVEMENTS PRIVÉS RÉDUITS COMME UNE PEAU DE CHAGRIN, des dettes fournisseurs qui s'accumulent, une trésorerie tendue. Et, parfois, le suicide d'un collègue. La hausse du prix des intrants en 2008 et la chute du prix du lait en 2009 ont mis à genoux les éleveurs déjà bien fragilisés. Ceux à la tête de petites structures sont particulièrement exposés. Trinquent aussi les exploitations qui, grâce à un prix du lait stable, réussissaient bon an mal an à se maintenir à flot. Mais pas seulement. Les craintes se focalisent sur la frange la plus dynamique de la production : les jeunes éleveurs et les récents investisseurs. C'est nouveau. Dans le Calvados, la centaine de dossiers étudiés mi-octobre pour bénéficier de l'aide Dacs-Agri reflète bien ces différents profils. Elle est octroyée par le gouvernement, dans le cadre du plan de soutien exceptionnel à l'agriculture. Que constate-t-on ? Les éleveurs techniquement moins performants sont les plus représentés. « Soixante et onze sont déjà connus de la procédure “Agridif” ou souffrent d'une mauvaise maîtrise technique, notamment une sous-réalisation chronique du quota, détaille Sylviane Pralus, de l'association Agridif. Onze ont investi massivement ces deux dernières années, pour des raisons fiscales, de regroupement ou d'agrandissement de troupeaux, poursuit-elle. Les vingt et un derniers concernent des exploitations de plus de 350 000 l qui souffrent directement de la baisse du prix du lait. Leurs résultats économiques devraient s'améliorer avec la reprise de la conjoncture. » Les premiers effets de la chute brutale du prix du lait commencent seulement à se mesurer, et de façon très limitée. En l'absence d'observatoire régional ou national, il est difficile d'avoir une vision exhaustive. On aimerait, en particulier, connaître le nombre de procédures amiables ou de redressements engagés auprès des tribunaux. Dans cette enquête, seule la MSA fournit des données nationales.
OPTIMISME EN BRETAGNE
Le soutien que les caisses départementales ou régionales apportent depuis un an touche grosso modo 20 % des exploitations laitières, dont une bonne partie dans l'Ouest. « 8 750 reports de cotisations sociales ont été accordés pour une enveloppe globale de 20 Me à partir de notre fonds de solidarité “crise agricole”, indique la Caisse centrale de la MSA. 9 300 prises en charge de cotisations ont été également acceptées pour une enveloppe de 7,4 M.. » Souvent, avec les assistantes sociales, les associations d'agriculteurs en difficulté ont été parmi les premiers à mesurer la dureté de la crise. « Avec l'agrandissement des exploitations, les situations sont beaucoup plus compliquées. Les dettes fournisseurs peuvent atteindre 100 000, voire 150 000 €. Quand les factures d'électricité ou du centre comptable sont impayées, l'éleveur se retrouve du jour au lendemain sans électricité pour traire ou sans comptabilité pour récupérer la TVA ou bénéficier du RSA », raconte Solidarité Paysans Basse-Normandie qui, au premier semestre, a débuté autant d'accompagnements qu'en 2008 et 2009. « Les gens ne se manifestent pas dès le déclenchement d'une crise », analyse, de son côté, l'association Arcade qui n'a pas enregistré une hausse des sollicitations dans le Nord-Pas-de-Calais. « Nous attendons des appels en 2011. » Derrière tous ces éleveurs au bout du rouleau, combien sont-ils à faire le gros dos en réduisant, de façon drastique, les prélèvements privés ?
La Basse-Normandie estime à 20 % le nombre d'exploitations fragiles. Ce chiffre est avancé après l'analyse de trois critères : la solvabilité à court terme, l'endettement à moyen et long terme, et la rentabilité.
La Bretagne, elle, évalue à 10 % les exploitations en situations difficiles, c'est-à-dire avec un taux d'endettement supérieur à 80 %. « Cela ne signifie pas, en Basse-Normandie, que 20 % des exploitations vont disparaître, avertit Xavier Beaufils, du centre de gestion CER France Manche. Un certain nombre de producteurs, en fin de remboursements d'emprunts, ne vont pas réinvestir, vont limiter les prélèvements privés et achever ainsi leur carrière. D'autres ont des charges opérationnelles trop élevées. Il faut qu'ils ajustent leur technicité. » Avec une priorité : réaliser tout son quota laitier, y compris la hausse européenne de 2 % et le prêt de fin de campagne. « Ceux ayant surinvesti ces dernières années auraient besoin d'un étalement de leurs remboursements d'emprunts. »
Les banques sont-elles prêtes à jouer le jeu ? Le Crédit agricole du Finistère, réputé pour soutenir l'agriculture départementale, répond banco. « Les crises porcines à répétition nous ont conduits à créer un arsenal de mesures. Nous l'avons mis à disposition du secteur laitier, à commencer par les producteurs Entremont, indique Joël Blaise, en charge du financement de l'agriculture. La chute du prix du lait n'a pas laissé le temps aux récents investisseurs de se constituer une trésorerie. Nous pouvons les accompagner. » Pour lui, la crise laitière est derrière. Il croit aussi en la capacité de remise en cause et de résistance des producteurs, sans nier la difficulté à vivre de telles situations.
Dans les régions de montagne sans valorisation AOC, le volume de production, bridé à 200 000 l ou moins, a contribué aussi à fragiliser les exploitations. C'est le cas en Haute- Loire. « En 2009, 58 % des exploitations n'ont pas assuré l'équivalent d'un Smic de prélèvements privés par UTH, observe Sandrine Jean, du CER 43. Pour une partie d'entre elles, des volumes en plus seraient la réponse. » Comme dans le Sud-ouest, avec le GIE Sud-Lait ou en Bretagne avec Entremont, la crise ne se résume pas dans ce département à la seule chute du prix du lait. La crainte de ne plus être collecté après le démantèlement de l'URCVL a créé un profond malaise. « La fragilité de l'aval peut être tout autant un motif d'inquiétude, confirme Jacques Mathé, du CER de la Vienne. En Poitou-Charentes, la réussite de la fusion Glac-Eurial est un élément clé de l'avenir de la production régionale. »
Au terme de ce tour de France non exhaustif, seules les AOC de montagne affichent leur bonne santé. Ainsi, l'AOC reblochon affiche-t-elle un prix du lait moyen 2009 de 471 €/1 000 l. La hausse du prix du lait depuis juillet apporte une bouffée d'oxygène, même si le prix élevé des intrants en absorbe une partie. Le CER France Manche prévoit une augmentation de l'EBE de 10 000 pour une exploitation spécialisée en lait de 375 000 l, clôturant en mars 2011, et même de 15 000 si elle produit les 7 % de rallonge totale de quota. Dans ce second cas, la capacité d'autofinancement pourrait approcher de l'équilibre, voire être légèrement positive. Les leviers technico-économiques sont connus pour faire basculer les éleveurs vers des situations plus saines. Encore faut-il qu'il y ait une véritable volonté d'accompagnement.
DES CONSEILS TROP CLOISONNÉS
À quand un plan Marshall du conseil, rassemblant les différents organismes de service gérés par la profession autour de ces éleveurs ? Le Finistère a ouvert la voie cet hiver. Craignant une cascade de suicides, les acteurs se sont accordés pour réaliser des diagnostics et fixer des objectifs techniques aux audités. Ces derniers ont reçu ensuite une à deux visites. La crise révèle aussi le manque crucial de dispositifs sociaux pour ceux qui sont à bout de souffle. Les départs en préretraite ont été supprimés en 2008 et l'accès au financement de l'audit Agridif restreint en 2009. Dans un certain nombre de cas, des volumes supplémentaires auraient permis de mieux passer la crise. Cela suppose une plus grande mobilité des quotas d'ici à 2015. Quand la filière s'emparera-t-elle de ce sujet… brûlant ?
CLAIRE HUE
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